Pour citer cet article :
El Soufi, Aida et Jabbour, Joana (2019). Le Tableau Blanc Interactif et le développement de l’expression orale en langue française en EB7. Observations et point de vue de deux enseignantes. Adjectif : Analyses et recherches sur les TICE, 2019 T2. Mis en ligne jeudi 20 juin 2019 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article498
Résumé :
Cette recherche vise à documenter les manières dont les enseignants utilisent le tableau blanc interactif (TBI) en classe de français dans le cadre du développement des compétences à l’oral chez les apprenants.
Nous avons réalisé une étude exploratoire auprès de deux enseignantes, en utilisant trois méthodes : un questionnaire, des entretiens et des observations de classe. Le questionnaire porte sur l’apprentissage du français, l’intégration des technologies en classe, le rôle du TBI et les solutions proposées par les enseignantes. Les entretiens semi-directifs avec les deux enseignantes cherchent à comprendre leur point de vue sur les apports des technologies, les formations suivies pour utiliser le TBI, les représentations relatives à cet outil, les difficultés de l’oral, les solutions proposées et le rôle du TBI pour réduire ces difficultés. Cette recherche nous a permis de découvrir que les utilisations du TBI sont centrées sur les enseignants et réduites à des utilisations de types vidéo-projecteur ou tableau traditionnel.
Mots clés :
Apprentissage des langues, Français langue étrangère (FLE), Liban, TNI
Durant la dernière décennie, le TBI est devenu un outil pédagogique très répandu dans les établissements scolaires. Ses potentialités pédagogiques ont poussé de nombreux directeurs scolaires au Liban à investir des sommes considérables dans l’équipement des classes (puisque son installation nécessite également la présence d’un ordinateur et d’un projecteur) et dans l’entretien du matériel technologique. Des formations surtout technologiques, souvent organisées par le vendeur lui-même, ont été mises en place pour permettre aux enseignants de s’initier à l’utilisation de ce nouvel outil.
Cette étude est formée de deux volets qui se complètent : l’un consacré au point de vue des apprenants concernant l’utilisation du TBI pour apprendre l’oral a été traité dans un article à part [1] et le deuxième est traité dans cet article et cherche à comprendre comment est utilisé le TBI par deux enseignantes pour le développement du lexique et de l’expression orale en langue française en classe de EB7 (5ème). Nous cherchons également à savoir dans quelle mesure le TBI a influencé ou non leurs pratiques au quotidien.
1.1 Contexte de l’étude
L’étude est menée dans un établissement scolaire privé qui a installé des TBI dans tous les cycles à l’exception des classes secondaires. Il a obtenu le label CELF (Certifications des Enseignants en Langue Française) mis en place par l’Institut français en 2011 pour améliorer la qualité de l’enseignement en français et celui de « FrancEducation » (Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères). Les deux labels sont décernés aux établissements qui dispensent un enseignement de et en langue française.
Dans le but d’obtenir ces labels, la direction a exigé des enseignants de langue française et des disciplines non linguistiques (DNL), de réussir le DELF (diplôme d’études de la langue française) et le DALF (diplôme approfondi de la langue française).
Malgré des années d’apprentissage du français, beaucoup d’apprenants éprouvent des difficultés à s’exprimer à l’oral, ce qui entrave la compréhension de la langue et pousse à la traduction ou à l’utilisation de la langue maternelle, l’arabe ou le dialecte libanais dans ce contexte. Cet article cherche à explorer comment les enseignantes utilisent le TBI pour mieux développer le lexique et l’expression orale en français des apprenants en EB7 (5ème).
