Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Un défi interdisciplinaire pour développer les compétences de la programmation et du français

lundi 26 avril 2021 Arnauld Séjourné

Auteur  :

Arnauld Séjourné, Maître de Conférences en sciences de l’éducation et de la formation, au laboratoire Centre de Recherche en Education de Nantes (CREN EA 2661) de l’Université de Nantes.

Pour citer cet article :

Séjourné, Arnauld (2021). Un défi interdisciplinaire pour développer les compétences de la programmation et du français. Revue Adjectif, numéro thématique 1 : Productions d’écrits et technologies... Regards contemporains. Mis en ligne le 10-04-2021 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip.php?article549

Résumé :

Notre étude s’inscrit dans le contexte de l’introduction dans les programmes de l’école primaire d’une initiation aux langages informatiques. Depuis 2017, le projet interdisciplinaire « 2+4 heures Kids code ta ville » est mis en place dans l’académie de Nantes. Nous nous attachons à décrire et comprendre dans quelles mesures ce projet contribue à ce que les élèves mobilisent des compétences de français tout en développant des compétences d’informatique.

Notre méthodologie repose sur une analyse des documents relatifs à la mise en œuvre du projet et des productions finales des élèves.

Notre étude met en lumière d’une part que le scénario du défi est étroitement articulé avec les 5 blocs de compétences associés à l’écriture et ceci de façon progressive. D’autre part, ces compétences sont « réellement » mobilisées au profit de la réalisation du média interactif avec le langage Scratch. Enfin, la programmation créative ne peut se « décréter », elle doit être travaillée aussi en amont afin que les productions finales soient d’autant plus riches.

Mots clés :

École Primaire, Français, France, Informatique, Pédagogie de projet, Productions d’écrits

1. Introduction

S’inscrivant dans le contexte de l’introduction dans les programmes de l’école primaire d’une initiation aux langages informatiques et à la programmation (MENESR, 2015a, 2015b), notre étude s’intéresse à l’apprentissage des compétences du français et de la programmation des élèves de cycle 3 dans une approche interdisciplinaire.

Dans les programmes, l’initiation à la programmation en cycle 3 est placée au sein du thème « se repérer et se déplacer dans l’espace en utilisant ou en élaborant des représentations ». En complément à des activités centrées sur les déplacements afin de travailler la compétence « se repérer, s’orienter en utilisant des repères », il est précisé que cette « initiation pourra être une opportunité pour des travaux interdisciplinaires »
(MENESR, p. 1, 2016).

Cette entrée dans les programmes a suscité la réflexion de différents acteurs institutionnels dans le département de la Sarthe. Il a s’agit d’envisager différentes stratégies pour concilier « formation des enseignants » ; « mise en œuvre de situations en classe afin de vivre l’expérience » ; « volontariat ». C’est dans ce contexte que le projet interdisciplinaire « 2+4 heures Kids » est né. Il prend la forme d’un défi incitant les élèves à la réalisation d’une chose difficile tout en les engageant dans une démarche de projet (Perrenoud, 2002). Le produit du projet consiste à élaborer un média interactif donnant envie de visiter une ville via un langage de programmation visuel par blocs (Scratch).

Dans cet article, nous nous intéressons en particulier à décrire et comprendre dans quelles mesures le projet « 2+4 heures Kids code ta ville » contribue à ce que les élèves mobilisent des compétences de français tout en mettant au travail des compétences informatiques. Pour cela, nous analyserons à la fois les documents du défi au regard des référentiels de compétences du français « écriture » et de la « programmation » ainsi que les productions finales des élèves.

2. Cadre de référence

Au regard de la littérature en didactique de l’informatique (Baron, Drot-Delange et Touloupaki, 2016), des textes institutionnels (MENESR, 2015a, 2015b), différentes modalités pédagogiques peuvent être envisagées pour initier les élèves à la programmation dès l’école primaire. La modalité « activités débranchées » (unplugged computing) (Drot-Delange, 2013) vise la découverte, l’acquisition de concepts informatiques sans l’utilisation d’outils numériques. Par exemple, partant de l’activité du robot « idiot », Duflot (2016) considère que les élèves peuvent être sensibilisés dans un premier temps à la notion d’algorithme simple puis à celle de machine programmable.

