Auteurs :
Martine Gadille, Aix Marseille Univ, CNRS, LEST UMR7317
Caroline Corvasce, Aix Marseille Univ, CNRS, LEST UMR7317
Kathrine Hasnaoui, Enseignante, Collège Fontreyne à Gap, auteure du scénario présenté.
Pour citer cet article :
Gadille, Martine, Corvasce, Caroline et Hasnaoui, Kathrine (2021). La dictée tchattée : une transposition de la dictée négociée dans un monde virtuel en vue de l’apprentissage de la langue française. Revue Adjectif, numéro thématique 1 : Productions d’écrits et technologies... Regards contemporains. Mis en ligne le 10-04-2021 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip.php?article551
Résumé :
Ce texte propose de comprendre l’intérêt de la pratique d’un entraînement à la dictée utilisant un dispositif numérique. Cette activité de production d’écrits nommée « dictée tchattée » repose sur un scénario dans un monde virtuel issu d’une transposition de la « dictée négociée » que l’enseignante pratique en classe sans le numérique. La méthode est du type Recherche Action Participative (RAP). Le cadre d’analyse repose sur l’apprentissage situé. Il permet de comparer le déroulement de trois types de séances d’entraînement à la dictée puis de questionner notamment la notion de dédramatisation de la dictée en faveur de la désinhibition cognitive, et d’identifier les traces qui favorisent une temporalité pour l’intersubjectivité et la communauté d’apprentissage.
Mots-clés :
Apprentissage situé, Collège, Dictée tchattée, France, Productions d’écrits, Recherche Action Participative (RAP)
Le contexte de notre étude s’inscrit dans un collège comprenant 800 élèves ; ce collège a la particularité d’avoir une culture numérique forte. Depuis 2011, il est engagé dans des partenariats avec la recherche concernant l’intégration du numérique et de ses usages (calculettes, tablettes) et a été labellisé Lieu d’Éducation Associé en 2016 puis Incubateur Académique en 2019. L’année 2016, est celle des premières expérimentations de la technologie des mondes virtuels, dont les codes sources sont similaires aux plateformes de jeux en ligne multi-joueurs. Dans cet environnement virtuel 3D, les enseignants et les élèves peuvent via leur avatar construire, manipuler, partager des artefacts persistants. La communication y est multimodale : verbale (tchat, audio, vidéo) et non verbale (apparence et mouvement des avatars). Le collège virtuel de Fontreyne a ainsi vu le jour avec un nombre d’utilisateurs enseignants et élèves de plus en plus grand. Pour se rendre dans ce collège virtuel, les élèves qui ont reçu une formation au préalable, peuvent, soit disposer de leur tablette en classe, soit se rendre en salle informatique, et se connecter à Internet pour accéder à la plateforme. Sur la base des scénarios disciplinaires ou interdisciplinaires, les élèves font évoluer leurs avatars dans des environnements divers pour y réaliser des tâches : port de pirates, château médiéval, dôme pour les groupes de travail du dispositif « Devoirs Faits » à distance, espace des langues entre des montagnes (image n° 1).
L’objectif de l’article est de comprendre dans cette expérimentation, l’intérêt de la pratique de l’entraînement à la dictée avec l’usage du monde virtuel en classe pour l’apprentissage de la production d’écrits. Cette activité de production d’écrits nommée par l’enseignante de français « dictée tchattée » repose sur un scénario dans le monde virtuel issu d’une transposition de la « dictée négociée » que l’enseignante pratique en classe sans le numérique. Pour répondre à cette question nous mobilisons le concept d’apprentissage situé explicité ci-dessous et qui accorde toute sa place aux processus de négociation de sens émergent de la relation entre le corps, le cadre physique, social et cognitif. Pour comprendre l’intérêt pédagogique et didactique de la dictée tchattée avec ce concept, nous comparons trois séances observées « d’entraînement à la dictée » selon les termes de l’enseignante : une séance de dictée négociée en classe sans le numérique, une séance de dictée tchattée en classe avec la tablette, une séance de dictée tchattée dans la salle informatique disposée en cercle.
Ce travail est présenté comme suit : cadre conceptuel, création et déroulé de l’exercice, méthodologie, résultats et conclusion.
L’apprentissage situé est conçu comme intégré à la participation à un système d’activité, indissociable de celui-ci, profondément déterminé par un cadre de référence physique et culturel particulier (Chaiklin et Lave, 1993). L’unité d’analyse est la relation entre l’individu et ce cadre. Les « communautés de pratiques » » et le monitorat entre pairs que celles-ci permettent sont alors une construction centrale pour l’apprentissage situé (McDermott et Snyder, 2002). Cette théorie est utilisée par la recherche en éducation pour étudier l’effet sur l’apprentissage par l’usage des nouveaux médias numériques, tels que les blogs (Noël, 2015). Dans son état de l’art, cet auteur souligne que l’apprentissage situé repose sur les communautés d’apprentissage, à travers le rôle qu’elles jouent dans la collaboration entre élèves puisant dans une connaissance distribuée entre individus. À ce titre les blogs peuvent sous certaines conditions notamment de mentorat des enseignants, soutenir la co-construction de connaissances, par le partage d’informations et la présentation de points de vue et idées.
