Dr Ndiogou NDIAYE
ndiogou@ucad.sn
UCAD
Document de travail
Le texte qui suit a été rédigé à partir d’une thèse soutenue en juin 2011 à l’Université Segalen -Bordeaux II, sous la direction d’A. Baudrit et intitulée « Les Technologies de l’Information et de la Communication et l’Enseignement à Distance dans un environnement de massification des effectifs d’étudiants : le cas de l’UCAD ».
Dans la première partie, nous allons présenter le cadre général de notre travail : la problématique émergente de la croissance importante du nombre de candidats dans les différentes filières des universités sénégalaises et les solutions que la mise en œuvre d’enseignements à distance pourrait apporter. Par la suite, on présentera le cas de l’UCAD et l’analyse des données recueillies : les textes et discours des responsables de l’UCAD autour du développement de l’enseignement à distance ainsi que le positionnement des enseignants par rapport à cela. Finalement, nous avons souligné l’absence de cohérence entre les besoins identifiés et les formations à distance proposées par l’UCAD comme le signe d’une absence de direction réelle et autonome, dépassant les directives des programmes de coopération internationale.
1.1. L’enseignement supérieur et son évolution au Sénégal
La plupart des universités africaines ont été créées au début des indépendances dans les années soixante. Celle de Dakar a été créée en 1957, avec une vocation régionale pour toute l’Afrique Occidentale française. Depuis sa création le secteur de l’enseignement supérieur du Sénégal a connu plusieurs mutations avant l’avènement actuel des TICE. À l’unique université du pays au seuil des indépendances, d’autres structures universitaires se sont ajoutées à partir de 2004. Avec la création d’un réseau de campus universitaires régionaux, nous avons assisté à une véritable décentralisation de l’enseignement supérieur. Ainsi sont créés les centres régionaux universitaires de Thiès, Bambey et Ziguinchor [1]. qui viennent renforcer le dispositif national déjà existant, l’UCAD et l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Mais, comme tous les autres pays de l’Afrique subsaharienne, le secteur éducatif sénégalais est caractérisé de manière assez paradoxale par une surpopulation scolaire malgré le faible taux d’alphabétisation des populations. La progression des effectifs des enseignements secondaires n’a pas été suivie d’un élargissement conséquent de l’accès au supérieur.
Les effectifs des étudiants sont passés de 62 539 à 78 274 entre 2005-2006 et 2006-2007, soit une augmentation annuelle de 25,2 %. Pour la même période, la part du privé s’est accrue de 14,6 % à 20,8 %, traduisant le rôle fort important qu’il joue en matière de satisfaction de la demande d’enseignement supérieur que le public ne peut pas à lui seul assurer. Le dynamisme du secteur privé est très remarquable si on se fie aux résultats qui font état d’un rythme de progression cinq fois plus élevé que celui du public (ANSD, 2007, p. 66).
Durant l’année universitaire 2006-2007, année des derniers chiffres disponibles officiellement, les universités publiques ont reçu 78 284 étudiants pour une capacité d’accueil ne dépassant pas les 40 000 places. Cette augmentation est corrélative d’une évolution spectaculaire des effectifs de l’enseignement de second degré. C’est ainsi que certaines universités limitent les inscriptions à la capacité d’accueil, c’est le cas notamment à l’UGB de Saint-Louis à ses débuts tandis que dans d’autres établissements universitaires, lorsqu’un contrôle des flux n’a pas été introduit, on a assisté à une explosion des effectifs, avec pour résultats un déficit d’encadrement, de matériels et de laboratoires (l’exemple type est l’université de Dakar) ; une détérioration des installations, une forte pression sur les systèmes administratifs et une baisse générale de la performance des enseignants et des étudiants. On identifie là les conséquences du développement du réseau d’enseignement secondaire sur l’enseignement supérieur. Dès lors, il n’est pas surprenant que la voie de l’enseignement à distance ait été envisagée. Nous présentons ci-dessous le cas de l’UCAD.