Notre hypothèse est que l’utilisation du TBI favoriserait le travail collaboratif. Les discussions dans un groupe enrichiraient le lexique de tous les membres et leur permettraient d’investir le vocabulaire acquis. Grâce à ses fonctionnalités, le TBI donnerait à l’enseignant, en fonction des objectifs pédagogiques et des besoins des apprenants, la possibilité de créer des activités variées qui les impliqueraient davantage dans l’apprentissage. Ces activités devraient se faire à travers « des situations pédagogiques encadrées par les enseignants et mises en œuvre par l’intermédiaire du TBI » (Mélot, Strebelle et Depover, 2015, p. 21) et « une utilisation réfléchie et partagée du tableau interactif » qui susciterait « la participation active des apprenants » (Duroisin, Temperman, & De Lièvre, 2011)
1.2 Importance de l’expression orale dans l’apprentissage d’une langue
L’apprentissage d’une langue vise la communication avec les autres dans des situations variées de la vie quotidienne, d’où l’importance qu’il faut accorder à l’oral, compétence par laquelle doit commencer l’apprentissage d’une langue et qui doit rester en autonomie par rapport à l’écrit (Martinez, 1996, p. 91‑92). Il est vrai que « la composante orale ait été minorée dans l’enseignement des langues étrangères » (Cuq, 2003), cependant, elle est très importante et occupe une place primordiale dans l’apprentissage des langues, vu l’évolution des méthodes d’enseignement. Elle occupe une place privilégiée dans toutes les instructions officielles visant l’enseignement du français. Partant de ce principe et comprenant le rôle de l’oral dans l’apprentissage du français, le curriculum libanais consacre 40 périodes à la compréhension et à la production orales de la langue française dans l’enseignement moyen (classes EB7, EB8 et EB9).
Il ne faut pas oublier que le français est également utilisé dans les écoles libanaises francophones privées pour apprendre les disciplines non linguistiques (DNL) comme les mathématiques, les sciences et l’informatique ou même les humanités comme l’histoire et la géographie.
Perrenoud (1989) considère qu’« il faut se défaire de l’idée qu’il y a des savoirs à transmettre. Les compétences sont construites par l’élève en situation d’interaction ». Pour ce chercheur, l’acquisition et la maîtrise de l’oral constitue une « entreprise de longue haleine, continue et cohérente ». Pour cette raison, il invite l’enseignant à aménager dans la classe des moments permettant aux apprenants de s’exprimer à travers de « véritables situations de communication avec de vrais enjeux entre les interlocuteurs » (Perrenoud, 1988) tout en ayant comme principal objectif « le fonctionnement du groupe-classe, l’ouverture sur l’extérieur […] » pour que l’apprenant puisse manifester sa pensée et ses sentiments, communiquer avec autrui et se faire comprendre d’eux (Schneuwly et al., 1996).
Lafontaine (2005) accorde de l’importance aux genres, « des types de discours oraux qui relèvent […] des discours écrits courants comme les articles de journaux, et des discours écrits littéraires comme les contes ». Il s’agit de « pratiques orales socialisées » que les apprenants rencontrent en dehors du cadre scolaire comme l’interview pour une radio scolaire, la présentation d’une recette de cuisine, la participation à une table ronde sur un sujet d’actualité, la présentation d’exposés, etc. (Schneuwly et al., 1996). Il importe aussi de prendre en considération l’intérêt des apprenants dans le choix des activités pour les engager davantage dans la réalisation de la tâche et développer l’interaction entre eux.
1.3 Les effets du TBI sur les pratiques des enseignants
Le TBI est un outil captivant, capable de fasciner enseignant et apprenant. Certains chercheurs prétendent que grâce à son interactivité, il a transformé l’espace traditionnel de la classe qui est devenu « un environnement de travail, de formation et d’apprentissage » (Jeunier, Morcillo-Bareille, Camps, Galy-Marié, & Tricot, 2005). Dans la revue de littérature établie par Boulch’H et Baron, certains chercheurs prétendent que, le TBI favoriserait une présentation des cours plus dynamique, plus claire, plus efficace et faciliterait les discussions et les interactions entre apprenants (Boulc’H & Baron, 2011). Pour Jeunier et ses collaborateurs (2005), son utilisation motiverait les apprenants et accroîtrait leur participation durant les cours.