Dans le cas de l’apprentissage de l’écrit en cycle 3 avec un outil numérique pour la dictée visant la montée en compétence sur le métalangage, Fenoglio et Brissaud (2020) montrent que l’étayage enseignant est essentiel face à la complexité d’articuler efficacement la tâche et l’activité réflexive des élèves. Plus particulièrement pour les élèves les moins performants l’outil ne suffit pas pour permettre de réfléchir, d’encourager, en vue de l’implication cognitive de tous les élèves dans la tâche. Les blogs peuvent donc, sous conditions de qualité des réflexions des participants et de mentorat de l’enseignant en faveur de cette qualité, offrir des opportunités de conflits intellectuels, conduisant potentiellement à une restructuration cognitive et à une nouvelle compréhension (Meinecke et al., 2013).
À ce titre, enseignants et chercheurs peuvent s’interroger sur l’intérêt d’utiliser la technologie des mondes virtuels, intégrant des fonctionnalités multimodales de communication pour l’apprentissage de l’écrit. Tordo (2019) étudiant la transformation sociale et cognitive humaine encastrée dans la technologie numérique, notamment la réalité virtuelle, suggère que « l’avatar numérique » porte « en son “corps” une partie de l’histoire de l’investissement narcissique de l’image du “corps propre” qui est “un corps en relation” ». En complémentarité avec cet affect, l’avatar serait porteur d’une conjonction de simulation. En effet, la thèse des neurones miroirs exprime que nous disposons d’une capacité de simulation d’actes pour les préparer, ou d’émotions pour s’y préparer, comme si nous disposions d’un double de soi que nous activons (Rizolatti et Sinigaglia, 2008), en même temps que l’avatar numérique permet une simulation mentale du corps intégrant la technologie comme nouvelle donnée de ce corps (Tordo, 2019).
Pour les pionniers de l’usage des mondes virtuels éducatifs, les artefacts numériques, les agents informatiques, les avatars et les contextes virtuels peuvent simuler de façon authentique les communautés de pratiques (Dede et al., 2004). Ils soulignent dans leur réflexion sur la conception de leur scénario (une enquête conduite par les enfants sur les origines de la mort de poissons dans un lac) que le mentorat étayant l’apprentissage situé pouvait être vu de deux façons : soit par des conseils directs d’un expert (l’enseignant, ou un scientifique par exemple), soit par un modèle de participation périphérique légitime entre pairs tel que proposé par Lave et Wenger (1991). C’est ce modèle qui favoriserait l’engagement en profondeur sur un contenu objectif d’apprentissage. Si l’enseignement peut être vu comme un véritable moyen de créer un jeu de langage dans l’activité (Louis, 2013), avec des passages de la non-intentionnalité (état pré-linguistique) à l’intentionnalité (état post-linguistique), les potentialités des mondes virtuels peuvent alors largement venir en appui à cette création. Pastorini (2008) citant le travail de Wittgenstein (1994) rappelle que le jeu de langage naît de sa matrice corporelle (et non pas conceptuelle).
En conséquence le rapport intersubjectif et sa dimension négociée n’a pas son origine dans la réflexion, qui n’est qu’une partie du jeu de langage. Cette spatialité et temporalité du langage à travers la corporéité, conduit à accorder toute son importance au langage non verbal, intégrant le langage corporel, y compris celui exprimé par l’avatar de l’élève, au côté du langage du corps physique en classe, et celui verbal émergeant des prescriptions. Dans ce sens, pour Privat-Bréauté (2017) l’usage des mondes virtuels en éducation, favoriserait une liberté de création en lien avec le langage, l’écran permettant aux apprenants les plus timides dans le face-à-face, une désinhibition cognitive ; celle-ci s’opérerait en masquant les informations sensorielles, émotionnelles et intellectuelles qui semblent superflues ou non pertinentes pour les objectifs fixés (Aden, 2016).
Le défi de l’enseignante en orthographe est de trouver diverses stratégies pour qu’un enfant ne reste pas face à sa phrase sans rien entreprendre pour la corriger et l’engager pleinement dans cette démarche. Cela lui permet de varier son enseignement de l’orthographe afin d’amener les élèves à se poser les bonnes questions.
Lorsqu’elle est utilisée par l’enseignante, la dictée négociée, en classe ou dans le monde virtuel, comprend trois grandes phases : 1) l’enseignante dicte une phrase 2) les élèves posent des questions à l’enseignante sur leurs difficultés pour avoir des indices de correction 3) les élèves se corrigent aussi bien par rapport à leurs questions que celles posées par leurs camarades. La dictée négociée repose donc sur les principes de différenciation et de négociation.
L’idée de la dictée négociée, rebaptisée par la professeur de français « dictée tchattée », a émergé de son souhait de mettre au service de scénarios agiles et ciblés une technologie qu’elle-même ainsi que ses élèves s’étaient appropriée au travers de différents projets de plus grande ampleur, notamment interdisciplinaires. La dictée tchattée repose sur l’usage du tchat commun, une fois les enfants connectés au monde virtuel via leur avatar qui se retrouvent dans un environnement 3D plaisant.
