Prises comme source d’une nouvelle appétence pour l’apprentissage, les technologies de l’information et de la communication se sont trouvées au cœur d’un dispositif pédagogique original puisqu’il visait la première édition, en Grèce, d’un journal électronique scolaire en langue française.
Au travers de la rédaction du journal "Les enfants du Pirée", 10 apprenants, dont certains en difficulté dans leur apprentissage du français, ont fait preuve de leur volonté de s’impliquer puisque leur travail s’est vu récompensé par l’obtention du prix Multimédia au Concours hellénique de la Francophonie 2010.
Cet article remonte aux origines du projet pour recenser ensuite les apports des technologies de l’information et de la communication aux parcours d’apprentissage des jeunes qui en ont bénéficié.
Le journal Les enfants du Pirée doit son nom à la ville où se trouve l’établissement scolaire qui accueille les apprenants-acteurs de cette initiative pédagogique. Il s’agit d’une école franco-hellénique où le français demeure la première langue étrangère enseignée même si, avant la seconde guerre mondiale, cet établissement suivait le même programme scolaire qu’en France.
Force était de constater que, pendant toute leur scolarité, l’angoisse et la compétition pour l’obtention des diplômes générait une relation d’opposition entre enseignants et apprenants. Pour les apprenants, l’enseignant est souvent celui qui donne les devoirs, qui évalue et même qui punit, alors qu’eux se trouvent dans des situations essentiellement passives.
En ce qui concerne particulièrement les langues, l’apprentissage par cœur, notamment des listes de mots, a pour effet de priver les apprenants du désir de connaître en suscitant l’ennui. Et, comme ils assimilent des mots sans apprendre à les utiliser, les productions écrites ou orales manquent de spontanéité et ne reflètent que pauvrement la réflexion des adolescents.
Les difficultés à dépasser, dans le cadre des productions personnelles, relèvent alors souvent d’une éducation aux médias contemporains : les enseignants observent en effet, de plus en plus souvent, des pratiques dites de « copier-coller », au travers desquels les apprenants tentent d’esquiver l’ennui et l’effort de réflexion inhérent à tout apprentissage. Mais, c’est aussi la peur d’avoir “une mauvaise note” qui suscite ces pratiques...
Ces dernières éloignent les apprenants des recherches raisonnées qui favoriseraient leurs progressions. Or, comme H. Holec l’indique, l’acquisition d’une démarche réflexive correspond aussi à une voie d’accès à l’autonomie :
« L’autonomie de l’apprenant implique qu’il prenne activement en charge tout ce qui constitue un apprentissage, c’est-à-dire aussi bien sa définition, sa gestion et son évaluation que sa réalisation. Pour ce faire, il doit savoir apprendre. » [1]
Dans l’optique de la mise en place d’une réflexion face aux apprentissages tout autant que face aux informations véhiculées par les nouveaux médias, le journal électronique en langue française offrait alors l’opportunité d’un nombre varié de tâches pouvant remplir ces besoins.
Dans le cadre du projet de la rédaction du journal électronique, il fallait en effet, dès les premières séances, aborder la nécessité de délivrer les sources des articles pour authentifier les contenus propres aux auteurs des textes.
La méthodologie qui guidait ce dispositif pourrait en ce sens être qualifiée de maïeutique : à partir de deux ou trois articles provenant de différents journaux et portant sur le même sujet, il s’agissait d’amorcer un débat concernant les traitements faits d’une même information. Là débutait déjà pour les apprenants, la prise de conscience des variations relatives aux objectifs des différents auteurs...
Avant la publication, la lecture des articles en classe permettait l’ouverture de nouveaux débats : conscients de leurs droits et de leurs devoirs, mais aussi pris au jeu de leurs rôles d’auteurs, les apprenants se tenaient prêts à écouter les critiques de leurs pairs, ainsi qu’à leur répondre en argumentant.
Toutes ces discussions leur permettaient alors d’apprendre à juger de la fiabilité des informations, à lire avec un sens critique ainsi qu’à découvrir les subtilités des argumentations. La rédaction du journal électronique, était par conséquent vecteurs d’apprentissages plus vastes que ceux purement linguistiques :
« Développer un jeune lecteur critique de la presse, c’est également l’outiller pour qu’il apprenne à exprimer son opinion à propos des informations qu’elle diffuse, en sachant exposer les raisons de ses appréciations et de ses jugements personnels. » [2]
Le projet du journal électronique engageait ces apprenants dans une démarche d’analyse de la presse et de leurs propres productions. Conscients des enjeux de la rédaction, ils ne laissaient rien au hasard et poursuivaient généralement la réflexion en dehors des heures de classe.
En témoigne notamment ces deux événements de mi-parcours : l’enregistrement d’une interview de la rubrique Société n’ayant pu se réaliser pendant les heures de classe, deux des élèves ont pris l’initiative de filmer l’interview chez elles avec leur portable ; et, durant la préparation du projet, deux élèves de l’équipe journalistique ont décidé de déposer de manière individuelle leur candidature au concours hellénique de la Francophonie. La seconde fut également primée pour la Charte de la tolérance et du respect.