Il leur donnerait la possibilité de développer des compétences cognitives en leur facilitant la réalisation de tâches motivantes. Il aiderait l’enseignant à varier ses approches pédagogiques et de présenter son cours d’une façon interactive à condition de savoir bien l’utiliser. Il pourrait également varier la nature des ressources pédagogiques (Karsenti, 2016) et présenter « certains contenus théoriques de façon multisensorielle » (Saltan & Arslan, 2009).
En effet, les différentes options du TBI pourraient transformer les pratiques pédagogiques et développer la créativité de l’enseignant en présentant les leçons d’une façon plus interactive. La tâche de l’enseignant serait ainsi modifiée : il ne suffit plus de s’initier au logiciel mais en plus, il s’agit de « comprendre en quoi ces ressources peuvent contribuer à réaliser les objectifs » (Gage, 2012). En effet, l’enseignant devrait trouver comment il est possible d’utiliser le TBI pour améliorer son approche méthodologique et créer des activités pédagogiques pour rendre les apprenants plus actifs. Il lui serait aisé d’animer sa classe en exploitant les possibilités offertes par le TBI pour faire participer tous les apprenants : cet outil, grâce à sa taille, permet de travailler en classe plénière (Gage, 2012). L’enseignant devient ainsi un animateur : il propose aux apprenants des activités de collaboration qui leur donne l’occasion de s’impliquer davantage et de construire eux-mêmes leurs compétences.
1.4 Limites du TBI
On pourrait être de croire que les changements technologiques entraînent des modifications dans les approches pédagogiques, « chaque nouveauté technologique annonce sa propre révolution pédagogique et chaque nouvel instrument porte le germe d’une transformation de l’apprentissage » (De Ladurantaye, 2011). Il est vrai qu’une bonne utilisation du TBI améliore son efficacité pédagogique (Joyet, Bourguignon, & Boublil, 2008). En revanche, quand il est uniquement utilisé à l’appui d’un cours magistral, l’intérêt des apprenants se trouve réduit puisque « le facteur humain […] représente une variable-clef pour obtenir un impact positif des technologies sur l’apprentissage » (Depover, Karsenti, & Komis, 2007).
L’engouement et la motivation des élèves pour cet outil est probablement un effet de nouveauté qui finit par s’estomper avec le temps. Cela dépend également de la manière dont l’enseignant l’utilise en la classe : s’il en fait une utilisation purement magistrale ou s’il l’utilise pour créer des activités exigeant de la part des apprenants une implication accrue dans son utilisation. En effet, il serait intéressant que l’enseignant permette aux apprenants d’utiliser fréquemment le TBI pour faire des présentations ou réaliser des activités en classe. Malheureusement, quand « il l’utilise pour de longues séances magistrales, l’intérêt porté à cet outil diminue au fil des séances et les apprenants finissent par s’ennuyer et leur motivation décroît » (El-Soufi & Jabbour, 2018).
Cette recherche exploratoire vise à découvrir comment deux enseignantes de langue française utilisent le TBI en classe pour développer l’expression orale chez les apprenants, leur démarche pédagogique ainsi que les ressources utilisées. La recherche est gérée par le principe de la triangulation pour que la collecte des données soit plus fiable et utilise trois outils : le questionnaire, l’entretien et l’observation en classe.
Un questionnaire, composé de 12 questions ouvertes et semi-ouvertes, a été adressé aux deux enseignantes de français de EB7.
Il traite l’intégration des technologies, de leur influence sur l’enseignement et de la modification des approches pédagogiques. Il tente aussi de déterminer les compétences technologiques des enseignantes, l’usage fait du TBI, les avantages éducatifs de cet outil, les problèmes rencontrés et son efficacité dans l’enseignement-apprentissage de la langue française. Il a été soumis oralement aux deux enseignantes afin de leur permettre de développer leurs réponses et de présenter plus en détail leur point de vue concernant l’utilisation du TBI.
