Le texte de cette contribution vise à mettre en valeur certains résultats de recherches issus de la thèse de S. Netto, réalisée sous la direction de M. Bataille et P. Ratinaud, soutenue en septembre 2011 à l’Université de Toulouse.
par Stéphanie Netto
Docteur en Sciences de l’Éducation et chercheur associé,
UMR EFTS (Toulouse II)
1. CADRE THÉORIQUE ET PROBLÉMATISATION
Dans le cadre d’une thèse que nous avons soutenue fin septembre 2011 (voir : Netto, 2011) à l’Université de Toulouse, nous avons voulu examiner la professionnalisation [1] de la représentation de l’informatique et du métier d’enseignant (à l’école élémentaire) en nous appuyant sur la théorie des représentations sociales (Moscovici, 1961) et sur la notion de représentations professionnelles (Piaser, 1999). Nous avons souhaité ainsi appréhender la (trans)formation de représentations entre de futurs professeurs d’école (PE) et des enseignants titulaires en la supposant induite par l’expérience professionnelle et le professionnalisme.
Mais ce travail ne se limite pas à ce que nous venons d’exposer, car nous cherchons également à participer à l’évolution de la théorie des représentations sociales. Nous avons eu la volonté d’opérationnaliser une hypothèse que Moscovici (1961) a formulée dans son œuvre princeps, La psychanalyse, son image et son public, à savoir la notion de polyphasie cognitive. « Plusieurs modes de pensée coexistent couramment chez le même individu » (Édition de 1976, p. 279). En d’autres termes, dans l’objectif de nous faire comprendre par autrui, nous sommes capables d’être « polyglottes » c.-à-d. d’adapter notre discours, en fonction de la personne avec qui nous communiquons, de sa proximité vs distance à l’objet de représentation (Dany & Abric, 2007) et de son statut (Haas, 2006 ; Lewin, 1935 ; Piaser & Bataille, 2011).
2. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
Nous avons eu recours à une pluralité d’approches pour recueillir et traiter les données d’enquête. Avec des tests d’association libre et hiérarchisée (Abric, 2003), nous avons cherché à ce que les sujets donnent spontanément 4 à 5 mots ou termes sur une expression inductrice que nous leur fournissons (phase 1 du test) et nous leur avons demandé de classer par ordre d’importance les réponses (phase 2 du test). Ces termes ont ensuite été catégorisés en employant la technique d’analyse de contenu (Bardin, 1977). Avec des tests de Mise En Cause (MEC), nous avons voulu remettre en question chacune des caractéristiques avérées d’un objet de représentation pour en vérifier la centralité (voir : Moliner, 1988). Si le groupe interrogé choisit de cocher majoritairement la modalité « Non », alors, du point de vue la théorie du noyau central, l’item mis en cause est un élément central de ladite représentation. Toute autre réponse tend à indiquer qu’il s’agit d’un élément périphérique (ou absent) de la représentation. Enfin, nous avons conçu d’autres questions (fermées et semi-ouvertes) pour recueillir des opinions, des attitudes et des points de vue sur nos 2 objets de représentation.
Grâce aux résultats obtenus pour l’ensemble de ces questions, nous avons repéré le contenu de la représentation et déterminé la nature des éléments (centraux vs périphériques) qui la compose. L’analyse prototypique et catégorielle donne accès au contenu hiérarchisé de la représentation sociale tandis que l’analyse de similitude étudie davantage l’organisation et la connexité des éléments représentationnels (lien : la théorie des graphes). Par ailleurs, nous avons aussi utilisé des tests qui relèvent des statistiques inférentielles. Et, nous avons eu recours à la méthode ALCESTE, avec le logiciel IRAMUTEQ pour repérer comment nos données s’organisent en termes de profils de réponse (lien : la Classification Hiérarchique Descendante) et en termes d’oppositions et de ressemblances (lien : l’Analyse Factorielle de Correspondances). Dans cette contribution, nous ne présentons qu’une petite partie de nos résultats. Le lecteur intéressé pourra se rapporter à la version « texte intégral » de notre manuscrit.
Pour appréhender les objets de représentation « Informatique » et « Métier d’enseignant au Primaire », nous avons conçu deux questionnaires. Le premier questionnaire, à destination des futurs professeurs des écoles (PE), est composé de 86 questions et le second questionnaire, devant être complété par des enseignants, dispose de 105 questions. 81 questions sont communes entre ces deux documents ; 6 questions sont spécifiques aux futurs PE et 4 aux enseignants titulaires.