1.2. Le cas de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD)
Malgré l’avance prise par l’UCAD dans le domaine au début des années quatre-vingt-dix, grâce notamment à l’appui de l’IRD (ex-Orstom), de l’Agence Universitaire de la Francophonie, on n’a pas senti par la suite, une réelle impulsion de l’accès aux TIC au niveau de cette université. Même après l’avènement d’Internet en 1996 il n’y eut pas une dynamique interne de connexion et ceci en dépit des actions menées par des entités comme le Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur. Mais tout de même on voit se manifester les prémices de l’arrivée des TICE avec l’avènement de l’Université Virtuelle Africaine lancée par la Banque Mondiale et le projet d’Université Virtuelle francophone de l’AUF ou encore l’initiative RESAFAD de la Coopération française. (Valérien, J. ; Guidon, J. ; Wallet, J. ; Brunswic, E., 2002, p. 17).
Il a fallu attendre 2004 pour que le recteur dessine et définisse de façon assez claire pourquoi l’université cherche à mettre en place des enseignements à distance : les raisons avancées ont été les suivantes : en se dotant d’une plate-forme de formation à distance, l’université tend à promouvoir l’enseignement à distance et l’apprentissage ouvert et à distance. Il semble en effet urgent de promouvoir l’enseignement à distance compte tenu des défis actuels.
En se dotant d’une structure de formation à distance, l’université aspire surtout à aller vers les demandeurs d’éducation et à minorer les coûts d’éducation traditionnellement supportés par les ménages et les particuliers qui devaient se déplacer vers elle. L’enseignement à distance se complète naturellement par des stratégies d’apprentissage ouvert et à distance. Celles-ci tiennent compte du fait que certains demandeurs d’éducation ne sont pas disponibles en tout temps pour entreprendre et mener, dans les délais traditionnellement impartis, les formations et études souhaitées. Mettre en œuvre des stratégies d’apprentissage ouvert impose donc de définir de nouveaux critères et de nouvelles conditions d’accès à l’enseignement supérieur, nouvelles conditions qui élargissent la limitation des conditions d’accès aux seuls titulaires du baccalauréat (Sall, A.-S., 2004).
2.1. Deux programmes d’EAD : AUF et UVA
Dans la mise en place de la formation à distance au niveau de l’université de Dakar, deux projets ont joué et continuent de jouer un rôle majeur : il s’agit de l’AUF, Agence Universitaire de la Francophonie et de l’Université Virtuelle Africaine : UVA [2] . Comme pour l’introduction des premières formes d’enseignement à distance dans le pays, on constate ici encore que c’est essentiellement par la coopération internationale que les premières formations à distance se sont implantées à l’université. Même le projet FORCIIR de l’EBAD qui semble être le projet d’enseignement à distance le plus réussi de l’université a vu le jour grâce à la coopération internationale, notamment celle de la France.
Ainsi pourrait-on dire que l’histoire de l’enseignement à distance dans les universités sénégalaises se confond avec l’histoire de deux projets de coopération majeure : l’Université Virtuelle Africaine et l’Agence Universitaire de la Francophonie par l’intermédiaire de ses campus numériques francophones. Ces deux projets ont marqué chacun par sa conception et son orientation l’implantation de l’enseignement à distance au niveau de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. D’ailleurs cette analyse nous permettra de voir quelle est en réalité la politique de l’UCAD en cette matière. Il semble bien, au vu de l’orientation différente voire opposée de ces deux structures de coopération, que l’université n’a pas une orientation qui lui est propre dans ce domaine ; elle s’accommode de toutes les propositions d’assistance dans ce domaine. L’essentiel semble être pour les autorités universitaires de consommer les crédits alloués, même si le projet ne rentre pas dans le cadre d’une politique planifiée.
2.2. EAD pour trouver des solutions à des contraintes
Au niveau de l’autorité centrale qu’est le rectorat à travers la DER, une tentative de mise sur pied d’une politique de l’EAD à L’UCAD pour résoudre un certain nombre de contraintes rencontrées est en cours depuis quelques années. Pour son directeur, lorsque le nouveau recteur est arrivé on a voulu mettre en place la réforme LMD. Or la réforme LMD a pour caractéristique d’être un système bimodal, c’est-à-dire que tous les enseignements qui se font en présentiel au niveau de la licence, des masters comme des doctorats sont en même temps des enseignements qui devraient être faits à distance.
