Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Apprentissage d’un concept informatique à l’école primaire : l’automate

Comment faire de l’informatique, sans ordinateur, avec des élèves à l’école primaire ?
mercredi 25 novembre 2015 Spach, Michel

Pour citer cet article :

Spach, Michel (2015). Apprentissage d’un concept informatique à l’école primaire : l’automate. Comment faire de l’informatique, sans ordinateur, avec des élèves à l’école primaire ? Adjectif [En ligne]. Mis en ligne le mercredi 25 novembre 2015. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article371.

Résumé :

Cette contribution présente une synthèse d’un travail de master réalisé au laboratoire EMA (Université de Cergy-Pontoise). Il s’agit d’une étude menée dans une classe d’école primaire, sur l’expérimentation de séances d’informatique sans ordinateur. L’observation a concerné une classe de CM2 sur une durée de trois séances en avril et mai 2015.

Mots clés :

Enseignement élémentaire, Enseignement de l’informatique

Introduction

Les champs de l’éducation et du numérique évoluent à des rythmes différents. Celui de l’éducation a besoin de temps pour « digérer » les évolutions afin de les appréhender et de définir les apprentissages qui pourraient y être attachés. Celui du numérique, à l’opposé, est en recherche d’évolutions permanentes. L’adaptation du monde de l’éducation à ce perpétuel changement a déjà été questionnée par de nombreuses recherches. Travailler sur une connaissance plus stable et plus universelle en s’intéressant aux concepts véhiculés par ces outils est une approche qui a été souvent étudiée. De quels concepts s’agit-il ? Comment les apprentissages scolaires peuvent-ils aider les élèves à maîtriser ces concepts ?

En réponse à ce questionnement, notre étude, qui s’inscrit dans le cadre du projet « Didactique et apprentissage de l’informatique à l’école » (DALIE) [1], a eu pour objectif de traiter des questions des savoirs associés à l’informatique et de caractériser la capacité des élèves à penser les objets sur lesquels ils peuvent agir.

Nous avons choisi d’étudier de quelle manière il était possible, à des élèves, de développer un mode de pensée informatique, c’est-à-dire une pensée qui cherche à résoudre des problèmes, à concevoir des systèmes et à chercher à comprendre le comportement humain, en s’appuyant sur les concepts informatiques (Wing, 2006).

Nous avons choisi comme exemple celui de l’automate et avons pour cela constitué un recueil d’activités pédagogiques se présentant sous la forme de situations-problèmes permettant aux élèves de découvrir la notion d’automate, de manipuler cette notion et d’établir des liens avec l’informatique d’usage. La compétence visée a été celle du codage et décodage de séquences de lettres pouvant être interprétées par un automate. Des connaissances formelles relatives à la programmation, comme le traitement de la condition (si/alors), de l’opérateur booléen (et/ou) et de la procédure (faire), ont été abordées tout au long de notre scénario.

Contexte

Les élèves sont souvent présentés comme de grands utilisateurs de ressources numériques (jeux vidéo, consultation de vidéos en ligne, communication au travers des réseaux sociaux, etc.), mais s’intéressent-ils aussi aux concepts qui sont en jeu dans ces ressources ? Baron et Bruillard (2008) argumentent sur le fait que, au-delà de la posture de consommateur de ressources, l’acquisition d’une compétence critique à l’égard de ces technologies suppose la conceptualisation de différentes réalités et notions liées à l’exécution de processus se déroulant derrière un écran. Comprendre ce qui se passe derrière l’écran passe par l’acquisition de la capacité à conceptualiser c’est-à-dire par la construction d’idées abstraites à partir de l’expérience ; alors peut se développer une compréhension consciente de la pensée informatique. Nous nous sommes donc intéressés aux expérimentations déjà entreprises dans ce domaine, à destination des élèves du primaire.

Cadre théorique

Certains environnements, comme le langage Logo, ont été particulièrement étudiés par la recherche. Crahay (1987) met en évidence une argumentation parfois trop « triomphaliste » autour de cet environnement. Il questionne en particulier le postulat selon lequel «   penser c’est effectuer des procédures » et sur lequel repose l’environnement Logo. Il estime en effet que « l’expertise  » dans certains domaines intellectuels requiert l’abandon de la pensée procédurale pour un fonctionnement plus « intuitif ».

Dans la continuité de cette analyse, d’autres approches de l’enseignement de l’informatique se sont développées. Parmi ces travaux, nous nous sommes intéressés au mouvement de l’informatique sans ordinateur dite informatique débranchée ou Computer Science Unplugged (CSU) : le parti pris de ce mouvement est de ne pas proposer la programmation et l’apprentissage d’un langage, comme porte d’entrée pour l’informatique mais de faire découvrir des concepts et des méthodes spécifiques à la science informatique. Bell, Witten, & Fellows (2014) invitent à se préparer à apprendre ce qu’est l’informatique et ce qu’elle n’est pas, sans ordinateur.