La modalité « activités branchées », quant à elle, donne lieu à l’utilisation d’outils numériques (ordinateur, tablette, robot) et se caractérise par deux approches (Tchounikine, 2017). La première dite « orientée algorithmique » est un apprentissage de la programmation de manière procédurale et décontextualisé du curriculum. Il s’agit principalement d’amener les élèves à être capable de savoir faire des algorithmes et savoir utiliser un langage de programmation.

La seconde approche, dite « orientée programmation créative », est celle qui a été privilégiée dans le cadre du projet « 2+4 heures Kids ». Initiée et promut par Brennan et Resnick (2012), elle s’appuie sur quatre principes que sont créer, personnaliser, partager et faire le point. Elle vise à favoriser, chez les jeunes, le développement d’un lien personnel avec l’informatique et de la pensée informatique et, à endosser une posture de créateur et de concepteur plutôt que de consommateur. De manière générale, cette approche se concrétise par la création collective d’une œuvre originale avec le recours à un logiciel de programmation comme Scratch. Ces médias peuvent prendre la forme par exemple d’un jeu, d’une histoire impliquant des dialogues entre les personnages, d’une figure géométrique « artistique ». Du point de vue des compétences informatiques, Komis (2016) précise que ce type d’activité consiste « en l’apprentissage d’un langage de communication pour que la machine exécute des tâches précises concernant principalement les actions des personnages qui se déplacent sur une scène et interagissent entre eux ». L’apprentissage de ce langage nécessite l’appropriation de différents concepts et notions que nous retenons aussi dans le cadre de l’usage de scratch.

  • Le concept d’animation informatique (objet même du défi « code ta ville ») : il s’agit de créer des animations informatiques en plaçant sur une ou plusieurs scènes ou pages des personnages, qui sont les objets programmés. Les comportements des personnages sont décrits à l’aide d’instructions qui se rassemblent en scripts pour créer des programmes (collections de scripts). Un programme oblige les personnages à effectuer la série d’actions décrites par les instructions des scripts qui leur sont associés.
  • Le concept d’instruction (bloc) : les instructions sont représentées par des blocs lesquels sont organisés en dix catégories chacune d’une couleur différente.
  • Le concept de séquence : une séquence est un ensemble d’instructions (blocs) placées l’une après l’autre. Pendant une exécution séquentielle, les instructions dans le script ou le programme sont exécutées dans le même ordre où elles apparaissent dans la séquence.
  • Le concept de communication : La communication directe entre personnages est effectuée avec les blocs de messages : il y a un expéditeur qui envoie le message et un récepteur, dont le script (collection de blocs) se déclenche quand il reçoit le message. Cette communication peut aussi se créer en faisant attendre les personnages afin de faire croire qu’ils communiquent.
  • Les notions de personnages (lutins) et de scène (arrière-plan) : le personnage est géré par un ou plusieurs scripts. La scène (ou arrière-plan) est l’espace où se déroule l’animation. Les actions des personnages se déroulent sur la scène.

Les travaux de recherche ont démontré l’intérêt de la programmation créative au regard de la pédagogie du projet mais aussi sa pertinence du point de vue de l’interdisciplinarité (Romero et Lepage, 2017). Dans cette optique, la production collective d’un média par un langage de programmation dans une situation authentique forme une unité didactique impliquant la mobilisation de savoirs et de savoir-faire acquis de plusieurs disciplines pour construire des compétences (Perrenoud, 2002). Il s’agit alors pour les élèves non seulement de connaître des procédures automatisées, mais aussi de mobiliser certaines d’entre elles, celles qui conviennent dans une tâche à chaque fois nouvelle et complexe (Rey, 2009).