Entre décembre 2007 et avril 2008, nous avons récupéré 175 questionnaires auprès de futurs PE (non concernés par la réforme de masterisation de 2009) dans 4 centres de formation. Entre juin 2007 et avril 2008, nous avons réceptionné 245 questionnaires « Enseignant » sans aucune restriction géographique. La seule condition que nous nous sommes fixée pour identifier les sujets d’enquête a été qu’ils soient en poste dans une classe de cycle 2 ou de cycle 3 au moment de participer à notre recherche (pas d’enseignants en congés maladie ou en congés maternité).
3. QUELQUES RESULTATS ISSUS DE CETTE ÉTUDE
3.1. ÉCHANTILLONNAGE
L’échantillon « étudiant » est très majoritairement composé de femmes (93,71%). La moyenne d’âge est de 26 ans. Il est également partagé entre 40% de candidats préparant le concours de PE (1re année, PE1) et 60% d’élèves ou de fonctionnaires stagiaires (2e année, PE2 ou Professeur des Écoles Stagiaires, PES). Les individus sondés proviennent autant des IUFM (48,57%) que des CFP (51,43%).
L’échantillon « enseignant » est majoritairement composé de femmes (72,65%). La moyenne d’âge est de 38 ans et 7 mois. Les membres du groupe professionnel sont également plus des enseignants ayant le statut de PE (70,51%). La répartition par catégorie d’ancienneté est plutôt homogène : 28,57% ont moins de 5 ans d’ancienneté ; 22,86% ont entre 6 ans et 10 ans de service ; 19,59% ont entre 11 et 20 ans et 28,98% ont plus de 21 ans de métier. il faut mentionner qu’il y a davantage d’enseignants en école publique (74,69%) qu’il n’y a d’enseignants en école privée-catholique (25,31%).
3.2. INFORMATIQUE À L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
3.2.1. GROUPE EN FORMATION
Dans la condition « vie pré-professionnelle », les 175 futurs PE ont donné 843 réponses classées dans 41 catégories. Ils évoquent davantage, dans la zone du noyau de la représentation, des mots et des expressions autour de la dimension praxéologique (catégories : Rechercher, Traitement de texte, Outil de travail, Difficultés matérielles) et de la dimension institutionnelle (catégories : B2i niveau 1, Apprentissages, TICE). L’analyse de similitude fournit une lecture, certes descriptive, mais davantage centrée sur l’organisation des éléments représentationnels. Ainsi, constitué de 15 catégories (au seuil à 5%), nous avons obtenu un arbre maximum qui s’organise surtout autour des catégories Internet et rechercher. À côté de cette lecture descriptive, le test de MEC a permis d’identifier, au seuil de 50%, 6 éléments centraux : Logiciels, Outil, Communiquer, Recherche documentaire, Écrire et Internet.
3.2.2. GROUPE PROFESSIONNEL
Dans la condition « vie professionnelle », en examinant à la fois l’analyse prototypique et l’analyse de similitude sur les 1.179 réponses (classées dans 43 catégories), nous constatons que les enseignants en poste ont une représentation professionnelle de l’informatique tournée vers des aspects expérientiels. Ils tiennent d’abord un discours dans lequel « transpire » une pluralité d’activités informatiques qu’ils déclarent faire avec leurs élèves : Traitement de texte, Internet, Recherche d’informations, différentes activités pour que les élèves obtiennent les 5 champs de compétences du B2i niveau 1 « école » (inclus la Dimension technique de l’informatique). Mais, cette conception praxéologique de l’informatique à l’école est également portée par « du vécu » (catégories : Mots positifs / modernes, Indispensable et Plaisir) et par des freins (catégories : Difficultés matérielles, Difficile à utiliser et Manque de temps) qu’ils doivent dépasser ou du moins « faire avec » afin de pouvoir utiliser les TICE en classe. Enfin, le test de MEC a permis d’identifier 9 items centraux : Outil, Logiciels, Internet, Écrire, Utiliser dans les loisirs, Pédagogie, Recherche documentaire, Communiquer et Nécessaire.