L’approche que nous avons retenue dans le cadre de notre recherche est celle de l’étude de concepts informatiques en situation problème. Elle s’inscrit dans la théorie des champs conceptuels que Gérard Vergnaud décrit comme «   une théorie cognitiviste qui vise à fournir un cadre cohérent et quelques principes de base pour l’étude du développement et de l’apprentissage de compétences complexes, notamment de celles qui relèvent des sciences et des techniques » (Vergnaud, 1990).

Le modèle d’analyse issu de cette théorie fournit un cadre aux recherches sur les activités cognitives complexes et est particulièrement bien adapté aux situations d’activité scientifique reposant sur une situation problème. Il prend en compte les prérequis nécessaires aux nouveaux apprentissages, la façon dont les connaissances doivent se succéder en rapport avec la maturité cognitive de l’apprenant et aux conceptions des élèves.

Les résultats de notre étude sont analysés selon chacune des trois dimensions du concept : celle de la situation problème, celle du signifié (images mentales et représentations), celle des signifiants (formes langagières et non langagières).

Problématique

Les activités présentées dans le guide du CSU [2], dans sa version française, sont organisées autour de trois concepts informatiques : les données, les algorithmes et la représentation de procédure (Drot-Delange, 2013). Notre étude qui s’inscrit dans ce cadre d’activités fait référence à la notion de procédure et plus précisément de l’automate. L’automate peut être considéré comme un dispositif traitant de l’information se présentant sous la forme d’une suite de caractères ou d’événements. Il permet de représenter les divers états d’un système et les transitions entre ces états. La notion d’automate fait référence aux concepts d’algorithme, de machine et de langage.

De quelle manière est-il possible de traiter de la pensée informatique avec des élèves à l’école primaire  ?

Alors que l’engouement pour le mouvement CSU semble bien réel, il n’existe que peu d’études concernant l’informatique débranchée à l’école primaire. Drot-Delange (2013) observe que les études existantes cherchent principalement à montrer les apports de cette démarche auprès des élèves en termes de satisfaction, de motivation et d’intérêt pour l’informatique.

Nous ne questionnons pas la motivation des élèves mais nous intéressons aux trois domaines suivants : (i) celui des apprentissages en jeu dans le cadre de notre scénario, (ii) celui de la transmission des savoirs, et enfin (iii) celui des connaissances mobilisées.

  1. Concernant les apprentissages, il s’est agi de nous questionner sur l’appropriation par les élèves du concept de l’automate d’état fini et sur les « éléments de langage » qu’ils s’approprient en relevant ceux en rapport avec l’informatique. D’après Gérard Vergnaud, le sens que se construisent les élèves est lié aux types de situations auxquels ils sont confrontés. Le langage et les autres signifiants (schémas d’automate) participent à la construction du sens du concept. Ils ont une double fonction de communication et de représentation.
  2. Concernant la transmission des savoirs, il s’est agi d’étudier en quoi le scénario proposé a aidé les élèves à se construire des représentations précises du concept de l’automate et d’une manière générale d’étudier en quoi ce scénario permet le développement de la pensée informatique. L’étude des schèmes mis en œuvre par les élèves s’est opérée par l’analyse des éléments qui les composent (but, règle d’action, invariants opératoires).
  3. Concernant les connaissances mobilisées par les élèves, il s’est agi d’étudier l’ensemble des connaissances organisées par domaine (culture scientifique et mathématiques, langage, comportement, etc.).

Méthodologie

Cadre pédagogique de l’informatique sans ordinateur

Les différentes activités du guide CSU se présentent sous la forme d’activités ludiques, chacune porteuse d’apprentissages très précis en rapport avec l’informatique. Ces activités sont à réaliser avec des élèves sans qu’il soit nécessaire d’avoir un ordinateur. Par exemple, pour le « tour de cartes » qui se présente comme un tour de magie, le matériel nécessaire se compose de cartes magnétiques et d’un tableau blanc. L’objectif visé est celui de la détection et de la correction des erreurs. Pour la « bataille navale » c’est l’algorithme de recherche qui est visé avec pour matériel des grilles de bataille navale et pour la « chasse au trésor » c’est la notion d’automates finis avec pour matériel des représentations d’automates tracées sur feuille.