Ensuite, il est apparu que la formation à distance pouvait être une réponse à certaines contraintes de l’université. La première de ces contraintes est liée à la forte demande d’accéder à l’université. Il est apparu rapidement qu’avec la massification des premières années et deuxièmes années, l’université n’avait plus suffisamment de locaux au sens physique du terme, pour assurer correctement certains enseignements en cours magistral, c’est par exemple le département d’anglais qui reçoit 3 000 étudiants en première année. En faculté de droit il y a 2 800 étudiants en première année, c’est aussi le cas de la FASEG où on reçoit 2 000 étudiants en première année avec des amphithéâtres dont les capacités en places physiques ne dépassent pas souvent 1 000 places.
2.3. Compétences, pratiques et autonomie en TIC des enseignants
Plusieurs compétences de base sont nécessaires à l’intégration des TIC dans l’exercice de la profession enseignante, puisque l’utilisation des technologies par les enseignants à des fins pédagogiques demeure un immense défi non seulement en Afrique, mais aussi dans certains pays d’Amérique ou d’Europe (Karsenti, 2006). Ainsi, il existe des compétences minimales requises pour une intégration efficace des TIC dans la pratique enseignante.
Nous avons cherché à mieux connaître le niveau d’équipement des différents établissements de l’UCAD et surtout à avoir une vue sur les dispositions des enseignants en terme d’utilisation des TIC dans leur cours. Il y a, il est vrai des situations très disparates en fonction des établissements mais ce qui est important, c’est de savoir si ces acteurs que sont les enseignants qui sont en réalité la clé de succès ou d’échec de la mise en place d’un dispositif étaient plus ou moins familier avec ces types d’outils. La clé de la réussite de l’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Education est constituée par une intégration sans cesse plus forte des infrastructures, des ressources humaines et des contenus. Les contenus éducatifs pertinents de qualité et en quantité suffisante faciles à exploiter doivent être accessibles.
Les enseignants de l’UCAD dans ce cadre semblent bien accueillir les TIC et sont relativement prêts à mieux les intégrer dans leurs pratiques pédagogiques quotidiennes. Les réponses fournies ici laissent présager que les enseignants sont de plus en plus disposés à faire de plus en plus un usage pédagogique des TIC. Les réponses obtenues suite à notre questionnaire permettent de dire que l’innovation dans l’enseignement supérieur se confirme de jour en jour par le développement des TIC dans les pratiques pédagogiques. Mais il s’agit de faire en sorte que les TIC à l’université ne se limitent plus à la recherche documentaire et devenir enfin un outil pour enseigner et apprendre, qu’elles soient ancrées dans les pratiques pédagogiques afin d’améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage.
2.4. Disponibilité et accessibilité des outils TIC
Les données recueillies lors de notre enquête permettent de penser qu’au niveau des équipements TIC et des capacités d’usage des enseignants, l’UCAD ne rencontre pas de difficultés majeures quant à la mise en place d’offres d’EAD conséquentes.
La maîtrise des outils bureautiques est une réalité dans le milieu des enseignants. Même des documents plus complexes comme les documents multimédias et structurés au format html sont maîtrisés par une bonne frange des enseignants, 40, 39 % des répondants affirment être capables de créer des docs bureautiques, multimédias et structurés. Beaucoup d’enseignants utilisent couramment un traitement de texte pour la saisie des sujets d’évaluation, un tableur pour le calcul des notes, des outils de recherche pour préparer, enrichir les cours et s’informer, et le courrier électronique pour échanger avec des parents, collègues et connaissances. L’usage académique des TIC que font les enseignants comporte des activités comme la conception de leurs activités pédagogiques, la mise en forme et l’impression de leurs cours, la réalisation des diapositives de cours et conférences, la recherche documentaire dont notamment l’accès aux revues scientifiques diverses selon leur spécialisation ou encore leur domaine de recherche. Certains enseignants ont déclaré avoir reçu une formation en intégration des TIC à l’enseignement et utilisé l’Internet pour la mise en ligne des contenus destinés à leurs apprenants.