Une des limites de cette étude, outre la taille très réduite de l’échantillon, est le temps que les enseignantes ont bien voulu nous accorder. Au départ, nous avons prévu 30 à 40 minutes par entretien mais les enseignantes ont jugé le temps trop long et ont accepté de l’effectuer durant les récréations d’une durée assez limitée (15 minutes chacune), ce qui a réduit le temps des entretiens : 9 minutes (enseignante A) et de 6 minutes (enseignante B).
Les deux enseignantes ont également accepté d’être observées durant 3 séances seulement à condition de ne pas être filmées. Nous avons élaboré une grille d’observation concernant l’utilisation du TBI et les exercices et les activités proposées aux apprenants.
2.1 Analyse des questionnaires
2.1.1 Profil des enseignantes
Les enseignantes, d’une trentaine d’années, sont titulaires chacune d’un master en langue et en littérature françaises et enseignent depuis huit ans. Elles utilisent les technologies depuis 12 ans au niveau personnel pour envoyer ou recevoir des courriels, pour effectuer une recherche sur Internet ou pour utiliser Facebook alors qu’au niveau professionnel, l’enseignante (A) le fait depuis deux ans et l’enseignante (B) depuis huit ans. Elles pensent que leur niveau de compétences en TBI est « assez bon ». Au moment de son implantation, elles ont reçu une formation technique d’une durée de 2 mois pour l’enseignante (A) et d’un mois pour l’enseignante (B).
2.1.2 Points de vue concernant les apports pédagogiques des technologies
L’enseignante (A) utilise des termes comme « la culture, l’accessibilité, la facilité d’un travail, la motivation » pour présenter les apports des technologies dans l’enseignement. Elle considère que les technologies ont influencé les approches pédagogiques puisque les apprenants sont plus « motivés » quand ils visionnent une vidéo ou écoutent un document sonore. L’enseignante (B) répond avec des phrases plus développées et pense que « les technologies développent l’esprit de recherche et favorisent la collaboration entre élèves ou classes au sein d’une même école ou dans des écoles différentes ». Elle trouve que les technologies attirent les apprenants grâce aux supports variés et considère que « le travail [devient] plus organisé ce qui facilite, par la suite, l’apprentissage ». Les deux enseignantes utilisent « Internet » et « des sites » pour leur préparation. Seule l’enseignante (B) précise qu’elle cherche « surtout [des] documents sonores » à partir de « Bonjour de France », « RFI » et « TV5 ».
2.1.3 Technologies et réussite scolaire
Concernant l’influence des nouvelles technologies sur la réussite scolaire, l’enseignante (A) met l’accent sur « l’apprenant » qui utilise la technologie comme « source de distraction », ce qui influence négativement ses résultats. L’impact devient positif lorsqu’elle « facilite la compréhension et l’apprentissage d’une leçon ». De son côté, l’enseignante (B) considère que c’est la manière dont les technologies sont utilisées, qui détermine leur impact positif ou négatif. Elle pense que la réussite des apprenants dépend de l’enseignant qui précise des objectifs en fonction desquels il intègre les technologiques dans sa classe. Les deux enseignantes les utilisent pour développer « la compréhension et l’expression orale ». Pour elles, l’expression orale se réduit à l’exploitation des vidéos ou aux réponses des apprenants aux questions posées. Aucune d’elles ne mentionne un exercice ou une activité réalisés au TBI pour développer le lexique des apprenants.
2.1.4 Utilisation du TBI en classe
Elles s’accordent également pour estimer que les apprenants utilisent souvent le TBI « pour présenter leurs projets, leurs exposés, pour garder des documents ou des travaux qu’ils ont eux-mêmes préparés ». Elles considèrent que le TBI motive les apprenants parce qu’il attire « leur attention » grâce « aux documents » (enseignante A) et parce qu’il est « plus proche [de leur] vécu » (enseignante B). Cette dernière pense aussi qu’il « développe la capacité de raisonner et l’esprit de recherche » chez les jeunes et leur donne l’occasion de « résoudre des problèmes, d’établir des liens entre les choses et les rend plus créatifs ». Elle précise aussi que son efficacité dépend de son usage : il est efficace pour l’enseignant quand il « sait le manipuler » et pour l’apprenant quand il peut utiliser « des documents variés ».