Dans le contexte de l’école primaire, se multiplient les projets interdisciplinaires basés sur la programmation créative, et semblent donner lieu à des recherches plus centrées sur les compétences d’informatique que disciplinaires. À partir d’expériences menées (Du conte au code), Roméro et ses collaborateurs (Lepage et Romero, 2016) mettent en évidence, avec leur robot Vibot, l’opportunité d’articuler le récit de la littérature de jeunesse avec l’apprentissage de la programmation. En soutenant un enseignement de la pensée informatique à l’école, Tchounikine (2017) avance que la dimension informatique peut être un simple habillage pour faire travailler la production d’écrits en proposant un contexte ludique et motivant. Dans ce cas, une structure de programme prédéfinie dans le logiciel utilisé peut faciliter les tâches d’élèves de façon à ce qu’ils se concentrent sur l’apprentissage de l’écrit en français. Enfin, dans le domaine de la didactique du Français Langue Étrangère, Galmar (2019) identifie l’intérêt de recourir à une tâche de programmation avec le langage Linotte, par sa similitude avec le français appris, pour stimuler les apprenants et favoriser la pratique des compétences à l’oral et à l’écrit dans une approche actionnelle.

S’inscrivant dans cette dynamique, notre étude se propose de rendre compte de l’expérience menée dans le département de la Sarthe dans le cadre du projet « 2+4 heures Kids ».

3. Le défi 2+4 heures Kids « Code ta ville »

3.1. Le contexte du défi « Code ta ville »

Le défi « 2+4 heures Kids - Code ta ville » et ses différentes composantes (organisation, documents, communication) ont été élaborés sur l’année 2016-2017 par une équipe constituée d’acteurs de différents établissements éducatifs. Ceux sont des enseignants du premier degré en CM1/CM2, des formateurs de l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education (INSPE) de l’Académie de Nantes, des membres du pôle numérique de la Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale de la Sarthe (DSDEN72), et un chargé de mission du Réseau de Création et d’Accompagnement Pédagogiques (CANOPE). Inscrit dans le contexte d’une initiation à la programmation à l’école primaire (MENESR, 2015a), ce projet a pour but à la fois de soutenir cette nouvelle dynamique au niveau institutionnel à l’échelle départementale et d’accompagner le développement des pratiques des enseignants.

L’approche est résolument interdisciplinaire, le défi « 2+4 heures Kids - Code ta ville » prend la forme d’un projet invitant les élèves à résoudre une situation complexe en mobilisant leurs acquis en français, en géographie, en histoire, en programmation, en sciences et technologie. Le défi est conçu en tant qu’incitation à résoudre une situation introduisant une certaine complexité (où la solution n’est pas évidente) qui motive les élèves et leur donne l’occasion de mobiliser les savoirs et les savoir-faire « à bon escient ».

Le défi lui-même consiste à réaliser une production collective (cf. section suivante) sur une durée limitée de 6 heures en continu. Il est à préciser que le défi est précédé d’un enseignement sur la programmation comprenant 5 séances étalées entre octobre à mars. Ayant comme but de préparer les élèves au défi, cet enseignement vise à :

  • initier à la programmation à partir d’activités débranchées ;
  • se familiariser à un logiciel de programmation (Scratch) ;
  • découvrir l’environnement du logiciel (lutins, blocs, vocabulaire spécifique...) ;
  • se préparer au défi proprement dit avec des activités donnant lieu à croiser les disciplines afin de s’initier à la programmation tout en réinvestissant des connaissances en anglais, en histoire de l’art, mathématiques, français.

L’élaboration collaborative du défi a conduit à la création d’un scénario pédagogique accompagné d’un ensemble de ressources :

  • une séquence pédagogique de 5 séances « clé en main » dédiée à l’enseignement de la programmation. Ces séances sont associées aux champs disciplinaires et articulées autour d’activités débranchées, branchées et robotiques (programmation d’un robot) ;
  • un livret « enseignant » du défi précisant pour chaque étape les objectifs, les modalités de travail, les productions attendues, les matériels à préparer et une description détaillée des tâches des élèves ;
  • un livret « élèves » du défi contenant pour chaque étape les consignes des tâches et les fiches de production associées ;
  • une variété de documents/ressources associés à la mise en œuvre de chaque étape du défi.