Il est remarquable de noter qu’effectivement Internet demeure une habitude pour retrouver des documents. Tout le monde y a recours. Ceci démontre avant l’heure l’accessibilité du réseau pour l’ensemble des enseignants. L’élargissement du réseau ADSL accessible à un coût relativement pas cher explique aussi la fréquentation assidue du réseau internet. La disponibilité des outils TIC ne pose pas de problème majeur dans les différentes structures de l’UCAD. Seulement la réalité de connexion diffère d’une faculté à une autre. Par exemple à la faculté des sciences, souvent ce sont les enseignants d’un département qui se cotisent pour prendre un abonnement ADSL parce que souvent, malgré le câblage depuis de nombreuses années, le réseau de l’UCAD selon eux ne donne pas encore satisfaction.
C’est, nous pensons la raison pour laquelle 12,30 % disent que leur établissement n’est pas connecté au haut débit, ce qui tout de même pose problème si on généralise l’EAD. Comment en faire si la connexion n’est pas fiable ? L’accès un ordinateur ne constitue pas un obstacle à l’UCAD pour la mise en place de l’EAD. Sur tous les répondants, un seul enseignant dit ne pas posséder un ordinateur personnel.
3.1. Justification : entre réformes et innovations
Les raisons pour lesquelles l’EAD s’implante dans l’espace universitaire sont fort diverses. D’ailleurs on constate que les institutions où l’EAD s’est bien développé ou qui ont des projets en cours, ne rencontrent pas du tout un problème de massification. Et en retour on observe que les institutions qui vivent ce problème de massification n’ont aucun projet en cours et ne mènent aucune politique pour l’implanter. Situation paradoxale si l’on sait qu’officiellement, une des raisons principales de la politique d’EAD des responsables universitaires est de trouver des solutions aux questions de massification. Ainsi le problème qui se pose ici, c’est l’absence d’une politique cohérente d’enseignement à distance avec un plan de déploiement et des objectifs clairement identifiés. Et surtout répondre à la question : pourquoi on fait de l’enseignement ? L’analyse des entretiens que nous avons eus avec des experts FAD et responsables de formation à distance laisse apparaître que chacun agit en fonction de ses propres objectifs, mais qu’il n’existe aucune politique d’orientation globale au sein de l’UCAD.
Il apparaît aussi nettement que la prise en charge d’un quelconque problème de massification n’est pas la préoccupation de ces autorités. Un seul aspect est pris en considération : l’aspect de la formation de professionnels en activité par le biais de l’EAD. Cela n’est pas sans poser de problèmes avec l’objectif du Recteur qui veut à travers l’EAD résoudre les questions d’accès aux cours liées à la massification.
Malgré la volonté reconnue au Recteur d’avoir une vision d’une politique d’EAD, manifestement les objectifs visés par cette implantation sont très différents d’une structure à une autre. L’enquête que nous avons menée a révélé que plusieurs justifications coexistent au niveau du campus de Dakar. Ce n’est pas mauvais en soi disent certains acteurs, mais là où ça pose problème, c’est au niveau de l’orientation globale. Les difficultés de l’UCAD sont clairement connues. Et le discours à ce niveau, c’est d’introduire comme aime à le dire le recteur les TIC et l’EAD pour surmonter ces difficultés, mais en réalité au vu de ce qui se fait, pour le moment du moins, la prise en charge de ces difficultés est royalement ignorée. Et on semble ne retenir que faire des gains, toujours des gains avec l’EAD. Or il est difficile de mettre en œuvre un dispositif d’EAD si on ne détermine pas des objectifs clairs.
3.2. À la recherche perpétuelle de modèles
Les modèles d’EAD sont aussi nombreux que les projets épars qui foisonnent au niveau de l’UCAD. Jusqu’à maintenant aucun choix conséquent n’été fait. Faut faire du blended-learning ? Ou faire comme en faculté de médecine où subsistent plusieurs modèles. L’autorité actuelle qu’est le Centre de Calcul pourra-t-elle proposer un modèle unique facilement évaluable pour être crédible (Lebrun, M., 2005, p.78) ? Et sur cette question fortement stratégique, les experts autorisés de l’UCAD sont loin de s’accorder sur un choix de modèle précis. C’est comme si cette question ne représentait aucun enjeu. Or en réalité la politique cohérente d’EAD dépend essentiellement du modèle choisi. De l’apprentissage à l’évaluation, tout dépend du modèle choisi.