Elles pensent aussi que le TBI facilite le travail en classe, développe les compétences orales et motive les apprenants. Il facilite aussi la réalisation de projets parce qu’il permet de rechercher et de collecter les informations. Les enseignantes citent les activités orales sans clarifier ce que le terme « activité » signifie pour elles. En plus, elles ne parviennent pas à donner des exemples concrets concernant l’utilisation du TBI par elles ou par les apprenants ni sur ses éventuelles potentialités. Elles pensent que le TBI constitue un bénéfice parce qu’il facilite la tâche de l’enseignant.
Finalement, elles pointent les problèmes techniques en relation avec « la maintenance, l’électricité, le réseau ou la connexion internet ». L’enseignante (B) évoque aussi deux problèmes d’ordre pédagogique : le temps de préparation et la difficulté de trouver des ressources convenables au public cible et aux objectifs pédagogiques.
2.2 Analyse des entretiens
2.2.1 Importance des technologies pour les enseignantes
Les deux enseignantes s’accordent à dire que les technologies ont facilité la tâche de l’enseignant en leur permettant d’effectuer des recherches sur Internet et de trouver des ressources variées à condition de savoir trier les informations. Pour l’enseignante (B), il importe aussi de savoir sauvegarder et organiser les informations sur ordinateur. Les deux utilisent l’ordinateur pour la préparation du cours puisqu’il faut la présenter « tapée ». Mais alors que l’enseignante (A) a recours au TBI pour travailler « tout ce qui est document sonore », sa collègue, l’enseignante (B), l’utilise pour trouver « des documents sur YouTube », sur « RFI et TV5 », qui traitent « des sujets d’actualité » intéressants et qui sont « proches des thèmes » travaillés en classe.
2.2.2 TBI et apprentissage de l’oral
En ce qui concerne le rôle du TBI dans l’apprentissage de l’oral, il y a également accord sur le fait qu’en général, l’oral « constitue une difficulté » vu que les apprenants sont « libanais » et que le français n’est pas leur langue maternelle. (A) pense que « le choix des mots et du lexique à apprendre dépend des thèmes travaillés en classe » mais aussi du « langage courant ». Alors que sa collègue pense que la maîtrise d’une langue « dépend également des milieux et des familles ». En d’autres termes, les apprenants issus de familles francophones maîtrisent mieux la langue française que ceux qui ne la pratiquent qu’à l’école. Elle précise qu’elle travaille les mots en rapport avec le thème traité mais aborde aussi avec les apprenants les « sujets d’actualité » pour découvrir le monde dans lequel ils vivent et acquérir un lexique riche et varié.
Pour enrichir le lexique, les deux accordent de l’importance à « la pratique de la langue » et aux « documents sonores » qui permettent aux apprenants « d’apprendre des termes qui leur serviront dans […] les compétences écrites » (enseignante B). Les deux enseignantes pensent que les élèves devraient écouter des documents sonores pour acquérir du lexique et s’exprimer correctement à l’oral. Elles considèrent également que le TBI est un « outil qui permet de travailler des documents sonores » (enseignante B) et un « moyen pour sortir un peu du livre » (l’enseignante A) mais ne pensent pas pour autant que son utilisation permettra de surmonter les difficultés de l’oral.
2.3 Observations de classes
Les observations réalisées en classe visent à comprendre comment elles utilisent le TBI pour travailler l’expression orale. Sur deux semaines successives, six séances d’observations, d’une durée de 50 minutes chacune, ont eu lieu dans les deux classes de EB7. Chaque classe est équipée d’un TBI et d’un tableau traditionnel à craie.