3.3. MÉTIER D’ENSEIGNANT À L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE
3.3.1. GROUPE EN FORMATION
Nous avons classé 832 termes, fournis par les futurs PE, dans 46 catégories. L’essentiel du contenu de cette représentation gravitent autour d’éléments pédagogiques (catégories : Pédagogie différenciée, Savoirs de base, Apprentissages, Dimension pédagogique, Transmettre, Polyvalence). L’analyse de similitude nous permet de constater que parmi ces 6 catégories, c’est surtout l’item Polyvalence qui organise l’ensemble des réponses (50,29% des sujets et 10,58% du corpus de mots ; termes qui sont dans cette catégorie : adaptabilité, diversité, enseignements polyvalents, généraliste et polyvalence).
Pour les 175 personnes sondées, 10 items sur 11 sont non négociables dans la représentation qu’ils se font de leur futur métier : Enseigner, Pédagogie, Polyvalent, Travailler avec les enfants, S’investir, Liberté d’action, Nécessiter une préparation, Rôle social, Plaisir et Travailler en équipe. Nous faisons l’hypothèse, pour expliquer le nombre important d’items centraux, que les membres du groupe en formation discutent davantage entre eux de ce qu’est au quotidien le métier d’enseignant au primaire et qu’ils peuvent expérimenter davantage leurs points de vue à travers des stages en responsabilité et d’observation alors qu’ils le font moins facilement à propos des TICE à l’école.
3.3.2. GROUPE PROFESSIONNEL
Les 245 enseignants interrogés ont trouvé 1.119 mots pour caractériser leur métier que nous avons regroupé dans 46 catégories (45 catégories communes entre les 2 groupes, seule la catégorie Une personne est exclusive aux enseignants et Dimension jeux, pour les futurs PE). Mis à part, là aussi, la présence saillante de la catégorie Polyvalence, ici les enseignants évoquent la disponibilité, le plaisir et la vocation qu’il faut avoir pour exercer ce métier de l’humain. Une enseignante témoigne : « Il me semble difficile d’exercer ce métier sans passion, car il demande beaucoup de don de soi » [Questionnaire Enseignant n°72]. Nous avons également les 10 mêmes items (sur 11) non négociables qu’auprès du groupe en formation. Seul l’item activité difficile est l’élément périphérique dans cette représentation.
4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
Les résultats obtenus par questionnaire montrent, au niveau structural, des différences notables entre les (futurs) enseignants du premier degré sur l’informatique et sur le métier que nous expliquons comme l’effet de la professionnalisation des acteurs. « La professionnalisation serait dans cette perspective comprise comme l’élaboration, en situation professionnelle, de représentations spécifiques […]. La professionnalisation, pourrait être lue alors comme le processus permettant la construction par les acteurs de connaissances, de savoirs professionnellement reconnus et opérants » (Lac, Mias, Labbé & Bataille, 2010, p. 137).
Après, la professionnalisation des enseignants peut tantôt être comprise comme une nécessaire modernisation du métier afin de l’adapter aux nouveaux contextes internationaux de scolarisation (Tardif & Lessard, 2004) ou tantôt comme un symptôme d’un profond changement de culture professionnelle passant d’une professionnalité artisanale à une professionnalité managériale (Cf. Demailly-Dembinski, 2000, pp. 50-51). Par ailleurs, les résultats issus de notre hypothèse sur la polyphasie cognitive sur l’objet de représentation « Informatique », dans les contextes vie professionnelle vs vie privée, donnent à voir la nécessité de préciser le contexte d’évocation dans des recherches sur les représentations sociales et sur la pensée sociale.
Désormais, plusieurs perspectives de recherche émanent de cette recherche. En voici quelques unes... Etant donné que le législateur a « pensé » l’intégration de l’informatique et plus largement des TIC dans le système École en termes de certifications (cf. Pluralité de B2i et de C2i), il serait intéressant de repérer la représentation professionnelle de l’informatique chez des professeurs de collège, de lycées et chez des enseignants-chercheurs pour la comparer, toute chose égale par ailleurs, avec celle des PE. Aussi, nous aimerions davantage comprendre la représentation portée par les futurs PE sur leur métier maintenant que leur formation évolue… Enfin, parce que les TIC se sont largement propagées dans d’autres milieux que l’École, nous pourrions appréhender la place qu’elles ont auprès d’autres groupes et plus particulièrement dans la formation continue de ces professionnels
5. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] La professionnalisation « « met en scène » des acquis personnels ou collectifs tels les savoirs, les connaissances, les capacités […] nous pourrions dire qu’elle réside dans le jeu de la construction et/ou de l’acquisition de ces éléments qui permettront au final de dire de quelqu’un qu’il est un professionnel » (Wittorski, 2007, p. 28).