Il est vrai que pour choisir un modèle adéquat d’EAD, il faudrait d’abord bien identifier son public cible à former. Or, en réalité la politique de l’UCAD en ce domaine, n’est pas encore déterminée. Les programmes actuellement en cours (formation des vacataires à la FASTEF, master GAESER, licence et master de l’EBAD), toutes ces formations ont pour public des professionnels en activité, elles ne concernent pas les étudiants des premiers cycles. Et dans le principe, l’EAD et les TIC visent d’abord la prise en charge des étudiants du premier cycle universitaire, confrontés à des problèmes d’accès aux salles de cours. Or, dans ces formations, le niveau d’études, l’âge et l’autonomie d’utilisation d’un ordinateur sont déterminants pour le choix du modèle. Un public adulte déjà expérimenté n’a pas le même comportement en EAD qu’un public de jeunes élèves qui fréquentent pour la première fois l’enseignement supérieur.
Le problème qui se pose, c’est l’absence de choix : autrement dit, il faut nécessairement répondre à la question, pourquoi l’UCAD fait de l’enseignement à distance ? De la réponse à cette question dépendra l’explication sur la pratique actuelle du e-learning par rapport aux difficultés rencontrées par l’université. Ceci est d’autant plus évident que seuls les projets qui ont décollé, sont ceux qui accueillent un public professionnel capable de payer cher pour suivre la formation. Indépendamment de quelques initiatives individuelles à la faculté des sciences, il n’existe pas encore dans aucune faculté, un EAD qui s’adresse directement aux étudiants du premier cycle. Si le recteur est conscient de la nécessaire prise en charge des premiers cycles, il n’en demeure pas moins qu’en réalité les seuls projets que les enseignants acceptent de faire démarrer, ce sont les licences et master. Et d’ailleurs les responsables interrogés ne s’en cachent pas.
Manifestement à l’UCAD, on en est encore à une période de balbutiements, des projets plus individuels qu’institutionnels foisonnent partout, et des tâtonnements administratifs qui ne permettent pas aux TIC d’acquérir une crédibilité auprès des acteurs que sont les étudiants et les enseignants. Par ailleurs, le développement de l’EAD est essentiellement fondé sur la coopération internationale. Toute notre expertise est utilisée à faire de bon montage de projets à présenter aux bailleurs. L’exemple de l’UVA et de l’AUF est là : l’UCAD marche à leur rythme.
3.3. Une trop grande dépendance de la coopération extérieure
Si la coopération peut aider à acquérir des infrastructures et équipements techniques, elle ne pourra en aucun cas définir pour les africains une politique suffisamment cohérente pour la prise ne charge de nos problèmes fondamentaux de développement. Dans les années 90 on nous parlait d’ajustement structurel avec les programmes de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Et les résultats ont été catastrophiques pour l’Afrique. Actuellement le concept en vogue, c’est la lutte contre la pauvreté. Et jusqu’à présent l’Afrique est encore loin de sortir de la pauvreté.
Et pour sortir le continent africain de cette pauvreté, la formation a, avant tout, un rôle primordial. Il est vrai que notre système éducatif est fort dépendant de financement externe mais il y a des choses que nous devons assumer et prendre notre destin en main. Nous avons montré la place qu’occupent l’AUF et l’UVA dans la mise en place de l’EAD au niveau de l’UCAD. Récemment, l’UVA a renforcé sa coopération avec la mise en place du centre Aled (Apprentissage Libre et à Distance). Faut il le rappeler, ces centres Aled existent depuis longtemps et n’ont pas permis aux universités africaines d’avoir une politique cohérente d’EAD. Si aujourd’hui, on revient pour qu’à la suite de l’UVA, qui a connu un échec retentissant (P-J Loiret, 2005), nous présenter le même schéma, sous de nouveaux habits et qu’on saute dessus, il y a quelque chose que les africains de quelque niveau qu’ils soient, n’ont pas encore compris : pour la mise en place d’un programme aux enjeux aussi déterminants pour l’avenir de l’université, faire dépendre toute sa stratégie de mise en œuvre sur une institution qui a ses propres canevas pourrait être catastrophique.