Sur la base du volontariat, les enseignants des classes de Cours Moyen 1 et 2 (CM1 et CM2, les élèves de 9 à 11 ans) du département de la Sarthe inscrivent leur classe au défi. Cette inscription donne droit à des heures de formation (3h) et à l’accès à un espace de formation sur la plateforme m@gistère où se trouve en plus des ressources précitées, un forum d’échanges entre les enseignants. Les productions réalisées dans le cadre du défi sont également diffusées sur cet espace m@gistère et sur le site de la DSDEN 72. Enfin, tout au long du projet, les enseignants participants pouvaient faire appel aux Enseignants Référents aux Usages du Numérique de la DSDEN 72 (ERUN) pour les accompagner dans leurs mises en œuvre. Pour l’année 2016-2017, 24 classes s’étaient inscrites, 13 sont allées jusqu’au bout du projet.

3.2. Présentation du défi « 2+4 heures Code ta ville »

Le défi conduisait à la production d’un média qui devait donner envie de visiter la ville dans laquelle l’école des élèves était située. Il était introduit de la manière suivante :

Introduction au défi « 2+4h Code ta ville »

Le défi s’organisait donc autour de deux tâches. La première renvoie à la création d’un média interactif avec le logiciel Scratch au profit de la visite guidée de cinq lieux de leur ville. La seconde tâche consistait à programmer le robot Ozobot avec un langage couleur permettant d’aller d’un lieu à un autre.

Le produit final consistait en une vidéo rassemblant les productions issues des deux tâches. Celui-ci devait comporter un ensemble d’éléments prédéfinis : un générique d’introduction et de fin, deux personnages, des dialogues entre les personnages, la description de cinq lieux en utilisant l’écrit ou l’oral, les déplacements des personnages à l’écran et ceux d’un robot nous conduisant d’un lieu d’une ville à un autre.

Le défi se déroulait en huit étapes que nous décrivons dans le tableau ci-dessous. Le livret élève (cf. annexe 3) contribue à mieux appréhender ces différentes étapes.

Tableau 1 : Les étapes du défi

4. Méthodologie

Notre méthodologie est qualitative. Le corpus est composé des différents documents associés à l’élaboration du défi (référentiels de compétences, livrets des élèves et de l’enseignant) et des productions finales de trois classes.

Notre analyse se déroule en deux temps. Tout d’abord, nous menons une analyse « documentaire » de façon à mettre en rapport le déroulement du défi et les compétences d’écriture pour le français et celles de programmation. Il est utile de préciser qu’à ce jour, il n’existe pas un référentiel propre à la compétence de programmation, elle est intégrée de manière assez succincte dans le programme de mathématiques (MENSER, 2015a).

Nous identifions et décrivons les compétences de français et d’informatique que les élèves seraient susceptibles de mobiliser au cours du défi. Ensuite, parmi 5 productions finales, nous en avons retenu trois selon les critères de durée et de quantité des énoncés, de traces complètes (programmes et production finale).

Pour la partie « écriture », nous avons extrait les écrits et transcrit les écrits oralisés dont les durées sont entre 4 et 6 minutes. Nous en donnant un exemple dans l’annexe 2 pour une classe. Concernant les compétences de programmation, nous avons étudié les 17 programmes issus des trois classes.

5. Analyse

5.1. Du point de vue des compétences d’écriture en français

5.1.1. Analyse documentaire

Dans cette partie, nous analysons le défi et les différents documents associés afin de percevoir la place qu’ils accordent aux compétences de français en particulier celles portant sur l’« écriture ». Cette analyse est réalisée tout au long des 8 étapes initialement présentées dans la partie 2 de l’article. Pour une question de longueur du texte, nous présentons ici les étapes principales où les compétences de l’écrit sont le plus mobilisées. L’ensemble de l’analyse du défi est proposé en annexe 1. Pour faciliter la lecture du tableau, nous ajoutons le numéro de bloc de compétences ainsi que les compétences/connaissances associées en ne gardant que les descripteurs courts.