Signalons que les élèves ont exprimé aussi bien à l’enseignante en classe qu’aux chercheurs en entretien, l’envie de déplacer la dictée dans le monde virtuel. L’enseignante a pour sa part réfléchi à l’intérêt de ce déplacement relativement aux compétences visées dans le programme national, dont celle de recourir à l’écriture pour réfléchir et pour apprendre. Elle a également réfléchi aux conditions de réussite de cet exercice transposé.
Le passage de la dictée négociée à la dictée tchattée introduit donc une multimodalité plus complexe dans le sens où les élèves vont se trouver à la fois en classe avec leur corps physique et dans le monde virtuel avec leur corps virtuel, en pouvant communiquer entre eux par un tchat partagé dans la classe supervisée par l’enseignante, un tchat privé entre amis également disponible sur l’interface, et un environnement dans lequel l’avatar peut se déplacer. L’image n°1 sur l’espace d’accueil des avatars dans l’environnement 3D montre que celui-ci est composé de bâtiments, espaces verts, points d’eau, bancs, … Les fonctionnalités vocales de l’interface virtuelle ne seront pas autorisées pour le scénario que nous avons choisi d’analyser ici.
Cet environnement est familier aux élèves de la classe dans le sens où ces élèves ou leurs camarades d’autres classes y ont réalisé des constructions lors des précédents projets interdisciplinaires (images, photos, textes, sons, déposés sur des objets 3D) avec leurs enseignants en classe mais aussi à partir d’activités de construction libres dans le bac à sable sur leur temps libre.
Cette multimodalité lors de la dictée tchattée permet à l’enseignant d’accorder une place importante à un environnement autre que celui de la classe, avec lequel l’enfant a pu développer un affect particulier, à travers les activités menées avec son avatar ; affect qu’il peut diriger sur son propre avatar et par là sur lui-même. Nous souhaitons étudier désormais comment l’enseignante peut utiliser la dictée tchattée au service de la production d’écrits, via ce monde virtuel auquel elle demande aux élèves de se connecter.
L’image n°1 ci-dessous permet de visualiser ce que voit l’élève lorsqu’il se connecte pour faire une activité dans le monde virtuel. Grâce à une caméra en troisième personne, il voit son avatar de dos devant une cartographie interactive des lieux dans lesquels il doit se rendre selon les activités prévues par les enseignants. Le principe est la téléportation de l’avatar lorsqu’il clique sur l’image du lieu sélectionné.
Image n°1. L’accueil du Collège Virtuel et l’interface homme-machine
La séance observée porte sur les cas simples de l’accord du participe passé. Il s’agit d’une classe de 6ième (25 élèves). Les sous-sections qui suivent sont celles du document de préparation de l’enseignante.
4.1. Objectifs
4.2. Consignes
4.3. Rappel sur l’accord du participe passé
4.4. Rappel des règles de procédure
L’image n°2 (extrait vidéo V3/03/20) montre l’écran de deux élèves avec affichage du tchat local commun dans une fenêtre. Sur le reste de l’écran les élèves voient leur propre avatar au milieu des autres élèves. À droite sur l’image n°2, une élève est en train d’ouvrir un document office dans lequel elle écrira la phrase dictée par l’enseignante. Une fois la phrase dictée et écrite sur son document office, l’élève entre en interaction avec ses pairs dans le tchat commun. Il peut y poser des questions sur les règles d’orthographe ou de grammaire sans demander comment le mot s’orthographie, il peut y lire les questions et réponses des autres. L’enseignante modère les échanges et les stimule par exemple en disant qu’elle va demander à deux élèves qu’elle nommera, de poster leur phrase en premier, et que les élèves dont le nom commence par une voyelle aideront le premier élève et les autres le second élève. L’observation réalisée in situ en classe, sur les extraits vidéo et du tchat commun, montre que les élèves s’autocorrigent grâce aux réponses qu’ils obtiennent aux questions, ainsi qu’à leur interprétation des échanges dans le tchat. Ensuite au signal de l’enseignante, ils collent leur phrase dans le tchat pour la rendre visible à tous. L’enseignante indique le nombre de fautes à chaque élève dans sa phrase.
Image n°2. Écran de deux élèves en début de séance
Un deuxième cycle commence pour l’autocorrection, les élèves étant incités par l’enseignante ou leurs collègues à relire les questions-réponses dans le tchat. Sur l’image n°3 extraite de la vidéo n°V30320, un élève qui a fini son travail, montre du doigt le tchat à son camarade qui lui pose des questions, en mentionnant que la solution est dans le tchat : « Regarde ce qu’elle te dit ! ».
Image n°3. Un élève montre du doigt le tchat suggérant à son camarade de lire les échanges pour s’autocorriger.
Finalement l’enseignante poste dans le tchat la phrase corrigée, l’élève la copie et la colle dans son brouillon numérique (image n°4).