L’UVA a beau changer de stratégie par rapport à ses premières orientations qui ne consistaient qu’à nous retransmettre par satellites des cours tout faits conçus pour d’autres environnements, mais fondamentalement son orientation n’a pas changé. Maintenant avec tous les moyens d’Internet, et les équipements disponibles, si on a encore besoin d’assistance pour ingénieriser nos cours, ça ne marchera jamais. Faire marcher une structure de coordination de l’EAD comportant des ressources humaines, à notre avis, ne nécessite pas de vouloir se faire financer par l’extérieur. Pour rien au monde de notre avis, le Centre de Ressources Pédagogiques et Technologiques (CRPT) ne devrait être mis en veilleuse à cause de l’absence d’un partenaire extérieur qui le financerait.
L’objectif qui a orienté notre travail était d’identifier les problèmes que pose l’implantation des TIC et de l’EAD au niveau de l’UCAD. A terme, nous nous apercevons que cette implantation est un processus à plusieurs vitesses et qu’il y a comme une situation ambivalente en ce qui concerne l’EAD.
Certes des efforts importants ont été faits pour le cas particulier du Sénégal, mais il n’en demeure pas moins que des politiques plus hardies sont nécessaires, pour surmonter d’abord la fracture numérique interne qui existe entre la région de Dakar et les localités intérieures du pays, pour ne pas rester à contempler les merveilles que peuvent entrainer ces outils, des politiques publiques plus dynamiques sont très indiquées pour apporter tout l’appui nécessaire au développement des NTIC. Ces appuis sont aussi nécessaires sur le plan administratif, c’est-à-dire diminuer les taxes relatives aux équipements informatiques et téléphoniques.
Au vu des difficultés rencontrées par l’UCAD, il est apparu que l’EAD pourrait aider à en résoudre certaines mais à conditions qu’une politique claire avec des objectifs bien définis soient identifiés. La situation de l’enseignement supérieur a connu un grand développement ces dix dernières années. Elle est caractérisée par une demande de plus en plus nombreuse d’étudiants qui veulent accéder à l’enseignement supérieur, tandis que son offre de places et de formations demeure très limitée. Dans ce contexte les TIC en général et l’EAD en particulier constituent des alternatives crédibles pour aider à résoudre ce dilemme singulier : la demande d’accès aux études supérieures est nettement plus élevée que les offres de places disponibles dans les amphithéâtres, alors qu’en même temps le pays est en deçà des normes internationales de l’UNESCO qui voudraient au moins que 10% d’une génération accède à l’enseignement supérieur.
L’absence de coordination entre les différentes structures qui composent l’UCAD constitue un obstacle supplémentaire pour la généralisation et le développement de l’EAD. Peut-être les nouvelles attributions données au Centre de Calcul aideront à mieux assurer la coordination des différentes initiatives dans le domaine, si toutefois on arrive à faire la part des choses entre ce qui relève de la technologie et de la pédagogie. Une bonne coordination permettrait, à coup sûr d’avoir une vue globale de ce qui se fait pour mieux définir une politique cohérente. Car actuellement les autorités malgré leur engagement, ne semblent pas pouvoir répondre de manière précise à la question : pourquoi faire de l’enseignement à distance ?
Nous avons vu que toutes les formations à distance actuellement en cours au niveau de l’UCAD s’adressent plutôt à un public déjà en activité professionnelle. Au niveau de l’EBAD qui en a l’expérience la plus réussie, les offres de formations à distance ne s’adressent pas aux étudiants fraichement bacheliers qui viennent d’entreprendre des études supérieures. Autre aspect, qu’il faudrait souligner dans le cas singulier de cet établissement, c’est qu’il n’est pas confronté à un quelconque problème de massification des effectifs d’étudiants.