Tableau 2 : Analyse du défi en fonction du référentiel de compétences en français « écriture »

À la lecture de ce tableau, nous constatons d’abord que les cinq compétences à travailler en « écriture » durant le cycle 3 sont présentes dans le scénario du défi. Cette mobilisation est envisagée de façon progressive et relativement exhaustive. Les opérations d’apprentissage se complexifient en allant d’« écrire à la main de manière fluide et efficace » (F1) à « prendre en compte les normes de l’écrit pour formuler, transcrire et réviser » (F5). Cette progression est rythmée grâce aux choix des écrits langagiers attendus qui passent des mots à recopier (étape 3), ensuite à une liste de questions indépendantes inventées (étape 4), puis à une série de questions/réponses reformulées suite à la recherche (étape 4), enfin à un texte de dialogue dans une situation de communication (étape 5).

Ensuite, les consignes sont pensées de façon à recouvrir un maximum de compétences. Ainsi, dans l’étape 4, « Rechercher et noter les informations » conduit à « recourir à l’écriture pour réfléchir et pour apprendre » (F2), alors que la série de consignes « proposer des réponses complètes (...) pour les mots difficiles » incite à produire des écrits variés, à faire évoluer le texte et à respecter les normes (F3, F4 et F5).

Enfin, l’organisation de la mise en scène sous forme de dialogue (étape 5) propose une situation de (ré)écriture, invitant à la créativité et à établir un lien entre la rédaction du texte adapté à un destinataire défini et l’étude de la langue. Le passage au logiciel de programmation permet de s’entraîner à l’écriture au clavier (F1).

5.1.2. Analyse des productions finales des élèves

Dans les tableaux ci-dessous, nous présentons le résultat de l’analyse de l’ensemble des productions finales des classes participantes en les mettant en rapport avec le référentiel de compétences (colonne droite) selon deux entrées que sont le contenu et la mise en forme.

Au niveau du contenu, les élèves

Tableau 3 : Analyse des productions des élèves au niveau contenu en fonction du référentiel de compétences

Au niveau de la mise en forme du propos, les élèves

Tableau 4 : Analyse des productions des élèves au niveau de la mise en forme

Suite à cette analyse, nous constatons que dans cette activité de production d’un média interactif, la majorité des connaissances et compétences associées à la compétence « écriture » ont été mobilisées. Seule la compétence 2 « Recourir à l’écriture pour réfléchir et pour apprendre » n’apparait pas. Cela s’explique du fait que nous nous intéressons ici seulement à la production finale et non au processus d’écriture tout au long du défi.

De plus, comme nous pouvons le constater dans les deux extraits ci-dessous (cf. annexe 2 pour la production complète), l’écrit comporte quelques rares zones d’erreurs au niveau des normes de l’écrit, la cohérence n’est pas toujours maîtrisée pour assurer l’unité du texte (par exemple : absence de connecteurs logiques entre les phrases). Toutefois, il est utile de rappeler que les élèves participants sont de classes CM1 et CM2, à savoir, les deux premières années du cycle 3. Il convient d’appréhender ces « erreurs » ou « lacunes » comme indices de progression dans l’acquisition plutôt que des signes de non « maîtrise ».

Tableau 5 : Deux extraits de productions écrites

5.2. Du point de vue des compétences de programmation

5.2.1. Analyse documentaire

Les élèves par sous-groupe avaient pour tâche de créer un média interactif permettant la visite d’un lieu à l’aide de deux personnages. Pour réaliser cela, ils devaient placer sur une scène (arrière-plan) deux lutins (guides et/ou visiteur), objets à programmer. Ils devaient imaginer des actions différentes de ces lutins sur une ou plusieurs scènes telles que : se déplacer (marcher, glisser, avancer), s’exprimer à l’écrit ou à l’oral, apparaître ou disparaître, grandir/rétrécir, changer de costumes (apparence). Ces différentes actions étaient décrites par des instructions (blocs) qui se rassemblaient en scripts pour créer des programmes (Komis, 2016). De plus, l’élaboration du programme qui devait répondre au problème devait se faire par une démarche de contrôle du résultat et d’essais-erreurs (tâtonnement) (cf MENSER, 2016).