Image n°4. Document office de l’élève avec phrase écrite par l’élève et phrase de l’enseignante copiée à partir du tchat commun
Sur l’image n°5, (V30320), après avoir cherché à corriger leurs fautes à l’aide du tchat, et avant que l’enseignante demande de poster la phrase dictée et corrigée une première fois par chaque élève, les avatars de ceux-ci se mettent en action. Dans un des extraits vidéo pris en classe nous observons que l’avatar d’une élève traverse le lieu où sont les élèves sur l’herbe, en allant de droite à gauche, en direction du tchat, juste avant de poster sa phrase. Dans ce même temps, un avatar de fille rejoint trois autres avatars de filles assises en tailleur sur la pelouse et s’assoient avec elles.
Image n°5. Proximité physique entre filles, au premier plan
Sur l’image n°6 (V30320), un troisième élève après avoir corrigé sa phrase, se promène dans le groupe et va s’asseoir sur un cube, attendant l’ordre de l’enseignante pour la poster. En cliquant sur le cube pour s’y asseoir, il apparaît d’abord de dos à l’écran, nous le voyons ensuite manipuler sa caméra (en troisième personne) pour se voir de face et au premier plan de l’écran avec le groupe de ses camarades en arrière-fond. L’observation en classe montre également dans les phases précédentes, que pendant que certains élèves sont concentrés sur l’aller-retour entre le tchat commun et leur document office, d’autres font des micro-pauses. Ils ferment ou réduisent la fenêtre du tchat pour mouvoir leur avatar dans l’environnement 3D. Cette observation est en cohérence avec la notion de double simulation permettant ici une implication motrice du sujet via son avatar dans la temporalité de la dictée.
Image n°6. En attendant la consigne, je me vois avec mes camarades
Cette section détaille la méthodologie de la recherche, la collecte de données, le corpus analysé et les dimensions d’analyse ou indicateurs.
6.1. Méthodologie et corpus analysé
Les données recueillies dans cette séance font partie d’un corpus plus large, constitué pour chaque enseignant utilisateur du monde virtuel au collège. La méthodologie globale est une Recherche Action Participative (RAP) au sens de McIntyre (2008) construite en interdisciplinarité. Elle regroupe des chercheurs en sociologie du travail, sciences de l’éducation, didactique des mathématiques et des langues. La RAP autorise des méthodes qualitatives et quantitatives ; une collecte de données diversifiées dans le cadre d’un accord commun entre les disciplines impliquées et les enseignants ou les élèves. Pour ce scénario en particulier nous disposons d’enregistrements vidéo des séances en classe (V25/01/2019, V11/03/2019, V3/03/2020), d’une copie de l’intégralité de deux tchats communs produits par la classe et de notes lors de l’immersion du chercheur dans les différentes séances en classe. À cela s’ajoute des données d’entretiens réalisés avec l’enseignante et des données de focus groups réalisés avec les élèves (4 focus groups de 6 élèves sur deux années : FG250119, FG110319, FG300120, FG300320). Les entretiens réalisés depuis deux ans avec l’enseignante ont été réalisés selon différentes méthodes : entretien ouvert (KE1 : 19/10/2018), semi-directif (KE2 : 11/03/2019) et d’auto-confrontation (KE3 : 3/03/2020), en fonction des besoins et phase de l’expérimentation. Dans cet article nous utilisons principalement l’entretien KE3, qui portait sur la pratique de la dictée négociée et tchattée à la suite de la séance enregistrée le 30 03 2020, d’où sont extraites les images ci-après ainsi que l’extrait de tchat. Nous utilisons principalement aussi le focus group FG300320. Le corpus est également constitué des documents préparatoires, de e-mails échangés avec l’enseignante sur des interrogations réciproques enseignants et chercheurs, et enfin d’entretiens informels avec des élèves.
Pour la rédaction de cet article, l’enseignante est co-auteure dans le sens où elle a inventé puis expérimenté et perfectionné le scénario de la dictée tchattée, et enfin participé à l’élaboration de la problématique, l’analyse des données dont les traces.
L’ensemble de ces données est structuré sous forme de corpus et stocké en accès privé pour le moment sur la TGIR Huma Num (https://humanid.huma-num.fr/).
La méthode utilisée ici est qualitative et comparative selon le cadre de l’apprentissage situé. Nous comparons trois environnements et leurs jeux de langage, comme pratiques anthropologiques de la reconnaissance (Pastorini, 2008), dans lesquels les élèves évoluent : en classe sans support numérique, en classe avec une tablette via le collège virtuel, en salle informatique devant un ordinateur via le collège virtuel. Dans les deux derniers cas, il y a une imbrication de technologies : le moyen d’accéder à l’outil (tablette ou ordinateur) et l’outil lui-même (la plateforme). Chaque moyen implique une disposition spatiale et physique particulière des élèves.
En classe ou avec la tablette les élèves sont assis dans des rangées entre 2 et 5 élèves. Ils sont physiquement proches.
En salle informatique ils sont assis en arc de cercle, ils regardent vers un mur et sont chacun face à un ordinateur. L’écart est ici d’environ 1 mètre entre chaque élève.
6.2. Dimensions et indicateurs pour la structuration et l’analyse des données
Nous avons retenu 4 dimensions pour l’analyse des jeux de langage et de l’apprentissage situé avec nos données déclinées chacune ensuite en trois types de situations : dans la classe, dans la classe avec le collège virtuel sur tablette, dans la salle informatique avec le collège virtuel.