Chacune des douze activités est répertoriée selon le champ de son domaine informatique et selon un âge conseillé des apprenants (Drot-Delange, 2013). Nous avons retenu l’activité en rapport avec la notion d’automate qui présente l’avantage d’être adaptée à notre population d’élèves et de pouvoir être mise en œuvre auprès de celle-ci en quelques séances. Cette activité, abordée sous la forme de jeux de labyrinthe que nous avons adopté à nos besoins particuliers, se présente sous la forme d’une série de situations-problèmes de difficulté croissante et permettant aux élèves d’être sensibilisés à la notion de l’automate par la découverte de ses propriétés, par la manipulation et aussi par la conception.

La mise en œuvre du scénario a pris en compte les principales préconisations de Bell, Alexander, Freeman et Grimley (2008) et rappelées par Drot-Delange (2013) : les activités doivent engager le corps et être attrayantes pour les élèves, elles doivent favoriser des approches coopératives plutôt qu’individuelles, elles doivent être raisonnablement robustes à l’erreur pour qu’une petite erreur d’un élève ou d’un enseignant ne les rendent pas totalement caduques, le matériel nécessaire doit être disponible à faible coût. Drot-Delange (2013) souligne aussi l’importance du sens à donner à l’activité, la nécessaire manipulation d’objets par les élèves, les compétences théoriques préalables des enseignants qui doivent être suffisantes pour faire face aux questions et remarques des élèves.

Approche de la notion de l’automate fini déterministe

L’automate fini déterministe permet, notamment, la modélisation de processus, de contrôle, de protocole de communication. Des exemples « simples » de la vie courante sont fournis par la gestion de la saisie du code de sécurité d’un digicode de porte d’entrée, du code de déverrouillage d’un téléphone ou par la saisie d’une sélection dans le cas d’un distributeur de boissons ou de friandises.

Comme tout automate, il modélise les divers états d’un système ainsi que les transitions permettant de passer d’un état à un autre. Il est, par ailleurs, dit « fini » pour exprimer le fait qu’il possède un nombre fini d’états. Il est, enfin, dit « déterministe » pour exprimer le fait qu’il ne peut comporter deux transitions de même nom au départ d’un même état : toute action, tout choix de l’utilisateur, détermine sans équivoque le nouvel état.

Son état initial est marqué par une flèche entrante, son état final par une flèche sortante. Son comportement est dirigé par une séquence composée de plusieurs lettres : la position de la lettre dans le mot ainsi que sa valeur détermine alors la transition qui est effectuée.

Tel qu’illustré sur l’illustration 1, l’automate possède trois états numérotés 1, 2 et 3 ainsi que deux transitions possibles nommées (a) et (b). L’état d’entrée, ou état initial, est l’état 1 et l’état de sortie, ou état final, est l’état 2. Une séquence est constituée d’une succession de transitions désignées chacune par une lettre (a) ou (b). Ainsi la séquence (ab) désigne la succession de deux transitions (a) puis (b).

La première lettre (a) de la séquence (ab) fait passer l’automate de l’état d’entrée 1 à l’état 3 ; la seconde lettre (b) de cette même séquence conduit l’automate à passer de l’état 3 à l’état de sortie 2. Il existe d’autres séquences comme par exemple les séquences (aab), (bb), (bab) qui permettent de procéder à ce même changement d’état (1 vers 2).

Illustration 1 : Exemple d’automate

Activités proposées

Notre scénario, comme tous les scénarios CSU, s’appuie sur les modèles constructivistes qui visent à proposer un apprentissage où les élèves sont amenés à réfléchir sur leurs propres expériences, et à explorer les conséquences de leurs choix.

Il fait, par ailleurs, référence à des transitions entre différents états désignés par un nom explicite de lieu (chambre, cuisine, île des pirates, etc.) ; cela devant faciliter l’appropriation de la situation par les élèves. Notre situation d’apprentissage peut être qualifiée de probable, dans la mesure où le contexte pourrait avoir une existence réelle.

Les activités qui constituent ce scénario, s’articulent autour d’automates finis déterministes que les élèves sont amenés à interpréter, à manipuler ou à concevoir. L’objectif principal d’apprentissage concerne le principe général de fonctionnement d’un automate fini. Les objectifs secondaires associés relèvent de l’utilisation d’une règle de codage pour traduire une information contenue dans un schéma, de la traduction d’une règle de codage en une information contenue dans un schéma. A l’issue des activités proposées, on escompte que les élèves aient compris les propriétés d’un automate et donc qu’ils soient capables d’établir le comportement d’un automate à la lecture d’une courte séquence.

Un exemple d’activité est donné par l’illustration 2. Pour cette activité, chaque groupe d’élève est en possession d’une copie du tracé de cet automate et d’un jeton. L’objectif consiste à décoder puis à coder un déplacement du jeton dans le labyrinthe (donc une succession de changement d’état) à l’aide de la règle de codage imposée, c’est-à-dire en utilisant les lettres (a) ou (b).