5.2.2. Analyse des productions finales des élèves

Ainsi, tout d’abord, nous porterons notre attention sur trois médias interactifs créés afin de rendre compte du respect global des attendus. Nous nous intéresserons ensuite aux blocs utilisés afin de mieux cerner les stratégies des élèves pour créer ces médias interactifs dans une démarche de programmation créative selon les classes. Enfin, nous nous interrogerons sur la manière dont les élèves ont mobilisé la compétence « contrôler le résultat du programme ».

Le tableau ci-dessous rapporte globalement ce qui peut être identifié en observant les médias. À la lecture de ce tableau, nous pourrons noter que les élèves ont su placer les lutins sur un ou plusieurs arrière-plans, ils s’expriment en utilisant l’écrit et/ou l’oral, ils font rarement déplacer les lutins à l’écran, les lutins sont orientés vers les spectateurs.

Tableau 6 : Analyse globale des productions des élèves selon différents critères

Dans un second temps, nous avons comptabilisé par classe, le nombre de blocs, de scripts, d’arrière-plans, selon leurs fonctions. Le tableau suivant regroupe ces éléments :

Tableau 7 : Identification et comptage des différents blocs utilisés dans l’ensemble des programmes des élèves de trois classes

À partir de ce tableau, nous constatons les éléments suivants.

Tout d’abord, le bloc « dire... pendant secondes » est un des blocs les plus mis en œuvre. Ceci est sans surprise du fait que la tâche des élèves était de programmer les lutins afin qu’ils communiquent entre eux tout en décrivant un lieu.

Ensuite, même si les élèves avaient été familiarisés avec les blocs de communication « envoyer/recevoir », deux classes ont privilégié le fait de faire communiquer les lutins en faisant attendre l’un des lutins au risque que les écrits ou les écrits oralisés se superposent.

Puis, les arrière-plans ne sont pas intégrés de la même façon par les trois classes. En effet, la classe 2 insère un seul arrière-plan par lieu. Les contenus restent peu illustrés ce qui peut jouer sur la curiosité du spectateur et son attention.

Enfin, inviter les élèves à concevoir un processus de programmation créative dans le but de produire un média interactif ne semble pas si aisé pour des élèves de CM1/CM2. Ces derniers ont par exemple fait en sorte que les arrière-plans évoluent tout au long de la description (au moins pour deux classes). Ils ont su faire articuler sons et écrits, déplacer certains lutins (glisser). Cependant, au regard de leurs productions, l’interactivité auraient nécessité d’être enrichie. En effet, rares sont les élèves par exemple qui ont introduit les mêmes personnages avec des costumes diversifiés afin de modifier leurs attitudes, inséré des sons différents (effets sonores) de ceux qu’ils devaient créer pour présenter le lieu, créé des déplacements pour rendre « plus vivant » la description, introduit un lutin supplémentaire (mascotte qui apparait et se cache), etc. L’interactivité ne se décrète pas, cet aspect nécessite d’être travaillé en classe dans le cadre de différents projets peut-être que les élèves eux-mêmes peuvent initier.

De plus, à partir des tableaux 5 et 6, différents éléments comme l’utilisation du bloc « quand espace est pressé » permettent de se questionner sur la manière dont les élèves de CM1/CM2 ont pu mobiliser dans le processus de programmation la compétence « contrôler le résultat » en vérifiant en particulier que le programme effectue toujours la même chose à chaque fois que le drapeau vert est cliqué. Par exemple, lorsque les élèves utilisent le bloc « avancer de … », veillent-ils à positionner initialement le lutin avec le bloc « aller à x : y : » au début du script ? Comment l’amener à identifier ce bug si ce n’est en contrôlant le résultat. Nous explicitons cela avec l’exemple ci-dessous.