Dans la première dimension intitulée « Consignes enseignant et décomposition de l’activité », les indicateurs pour les différentes situations de dictées négociées sont les suivants : la temporalité de l’activité exprimée en tâches pour l’enseignant et les élèves, le support de l’écrit (papier, tchat, document numérique), le mode de « prise de parole » (oral, écrit), les gestes de modération de l’enseignante, la modalité de réponse de l’enseignante aux questions des élèves, le repérage de questions ou réponses dans le tchat par les élèves, la manipulation de l’historique du tchat par élèves, les échanges verbaux entre voisins en classe physique et les regards sur copie des autres, la modalité d’affichage de la correction par l’enseignante.
Dans la deuxième dimension intitulée « Langages utilisés : verbal, non verbal, dont hors objectif de l’exercice », les indicateurs pour les différentes situations de dictées négociées sont les suivants : langage oral ou écrit utilisé par les élèves entre eux (demande d’entraide, conseils, autre), proximité physique et/ou sociale dans l’échange entre les élèves, langage des corps physiques ou avatariaux et visibilité pour l’enseignante.
Dans la troisième dimension intitulée « Organisation spatiale et gestion de la classe » les indicateurs pour les différentes situations de dictées négociées sont les suivants : modalités et gestes de la gestion de classe, posture de l’enseignante dont physique, organisation spatiale physique de la classe, organisation spatiale virtuelle de la classe.
Dans cette partie nous présentons à partir d’un tableau le déroulement comparé des trois types de séances d’entraînement à la dictée selon les dimensions et indicateurs indiqués précédemment. Nous réalisons ensuite une analyse de ces résultats mettant en avant une dédramatisation de la dictée en faveur de la désinhibition cognitive, accentuée par un scénario utilisant le monde virtuel selon les principes de l’apprentissage situé entre pairs.
7.1. Déroulement comparé des trois types de séances d’entraînement à la dictée
Dans les tableaux n°1, 2 et 3 nous avons indiqué dans les deux premières colonnes des indicateurs qui nous permettent de comparer les trois environnements de l’entraînement à la dictée à partir de dimensions et indicateurs de l’apprentissage situé prêtant une attention particulière au type de langage et à la relation entre le cadre physique, social et cognitif.
Le premier tableau porte sur les consignes de l’enseignante et la décomposition de l’activité.
Tableau n° 1 : Indicateurs et comparatifs des trois séances : consignes de l’enseignante et décomposition de l’activité
Le deuxième tableau porte sur le langage utilisé durant les séances.
Tableau n°2 : Indicateurs et comparatifs des trois séances : langages utilisés verbal, non verbal
Le troisième tableau porte sur l’organisation spatiale et la gestion de la classe.
Tableau n° 3 : Indicateurs et comparatifs des trois séances : organisation spatiale et gestion de la classe
Ces trois tableaux comparatifs mettent en évidence plusieurs choses. Tout d’abord, une différence forte des multimodalités peut être observée entre la séance en classe sans ordinateur et les deux autres séances en classe et en salle informatique avec ordinateur. Dans le premier cas l’entre-aide entre élèves n’est pas pensée sous forme communautaire et par conséquent n’est pas non plus mentorée par l’enseignante. Il s’agit d’un apprentissage de type socio-constructiviste dans le sens où l’enseignant donne de l’étayage pour que les élèves apprennent à poser des questions sur ce qu’ils ne savent pas sans demander toutefois la réponse orthographiée correctement. Cependant l’entre-aide entre élèves prend principalement la forme orale et perlée et a le statut d’un bavardage qui en s’intensifiant est perçu comme une gêne pour la gestion de la classe. Dans les deux autres cas, l’entre-aide entre élèves est réalisée de façon légitime dans le tchat et sous le mentorat de l’enseignante, favorisant ainsi un apprentissage situé entre pairs, ou potentiellement les plus experts inspirent ceux qui le sont un peu moins, et ainsi de suite.
7.2. Une dédramatisation de la dictée en faveur de la désinhibition cognitive ?
D’après l’entretien KE3, les observations menées et les e-mails collectés, ces trois cas d’entraînement à la dictée peuvent être considérés par les chercheurs comme une stratégie que l’enseignante met en place pour « permettre de sortir d’une forme de fatalisme » (e-mail 11/05/2020) dans le sens où l’enseignante pense que les élèves « intériorisent la honte » de « faire des fautes » (KE3). Toujours d’après l’enseignante, il y aurait en arrière-plan, des parents pour lesquels faire des fautes est synonyme d’être mauvais élève. Par ailleurs, l’enseignante note que les difficultés en orthographe que rencontrent les élèves ne sont pas pointées de la même façon par les enseignants que par les parents.