Ces deux évènements révèlent l’importante motivation que ces apprenants ont pu nourrir dans le cadre du projet du journal électronique et c’est un fait que les chercheurs de ce domaines admettent généralement :
« L’amélioration de la motivation et de l’attention ainsi que la continuité entre le temps d’apprentissage dans et hors la classe sont des caractéristiques souvent mises en évidence dans les travaux portant sur les TIC. » [3]
La rédaction des articles permettait en effet aux apprenants d’utiliser les connaissances acquises de façon autonome et personnalisée. La perspective d’être vus et entendus non seulement dans le contexte scolaire, mais aussi devant un public large, celui des internautes, motivait visiblement l’élaboration de leurs démarches.
C’est donc à partir de tâches précises que les 10 apprenants de ce groupe classe ont appréhendé plusieurs formes d’expression journalistique, toutes centrées autour d’une thématique commune (Comment rendre le monde meilleur ?, question posée au concours hellénique de la Francophonie 2010). Cette question générait la cohérence globale des parcours d’apprentissages.
Au lieu des simulations et des jeux de rôle, le journal électronique permettait de plus aux apprenants de s’exprimer de manière authentique. Dans le cas de la rubrique Musique par exemple, et contrairement aux manuels scolaires qui proposent généralement une langue standard, le domaine de la musique actuelle mobilisait la diversité des usages en langue française parce qu’elle s’inscrit dans un champ social proche de l’âge et des centres d’intérêts des adolescents.
La découverte du français contemporain suscitait leur enthousiasme et les conduisait à réaliser des recherches personnelles afin de développer leurs connaissances. C’est là aussi ce que soulignait F.Mangenot au sujet des technologies de l’information et de la communication :
« L’hypermédia sert à activer ou réactiver toutes ces connaissances, à apporter du matériau linguistique nouveau et authentique, et surtout à intégrer tous ces éléments dans un cadre motivant pour les élèves. » [4]
À l’idée de la publication de la vidéo en ligne, les apprenants se sentaient en effet responsables de leur apprentissage et de leurs erreurs, ce qui les incitait à perfectionner leurs productions.
La publication constitue en effet, en elle-même, un acte valorisant qui peut développer l’esprit d’initiative et encourager les apprenants à s’impliquer dans des activités connexes, comme la présentation de leurs travaux aux autres apprenants de l’école, ou encore à leurs parents...
Le journal électronique aménageait donc un espace de réflexion en amont des disciplines, nourrissant la créativité des apprenants. Il offrait une flexibilité de programmation des apprentissages, tant à l’enseignant qu’à l’apprenant, puisqu’elle se basait sur les différents documents authentiques qui pouvaient favoriser l’évolution du projet.
Se distinguant des habitudes d’un enseignement plus traditionnel, le journal électronique suscitait de nouveau le goût d’apprendre et renforçait les liens parmi les apprenants qui partageaient les risques d’un travail collectif.
La perspective transdisciplinaire adoptée dans le cadre du journal électronique permettait de ne plus être limités à un travail isolé en classe de langue, mais de s’ouvrir aux questions des réalités sociales contemporaines. Cela nécessitait un investissement personnel important pour tous les apprenants mais aussi, pour les enseignants qui collaboraient à l’organisation des axes de travail.
Les enfants du Pirée ont constitué en ce sens un projet mobilisateur à l’échelle de tout l’établissement. De cette expérience, on retiendra donc la participation et l’implication de tous : institution, corps professoral, élèves et parents. Sur ce point, N.Guichon relève d’ailleurs que :
« le projet de conception en milieu institutionnel naît de la conjonction de divers facteurs parmi lesquels on trouve, d’une part, un collectif de personnes motivées pour s’investir dans une entreprise de longue haleine, d’autre part, un contexte professionnel favorable où l’innovation pédagogique, la prise de risques et le travail de groupe sont encouragés et, enfin, une problématique qui émerge de la pratique et que le collectif envisage de résoudre, en partie, avec des outils multimédias [5] »
La participation au concours hellénique de la Francophonie a donné à ce projet des tournures de Franco-folies mais il n’en demeure pas moins qu’il a constitué une dynamique capable de transformer le contexte traditionnel en un espace d’interactions foisonnantes, sources de multiples apprentissages.
Ouvrages
Articles
[1] HOLEC, Henri, "Autonomie de l’apprenant : de l’enseignement à l’apprentissage", Education Permanente, n°107, 1991.
[2] PIETTE Jacques, « Développer la pensée critique des élèves par l’éducation aux médias », Dossier « Les domaines généraux de formation », Vie pédagogique, n° 129, nov.-déc. 2003,p.42-45
[3] POYET Françoise, DRECHSLER Michèle. « Impact des TIC dans l’enseignement ». Dossier d’actualité de la VST, n° 41, janvier 2009.
[4] MANGENOT François, Quelles tâches dans ou avec les produits multimédias ? in actes du colloque, Triangle XVII, "Multimédia et apprentissage des langues étrangères", Paris : 2000, ENS-Editions.
[5] GUICHON Nicolas, Langues et TICE, Méthodologie de conception multimédia, Paris : Ophrys, 2006, Collection Autoformation et Enseignement Multimédia, p.29