Tableau 8 : Exécution du script et programme

6. Conclusion

Le défi « 2+4 heures Kids code ta ville » constitue une réponse possible pour rééquilibrer le système « Pédagogie – Institution – Dispositif – Acteurs » (Wallet 2010, Voulgre 2011) du fait de l’introduction de l’informatique dans les programmes. Il manifeste la volonté institutionnelle d’encourager l’approche interdisciplinaire pour la réussite de l’apprentissage de la programmation, désormais une compétence à enjeu de taille. Mobiliser l’informatique et le français comme moyen de communication dans le but de réaliser une tâche située dans le contexte géo-historique des élèves apparaît comme une démarche pédagogique prometteuse et cohérente avec la pédagogie du projet. En effet, comme le démontre l’analyse, grâce à un scénario structuré, tout en manipulant les langages informatiques pour réaliser une œuvre, les élèvent mettent en pratique les connaissances et les compétences linguistiques préalablement acquises comme l’illustrent les productions analysées. Toutefois, deux remarques peuvent se formuler à l’issue de cette étude : les élèves sont-ils conscients qu’ils apprennent le français en même temps qu’ils réalisent le projet focalisé sur les disciplines de la géographie et de l’histoire ? Cette question nous conduit à penser l’intérêt d’ajouter à la fin du défi une étape « réflexive » pour veiller à cette prise de conscience. Une autre remarque, en lien avec la précédente, concerne le format du défi. Une durée de 6 heures en continue est-elle pertinente pour que l’attention soit portée à la fois sur le processus et sur le produit de façon à rendre effectif l’apprentissage ?

Les premiers retours des enseignants semblent confirmer l’intérêt du projet pour son impact positif sur la motivation et pour le développement des compétences, comme écrit l’une d’entre eux dans un échange « inscrire sa classe au défi « code ta ville » est « une source de motivation (…) pour apprendre différemment et enrichir ses connaissances, en devant parfois aller au-delà de ce que l’on pense être capable de faire ou savoir ». Une étude approfondie avec les enseignants et leurs pratiques contribuerait à éclairer d’une part le rôle de l’enseignant dans les différentes étapes du défi et d’autre part, leurs besoins en formation/accompagnement face à l’intégration récente des compétences informatiques dans le programme officiel mais aussi sur la pédagogie de projet. En effet, la réussite de ce projet éducatif en dépend, alors que la plupart des enseignants tentent de se former tout en apprenant à leurs élèves. Rappelons que cette participation volontaire des enseignants, leur donne accès à une formation « courte » voire réduite (3h) aux savoirs attendus des nouveaux programmes. Dès 2016, Baron et Drot-Delange mettaient en lumière le fait que cette introduction « soudaine » dans les programmes de cette initiation à la programmation nécessitait de faire acquérir les savoirs informatiques en un temps limité afin que les enseignants soient prêts pour les enseigner. Cela introduisait la réflexion sur l’adéquation possible entre les objectifs visés et les moyens disponibles (temps et humains).

Enfin, si le défi « 2+4 heures Kids : code ta ville » offre une opportunité d’interdisciplinarité, il pourrait offrir un possible prolongement dans le champ des humanités numériques (Allouche 2019). Il s’agit alors d’initier une posture réflexive et critiques chez les élèves de ce qu’apporte à l’humain la technique à travers ce processus de production et de diffusion.