D’après ce que dit l’enseignante, la dictée tchattée permettrait une « désinhibition cognitive » (KE3) liée au fait de ne pas avoir à poser des questions en levant le doigt grâce à la possibilité de les composer dans le tchat ; la capacité à manipuler le langage et à raisonner s’en trouverait accrue. Lors d’un des focus groups avec les élèves (FG300320), si une élève s’estimant « assez forte en orthographe » n’a pas de préférence entre la dictée en classe sur cahier et dans le collège virtuel, ce n’est pas le cas de ses camarades pour lesquels « c’est bien, il y a des conseils » (e1), « elle nous donne des indices »(e2) « c’est plus facile que la dictée en classe sur le cahier » (e3). Ce dernier verbatim est exprimé par une enfant dyslexique dysorthographique, suivie à ce titre. Le tchat n’étant pas anonyme, les chercheurs font l’hypothèse que c’est bien la question de l’exposition du corps physique à travers l’image de ce corps qui est ici relativisée par le tchat et la présence de l’avatar, comme double de soi.
Dans un espace ludique d’entraînement à la dictée, où finalement l’enseignante selon ses termes, pense que « le sentiment de peur de se tromper s’estompe » (KE3) et où serait alors favorisée « la prise de risques », les jeux de langages sont dits « ouverts », y compris ceux avec l’avatar de l’élève : « Dans le cadre de la dictée tchattée, il s’agit de passer du jugement au jeu, d’évacuer le drame de la dictée » (e-mail 11/05/2020).
Le fait de travailler la dictée tchattée avec les avatars, d’après l’enseignante, permettrait aux élèves d’apporter des solutions à l’orthographe des dictées. Nous pouvons faire l’hypothèse que ces différents types de négociations articulent des dimensions cognitives, sociales et physiques dans l’action.
Par exemple, nos observations permettent de voir certains élèves alterner entre la réalisation attendue du travail (corriger les mots de la dictée) et le jeu qu’il mène avec l’application virtuelle par intermittence avec leurs avatars (explorer le monde avec l’avatar tout en étant en classe, voler au sein d’un monde virtuel et donc sans danger, sans risque pour eux-mêmes…).
Cette dualité entre ces deux activités ne s’observe pas dans la dictée négociée de la classe.
Pour certains élèves, nous faisons l’hypothèse que réaliser la dictée avec l’application virtuelle leurs permettrait une plus grande fluidité de mouvement comme si l’activité cognitive dans ce cadre virtuel prescrit était plus fluide grâce à un corps physique en relation avec un corps virtuel qui lui ne serait alors pas « coincé » sur la seule activité « dictée ». Ce double corps permettrait un va-et-vient entre les deux activités « dictée » et « jeu » pour créer une posture d’évasion avec l’activité « jeu » face à une difficulté au sein de l’activité « dictée » avec la possibilité de revenir vers la difficulté de façon plus sereine que s’il n’y avait pas l’activité « jeu ».
Pour l’exercice de la dictée tchattée avec les tablettes en classe, les élèves identifiés comme ayant des troubles cognitifs de l’apprentissage peuvent utiliser le papier pour écrire la phrase dictée avant de poser des questions dans le chat.
Par contre, nous constatons que lorsqu’ils sont en salle informatique avec des écrans beaucoup plus grands que ceux des tablettes, le traitement de texte est souvent utilisé comme brouillon numérique.
L’écriture numérique semble faciliter la correction de la phrase dictée en évitant les ratures ou la réécriture et semble aussi accentuer la lisibilité de la phrase corrigée.
De plus les élèves en salle informatique copient puis collent la phrase de l’enseignante disponible dans un autre fichier de l’ordinateur en dessous de leur production. Ils ont alors la possibilité de comparer les écritures des mots sur un même espace plan de vision. Nous faisons l’hypothèse que cet élément permet aux élèves de comparer ainsi plus facilement les deux phrases et de repérer leurs erreurs éventuelles restantes après la phase de correction (cf. image 3).
Nous avons observé une certaine aisance dans l’utilisation du tchat, certains élèves ayant même créé des tchats restreints avec leurs amis pour échanger sur d’autres sujets. Les 4 focus group réalisés par groupe de 6 élèves sur les deux années d’observation (24 élèves sur deux ans/50 élèves) montrent que 15 élèves disent qu’ils ont l’habitude d’utiliser les réseaux sociaux tels que “SnapChat” pour échanger entre eux sur leur téléphone portable.
Selon l’enseignante, « La forme tchat » participerait également à « dédramatiser l’exercice » et à « désinhiber l’activité des élèves » lors de la dictée puisque l’outil technique serait « bien maîtrisé par les élèves » et lui paraît à elle « plus informel ». Notons cependant que la quasi-totalité des élèves (45 élèves sur 50) s’efforcerait, lorsqu’ils écrivent sur le tchat en classe, de respecter les normes de l’écrit en évitant un langage codé, parfois crypté comme dans les SMSQuelques-uns même affirment en faire autant lorsqu’ils ne seraient pas en classe.
Concernant l’activité de la prise de parole, par exemple, dans la dictée négociée, les élèves doivent lever la main. Ce langage du corps dans la classe marque une différenciation sur la capacité à lever la main face aux autres élèves de la classe. Pour certains élèves, l’enjeu de poser des questions « pertinentes » à l’enseignant peut venir inhiber l’envie et le geste de lever la main ainsi que la prise de parole de certains élèves. Nous avons pu observer en classe que certains élèves se recroquevillent sur eux-mêmes lorsque la question n’est pas perçue par l’enseignante, par les autres élèves ou par eux-mêmes comme étant « appropriée ». Par contre, nous avons pu observer que d’autres élèves se démarquent positivement en accomplissant l’action.