2.3.1 Utilisation du TBI par les enseignantes en classe
Durant les six séances, les deux enseignantes ont utilisé le TBI pour projeter un court‑métrage ou une illustration qu’elles ont exploités en posant des questions orales aux apprenants. Les deux enseignantes ont fait visionner le court-métrage tout d’abord sans le son pour permettre aux apprenants d’émettre des hypothèses sur le contenu. Après le visionnage avec le son, elles ont posé oralement des questions de compréhension. Les élèves y ont également répondu oralement. Elles ont utilisé le TBI pour noter les réponses des apprenants, écrire les mots difficiles et corriger le devoir. Au lieu de sauvegarder la correction faite au TBI et de partager le fichier avec les apprenants, elles leur ont demandé de copier la correction sur la fiche et de la garder dans le cahier. Probablement, elles ne savent pas que cette option existe ou elles ne pensent pas qu’elles peuvent utiliser cette fonctionnalité pour exploiter autrement le temps consacré à la copie des réponses.
Il est vrai que les enseignantes ont reçu une initiation à l’utilisation du TBI, cependant elles l’utilisent souvent comme un tableau traditionnel ou un projecteur. Leur approche avec le visionnage muet d’une séquence vidéo est assez intéressante parce qu’elle permet aux apprenants d’émettre des hypothèses sur le contenu et d’être plus attentifs par la suite pour vérifier la validité des idées avancées. Elles ont des représentations concernant l’utilisation du TBI et son intérêt en classe puisque l’une d’elles souligne l’importance d’exploiter les différentes possibilités offertes par le TBI pour améliorer l’expression orale et propose de mettre en place des activités motivantes qui encouragent l’apprenant à participer davantage en classe.
Il est clair que les fonctions interactives du TBI ne sont pas utilisées. Pourtant il existe une cohérence entre les représentations telles qu’elles apparaissent dans les entretiens et les pratiques pédagogiques telles que nous avons pu les observer. Ce point de vue se trouve également partagé par les élèves qui estiment que le TBI « améliore la compréhension de l’oral grâce à la projection de films et de courts-métrage » et qu’il permet « la compréhension les documents oraux grâce aux vidéos », « la recherche sur internet » et « la présentation des projets » (El-Soufi & Jabbour, 2018).
2.3.2 Utilisation du TBI par les apprenants en classe
Quand un apprenant manipulait le TBI c’était pour écrire ou souligner un mot, le plus souvent, parce que l’enseignante éprouve des difficultés à le faire surtout à cause des problèmes techniques ou de connexion. Le temps d’utilisation ne dépasse pas une ou deux minutes pour un ou deux apprenants par séance. A aucun moment, les élèves n’ont exposé leur point de vue ou exprimé leur opinion sur le thème traité. Les nouveaux mots que l’enseignante écrit au tableau vert sont très peu exploités et quand ils le sont c’est uniquement par deux ou trois apprenants.
D’ailleurs, les élèves sont conscients des difficultés de l’enseignante à manipuler le TBI comme l’a souligné l’un d’eux : « il y a des enseignants qui ne savent pas manipuler très bien le TBI, il faut les aider » ou un autre qui pense que les apprenants utilisent le TBI « quand la maîtresse trouve une difficulté » (El-Soufi & Jabbour, 2018).
Il est clair que la présence du TBI en classe n’a pas modifié les pratiques pédagogiques des enseignantes observées mais, il a permis, comme le souligne Lebrun, « de reproduire les anciennes "pédagogies" » (2004). En effet, les enseignantes se trouvent dans l’incapacité de créer elles-mêmes de nouvelles ressources pédagogiques faute de temps mais aussi par manque de compétences techno-pédagogiques. A notre sens, il est possible de transformer facilement certaines pratiques pédagogiques au niveau de l’oral et de l’écrit en utilisant le TBI. Rien qu’avec l’image, il est possible de créer plusieurs activités ne nécessitant pas de trop s’investir. Par exemple, il est très facile d’utiliser une illustration énigmatique avec cache, décomposée en 2 ou 3 parties, puis demander aux apprenants de la reconstruire, en oralisant à chaque découverte d’une partie, ce que l’illustration pourrait présenter.