7. Remerciements

L’auteur souhaite remercier tout d’abord toutes les personnes qui ont travaillé de près ou de loin sur le projet « 2+4 heures Kids » depuis l’été 2016 et en particulier les initiateurs comme Gilles Tisseraud (enseignant du premier degré), Guy Lagarrigue (ancien CPD TICE), Alain Guette ancien Directeur des Ateliers Canopé de la Sarthe, Jérôme Paillette (ancien IEN chargé du numérique et de l’EMI de la Sarthe), les collègues ERUN du pôle numérique, les collègues formateurs disciplinaires de l’INSPE, les enseignants du premier de degré et les élèves de leurs classes qui ont bien voulu se lancer dans l’aventure durant 3 années. Ensuite, l’auteur souhaite remercier Aurélie Palud pour son aide dans l’analyse des productions des élèves. Enfin, je souhaite remercier Yuchen Chen qui a suivi et a participé à l’évolution du projet dès son origine et a contribué à l’amélioration de cet écrit.

8. Références

Allouche, E., (2019). Humanités numériques et formation : quels enjeux communs de l’École à l’Université ? Colloque DH Nord 2019 ”Corpus et archives numériques” MESHS Lille Nord de France – 16-18 octobre2019, Lille, France. hal-02321700

Baron, G-L., Drot-Delange, B., Touloupaki, S. (2016). L’éducation à l’informatique à l’école primaire : une bibliographie sélective commentée. Portique adjectif.net. Repéré à http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article38

Baron, G.-L. (2018). Informatique et numérique comme objets d’enseignement scolaire en France : entre concepts, techniques, outils et culture. Portique adjectif.net.

Brennan, K. et Resnick, M. (2012). New frameworks for studying and assessing the development of computational thinking. Proceedings of the 2012 annual meeting of the American Educational research Association, Vancouver, Canada.

Duflot, M., (2016). Jouer à « robot-idiot » pour s’initier aux algorithmes. Pixees. Consulté à l’adresse https://pixees.fr/dismaman-ou-papa-cest-quoi-un-algorithme-dans-ce-monde-numerique-%E2%80%A8/

Drot-Delange, B., (2013). Enseigner l’informatique débranchée : analyse didactique d’activités. AREF, Aug 2013, France. pp.1-13

Galmar, B. (2019). Sensibilisation à la pensée informatique et à la programmation en français avec des apprenants universitaires de FLE à l’aide d’un logiciel libre. Éla. Études de linguistique appliquée, 193(1), 77-89. https://doi.org/10.3917/ela.193.0077

Komis, V., (2016). Une analyse cognitive et didactique du langage de programmation ScratchJr, in actes du colloque Didapro 6, dernier accès le 6 juillet 2020 : https://www.didapro .org/6

Lepage, A. et Romero, M. (2017). Évaluation par compétences d’activités de programmation créative avec l’outil #5c21. In Actes du colloque CIRTA 2017 (Vol. 1). UQAM, Québec : CRIRES

Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche [MENESR]. (2015a). Programmes pour les cycles 2, 3, 4. Repéré à http://cache.media.education.gouv.fr/file/MEN_SPE_11/67/3/2015_programmes_cycles234_4_12_ok_508673.pdf

Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [MENESR]. (2015b). Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Repéré à http://www.education.gouv.fr/cid2770/le-socle-commun-de-connaissances-et-decompetences.html#Un_nouveau_socle_commun_de_connaissances_de_competences_et_de_culture_a_la_rentree_2016

Ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports [MENJS]. (2020). Programmes du cycle 3, en vigueur à la rentrée 2020. Repéré à https://www.education.gouv.fr/media/70282/download

Perrenoud, P. (2002). Apprendre à l’école à travers des projets : pourquoi ? comment ? Éducateur, n° 14, pp. 6-11.

Rey, B. (2009). « Compétence » et « compétence professionnelle » », Recherche et formation, 60 | 2009, Online since 01 March 2013, connection on 12 November 2020. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/756 ;

Tchounikine P. (2016). Initier les élèves à la pensée informatique et à la programmation avec Scratch. En ligne : <http://lig-membres.imag.fr/tchounikine/PenseeInformatiqueEcole.html>

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9. Annexes

9.1. Annexe 1 : Analyse du scénario au regard des compétences de français « Ecriture »

9.2. Annexe 2 : Exemple de production écrite et production écrite oralisée constitutif du média interactif d’une classe

9.3. Annexe 3 : Le livret des élèves


 

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