Rappelons que dans la dictée négociée, le principe pédagogique est inversé : celui qui lève la main ne donne pas la réponse mais pose une question sur une règle qu’il ne maîtrise pas et pointe de la sorte ses difficultés d’écriture en engageant tout son corps. Ce sont alors les élèves en difficulté qui prennent la parole (par la voix) en classe ou par la médiation de l’écrit sur le tchat sans anonymat. Tous les élèves savent alors qui sait et qui ne sait pas.
Dans la dictée tchattée les élèves peuvent lever la main aussi pour une demande d’aide technique sans relation avec des éléments de connaissance liés à la dictée. Pour ces derniers, ils peuvent poser leurs questions et/ou formuler un conseil plus discrètement physiquement par le tchat. Nous faisons donc l’hypothèse que l’activité de poser des questions en lien avec la dictée permet à plus d’élèves de le faire avec moins de peurs et d’angoisses corporelles.
Le caractère désinhibant de la prise de parole de façon médiatisée avec le tchat semble être un élément motivant pour l’enseignante dans le fait de proposer la dictée tchattée. Cette motivation est peut-être un élément qui a permis à l’enseignante de s’engager dans une activité instrumentée. D’après elle, ce scénario ne lui demanderait pas une technicité numérique poussée, ce qui lui permettrait de la mettre en place tout en désinhibant des peurs relatives à la maîtrise de la technologie. C’est d’ailleurs aussi ce point qui semble avoir permis de faciliter le transfert de pratiques chez d’autres professeurs de français. Lors d’une séance en co-intervention, nous avons observé une enseignante venue observer la mise en place de cette dictée tchattée puis qui nous a dit l’avoir reproduite à plusieurs reprises dans sa classe.
Les multiples utilisations du tchat, de façon régulière, associées aux autres manipulations des technologies (notamment en milieu domestique) semblent permettre la construction de repères et d’habitudes, rendant pour certains, certaines technologies familières pour les élèves et pour les enseignants. Nous faisons l’hypothèse que ces habiletés techniques participent à favoriser de meilleures conditions cognitives pour que les élèves puissent s’exercer à la production d’écrits.
Trois conditions sont donc à considérer pour la mise en place d’une dictée tchattée :
7.3. Des traces qui favorisent une temporalité pour l’intersubjectivité et la communauté d’apprentissage
Un deuxième apport serait le changement de temporalités permis par la technologie. Alors qu’en classe, les demandes de correction sont à l’oral, les enfants les moins concentrés ou avec un empan de mémoire à court terme plus faible, perdent rapidement des informations. L’analyse de l’observation en classe des allers-retours entre la manipulation du tchat (monter/descendre) via la souris effectuées par la dizaine d’élèves observés, et les corrections sur leur document office nous permet de suggérer qu’ils recherchent et utilisent des indices pour se corriger. Précisons que pour les enfants dyslexiques, un document photocopié vient étayer leur activité, rappelant les règles d’orthographe et la procédure de l’exercice, et qu’ils peuvent n’écrire qu’une phrase sur deux. Lorsque nous interrogeons l’enseignante sur le fait que l’exercice avec le tchat est plus compliqué pour ceux qui lisent lentement, sa réponse met en avant « l’importance d’expérimenter plusieurs formes de modalités » (KE2), pour le même contenu didactique, pour faire face à une hétérogénéité des perceptions des élèves, « je multiplie les canaux » (KE2).
L’extrait de tchat suivant met en évidence la double mobilisation de l’enseignant (l’expert) et des pairs dans un rapport intersubjectif portant l’activité de réflexion sur les règles d’écriture à transmettre. L’enseignante ne corrige pas les fautes directement, ce qui est aussi le cas dans la dictée négociée (sans le numérique). Mais à la différence de la dictée négociée, elle peut soutenir l’activité cognitive qui permet d’apprendre l’orthographe en incitant les élèves à devenir moniteurs-enseignants auprès de leurs camarades. Cette entraide est possible en classe seulement entre camarades assis à côté, elle reste également limitée du point de vue du spectre des interactions car la phrase est figée sur un texte sur du papier.
Les observations en classe montrent d’ailleurs des élèves qui ne souhaitent pas que d’autres copient leur travail ainsi que des élèves qui n’osent pas demander. La pratique combinée de l’expert enseignant étayant les moniteurs-enseignants que sont les élèves volontaires, est plus large et systématique au niveau des interactions dans le tchat. D’ailleurs, avec la dictée tchattée en classe sur tablettes, l’usage recommandé des traces pour s’aider et s’entre-aider apparaît associé à un échange plus intensif entre élèves en proximité physique alors que le principe pédagogique est le même pour la dictée négociée et la dictée tchattée.