L’exemple de la faculté de médecine, bien que très séduisant suit la même logique : les offres de formations à distance existantes actuellement sont toutes destinées à des étudiants de troisième cycle en formation continue. L’exemple le plus illustrant est les DIU d’échographie obstétricale. On n’est pas encore à un stade où les étudiants de premier cycle peuvent suivre des cours de formation à partir des hôpitaux où ils font leur stage.
La situation au niveau des facultés comme celle de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) et de celle de la faculté des Sciences Politiques et Juridiques (FSPJ) illustre bien la véritable politique d’EAD de l’UCAD. En effet ces deux facultés constituent l’illustration de toutes les difficultés reconnues et rencontrées par l’UDAD : absence de locaux suffisants pour accueillir la masse des étudiants et surnombre des effectifs au niveau des premiers cycles. En principe on devrait être en mesure de penser qu’une politique pour désengorger les amphithéâtres de l’UCAD devrait commencer par elles. Mais la réalité est toute autre. On ne parle même pas d’enseignement à distance, même les équipements les plus rudimentaires en termes de TIC n’y existent pas. Ce sont les deux facultés les plus mal loties de l’UCAD dans ce domaine et pourtant, à elles seules, elles concentrent toutes les difficultés identifiées. L’absence quasi totale de mesures concernant une politique d’EAD pour ces deux facultés illustre parfaitement que pour le moment ce n’est pas pour apporter des solutions aux difficultés récurrentes de l’UCAD qu’il est prévu de faire de l’EAD.
Au niveau des équipements de l’UCAD, malgré la disparité qui existe entre les facultés, le niveau est tout de même très acceptable. L’infrastructure informatique existe pour se lancer dans l’EAD. Il en est de même au niveau de la capacité technique d’utilisation des TIC tant par les enseignants que les étudiants. Si l’on se fonde sur le modèle de Raby (2005), il apparait que les enseignants se situent aux niveaux 3 et 4 de plus en plus, ils intègrent les TIC dans leurs activités pédagogiques.
Au niveau des étudiants l’utilisation des TIC et d’Internet est beaucoup plus homogène et générale. En effet ces derniers sont plus ouverts et habitués aux nouvelles technologies. Et ce qui est important de remarquer, c’est, que les étudiants ne sont pas aussi mal équipés qu’on pourrait le penser, près de la moitié d’entre eux possède un ordinateur personnel et ils ont tous accès à un ordinateur connecté à internet de façon régulière. C’est donc dire que du point de vue des utilisateurs des TIC et d’Internet, l’obstacle pour un EAD généralisé ne se trouve pas au niveau de la compétence technique des utilisateurs potentiels. L’enquête a mis en évidence la disponibilité d’outils TIC et leur niveau d’usage des acteurs suffisamment avancé.
Le succès de l’intégration des TIC dans l’enseignement supérieur nécessite en effet que certaines conditions soient au préalable remplies. Si sur le plan équipement et accessibilité Internet de l’université des efforts importants ont été accomplis, ce qui semble poser problème, c’est surtout au niveau organisationnel. Une quasi absence de planification rend redondant un certain nombre d’initiatives qui souvent, ne sont l’objet d’aucune évaluation ou suivi. Ce qui semble freiner le développement et l’élargissement de l’EAD n’est pas lié à un problème technique, ni à un problème de formation des différents acteurs qui maitrisent bien les fonctions basiques des TIC pour pouvoir faire ou suivre un EAD.
La conception et la mise en œuvre des dispositifs de FOAD mobilisent un grand nombre d’acteurs, dans des champs professionnels divers, notamment celui de la pédagogie et de la formation, mais aussi celui des TIC qui doivent dégager des éléments communs indispensables à la réussite de cette nouvelle ressource formative. Le constat souvent fait est que, sur une même problématique, des actions ou des dispositifs sont initiés dans certaines structures de l’Université, sans que la leçon des expériences conduites dans d’autres structures de la même université ait pu être tirée.
[1] Ces CUR sont par la suite transformés en universités de plein exercice