Il est également possible d’utiliser une image « inspirante » représentant une scène dans laquelle il faut ajouter des personnages ou des objets tirés au hasard d’un cache ou de derrière le rideau et de décrire oralement chaque fois la transformation de la scène où l’action qui s’y passe. Il est également possible d’imaginer que les apprenants devraient mettre en ordre un certain nombre d’illustrations diverses tout en justifiant l’ordre choisi puis de raconter oralement l’histoire ainsi reconstituée. L’enseignant pourrait aussi demander aux apprenants de faire un détournement d’une œuvre d’art ou un montage d’images et présenter oralement à la classe le résultat obtenu en explicitant leur point de vue et les changements ainsi effectués.
Pour Garcia-Debanc et Delcambre, la place de l’oral est importante dans l’apprentissage d’une langue et devrait bénéficier d’une interaction avec l’écrit sous forme d’« un écrit intermédiaire » comme avec la reformulation des contes qui motive les apprenants et les aide à « préparer l’oral » grâce à leurs « caractéristiques structurelles » (2001). La reconstitution d’une histoire sous forme d’un puzzle, permet également, en déplaçant les blocs de texte sur le TBI, de motiver les apprenants et les encourager à justifier leur choix en plaçant les différents paragraphes dans un ordre bien déterminé.
Pour motiver les apprenants à apprendre le français, il est essentiel que l’objectif de cet apprentissage soit bien clair. L’enseignant doit établir une progression horizontale et verticale des compétences linguistiques à maîtriser par l’apprenant pour s’exprimer correctement à l’oral et à l’écrit. Le curriculum libanais ajoute aux quatre compétences orales et écrites, des savoir-faire à faire acquérir mais ne fixe pas le temps d’apprentissage de chaque compétence. Dans l’établissement qui est l’objet de cette étude, le travail sur l’oral se limite souvent aux réponses fournies par les apprenants aux questions posées. Les enseignantes pensent que le niveau faible des élèves est dû au fait qu’ils sont arabophones.
Ce niveau faible pourrait pour partie résulter des pratiques pédagogiques qui n’accordent pas assez de temps pour l’acquisition des compétences.
Pour que l’enseignant puisse utiliser le TBI d’une façon « efficace, raisonnée et réfléchie » (Boulc’H & Baron, 2011), il devrait suivre des formations continues : s’initier à manipuler le TBI mais aussi explorer ses différentes fonctionnalités et construire des activités permettant une utilisation pédagogique. La formation techno-pédagogique doit s’inscrire dans la durée, pour permettre à l’enseignant de se familiariser avec cet outil, s’entraîner à l’utilisation des différentes options et l’intégrer dans ses pratiques de classe. La présence d’une personne-ressource dans l’établissement est aussi souhaitable pour aider l’enseignant à résoudre les problèmes techniques et à construire une séquence pédagogique convenable.
La direction de l’établissement scolaire devrait adopter un référentiel de compétences en technologies éducatives pour évaluer le niveau de chaque enseignant et déterminer ses besoins en formation continue. Même si les enseignants ont déjà suivi des formations techniques pour utiliser le TBI, les formations pédagogiques et continues sont importantes pour améliorer leurs compétences techno-pédagogiques. C’est à cette condition seulement qu’ils seraient capables d’utiliser le TBI d’une façon innovante et de construire des séquences pédagogiques favorisant l’apprentissage.
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[1] Voir El-Soufi, A. & Jabbour, J. (2018). Le Tableau Blanc Interactif et l’apprentissage de l’expression orale en langue française : Le point de vue des apprenants. Adjectif.net [En ligne] Consulté à l’adresse http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article482