Voici ci-après un extrait de tchat (séance en salle informatique du 03 03 2020) à partir du moment où l’élève prénommé Mael a collé la phrase dictée qu’il a écrite sur le document office :
Mael N. : mon histoire préférée s’appelle la première lettre parce que l’auteur a développé des situations comique
Kathrine H. (l’enseignante) : Maël 4
Maelia B. : est-ce que préféré est au féminin ?
Ilan J. : préférée est un adjectif
Carla P. : c’est UNE histoire donc ?
Marilou G. : je n arrive pas a mettre les guillemets
Clea D. : a mon il y a une majuscule mael
Louna DC : a mon il y a une majuscule
Kathrine H. : Marilou, sous le 3
Romane A. : le .
Kathrine H. : Louna : donne des indices !
Les chercheurs observent conformément aux objectifs de l’enseignante, que le monitorat ne touche pas seulement les élèves qui ne font pas de fautes, ce que suggère le verbatim de Clea qui écrit « a » au lieu de « à » tout en disant de mettre une majuscule à « Mon » (car en début de phrase) et qui ne la met pas au nom propre de Mael. L’enseignante parle d’aspect collaboratif très fort, « de lieu où ils peuvent collaborer, prendre appui les uns sur les autres, et où s’exerce un mimétisme » (KE2), qui semble correspondre selon nous à l’apprentissage situé. L’espace de l’intersubjectivité dans la classe sans le monde virtuel est donc différent de l’espace de l’intersubjectivité dans la classe avec le monde virtuel.
Pour renforcer cette dynamique, l’enseignante pratique aussi une variante : un élève envoie sa phrase, avec les fautes et tous les élèves donnent des indices, comme le fait l’enseignante. Cet apprentissage situé soutient, à travers la collaboration, le passage d’une compétence pré-linguistique à une compétence post-linguistique à travers un engagement pour conseiller les camarades : « que dirait l’enseignante ici pour ne pas donner la réponse à mon collègue mais le pousser à réfléchir à la règle d’orthographe ? » La technologie devient un moyen complémentaire pour l’enseignant de faire comprendre aux élèves que la grammaire et l’orthographe sont des matières qui se raisonnent.
L’apprentissage situé dans la communauté d’élèves de la classe, pour la production d’écrit dans le cadre de la dictée négociée et tchattée porte sur deux types d’écrits : un écrit fortement prescrit, celui de la phrase à orthographier et des écrits encouragés et étayés mais dont les contenus sont faiblement prescrits. Pour produire ces derniers les élèves font appel à la capacité à composer avec les règles d’orthographe et de grammaire pour donner des pistes aux camarades qui ont fait des fautes sans leur donner la réponse. Ce même exercice transposé dans le monde virtuel avec le tchat, transforme la structure des jeux de langage d’un point de vue corporel, cognitif et social à partir de nouveaux repères spatio-temporels dans lesquels s’inscrit la pratique anthropologique de la reconnaissance Moi-Autrui. Les traces écrites dans le tchat permettent de remonter le temps, de voir ce qui s’est produit auparavant.
Les avatars permettraient la sensation d’être en mouvement physiquement tout en négociant avec la consigne et la socio-matérialité de l’environnement. L’usage du tchat dans le monde virtuel autorise une intersubjectivité élève -élève et non uniquement enseignant-élève. Les traces dans le tchat du monde virtuel permettent à l’enseignante d’inciter les élèves à reprendre des écrits d’autres élèves, dont ils pensent qu’ils savent faire mieux qu’eux. Les élèves peuvent aussi, être conduits à restructurer leur langage, lorsqu’il s’agit de formuler des pistes pour l’étayage de pairs à partir des écrits d’autres pairs.
Nous identifions là, une forme de reconnaissance de soi chez l’autre par la formulation de l’aide et la prise en compte de l’aide par l’élève concerné. Nous faisons alors l’hypothèse que cette reconnaissance est un acte de langage, perçu comme un moyen de comprendre le sens de ce qui est fait au cœur de la communauté de pratique.
Il nous semble de même que le fait de voir ou d’entendre un pair, poser des questions pour améliorer sa propre production, peut permettre de développer le stade pré-linguistique chez l’élève nécessaire à une restructuration linguistique même pour un élève qui ne dirait rien.
À partir de ces premiers résultats, l’enjeu pour la recherche est de se concentrer sur l’analyse plus précise des traces d’apprentissage de l’écrit avec une approche longitudinale pour des élèves qui auraient des difficultés d’apprentissage avec l’école. Ces traces porteront sur les deux types d’écrits : les écrits prescrits par la dictée avec le processus filmé d’autocorrections, et les écrits libres pour conseiller et donner des indices sur l’orthographe des mots, qui sont postés aux camarades. Comprendre notamment comment ces posts témoignent aussi d’apprentissages chez l’élève. Pour que l’analyse de cet apprentissage intègre la place du corps et des émotions, les observations in situ, les auto-confrontations et les focus groups approcheront de façon plus systématique les jeux avec les avatars, en tant que double de soi. Nous tenterons de comprendre en quoi ces jeux avec avatars sont des éléments qui peuvent déconstruire ou transformer la forme scolaire de la classe. L’expérimentation présentée ici et impliquant la recherche doit se poursuivre encore un an.
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