Dans un premier temps, un ensemble de séquences est mis à disposition des élèves qui doivent classer ces séquences en fonction du comportement de l’automate : certaines séquences conduisent en effet le jeton de l’état initial (le Hall) à l’état final (la Cuisine), d’autres conduisent le jeton de l’état initial vers un état différent de l’état final.

Dans un second temps, les élèves doivent proposer, leur propre séquence comportant un nombre déterminé de lettre et permettant au jeton de passer de l’état initial à l’état final. Le contrôle de la séquence est assuré par le déplacement du jeton sur le plan du labyrinthe, selon la lettre (a) ou (b) affectée à chacune des transitions.

Lors de la mise en commun, les élèves constatent, accompagnés dans cette direction par l’enseignant, que les séquences, bien que conduisant à l’état de sortie, ne sont pas forcément identiques ; il s’agit alors de se questionner, de chercher les différences ou les ressemblances entre les séquences. Lors de la synthèse, l’enseignant souligne que dans le jeu du labyrinthe, les élèves ont été obligés de suivre les instructions d’une séquence de déplacement et qu’ils ont en quelque sorte imité le comportement d’un automate qui obéit à un utilisateur.

Illustration 2 : le labyrinthe du donjon

Collecte et traitement de données

L’établissement retenu est celui où l’expérimentateur exerce en tant que professeur des écoles. Il s’agit d’une école primaire publique située en zone très urbanisée, en région parisienne. Cette école accueille des élèves issus de milieux socioculturels plutôt favorisés. Les deux-tiers des élèves de cette école rejoignent habituellement le collège public de secteur. Le dernier tiers intègre les collèges privés de proximité.

Un enseignant de CM2 de cette école s’est porté volontaire pour expérimenter notre scénario. Il s’agit d’un enseignant très expérimenté mais qui ne pratique pas lui-même l’informatique dans sa classe avec ses élèves. La classe de 25 élèves n’est équipée ni de tableau numérique, ni d’ordinateurs. La pratique de l’informatique se fait, dans le cadre de la préparation au B2i dans une salle informatique dédiée, à raison d’une quinzaine d’heures par an et par élève, grâce à l’intervention du directeur de l’école. Les résultats de notre étude sont à apprécier en fonction de la taille de notre échantillon.

Nous avons demandé à l’enseignant de constituer un petit groupe de quatre élèves dont nous avons suivi le travail au sein de la classe.

Pour caractériser les modalités de mise en œuvre des séquences d’apprentissage proposées, une approche d’inspiration ethnographique a été adoptée et une collecte de données réalisée à chacune des étapes suivantes, après autorisation des parents pour filmer leurs enfants :

  • Un entretien focalisé avec les quatre élèves constituant notre petit groupe avant la réalisation de notre scénario. Cet entretien, exploratoire et semi-directif, nous a permis d’appréhender le sens que ces élèves attribuent à l’expression « faire de l’informatique ».
  • Des observations filmées de chacune des trois séances, d’une durée totale de trois heures. La collecte des données s’est effectuée à l’aide d’une caméra sur trépied, selon deux plans fixes : l’un portant sur notre petit groupe d’élèves (dans le cas d’une phase de travail en groupe), l’autre sur le tableau collectif (dans le cas d’un travail de mise en commun ou d’explicitation de consigne). Le passage d’un plan à un autre s’est effectué par rotation sur le plan horizontal et le sur plan vertical, ainsi que par une modification du facteur de zoom. Un enregistreur MP3 a enregistré les propos des élèves de notre groupe et a complété nos enregistrements vidéo. Un appareil photo a permis d’effectuer des vues rapprochées de travaux réalisés ou échangés.
    Ces observations ont visé à repérer les comportements, stratégies, démarches ou actes de langage. Les données collectées ont permis d’approcher, tout particulièrement, l’activité des élèves et de caractériser les schèmes mobilisés. Durant le temps d’observation, nous sommes restés actifs et avons procédé à quelques questionnements d’élèves ainsi qu’à des prises de vues rapprochées de travaux.
  • Un entretien des élèves du petit groupe, en groupe d’entretien focalisé, après la réalisation de notre scénario. Cet entretien, semi-directif, a permis d’étudier dans quelles mesures les élèves ont pris conscience que les activités proposées étaient en rapport avec l’informatique. Il a permis aussi d’estimer la compréhension que les élèves avaient de l’automate et du lien qui pouvait être établi entre ce concept et l’informatique d’usage.
  • Un entretien de l’enseignant, après la réalisation de notre scénario. Cet entretien, semi-directif, a permis d’estimer en quoi l’activité proposée pouvait permettre le développement de compétence en rapport avec l’informatique.

Chacune de ces données a été transférée sur micro-ordinateur, et stockée au sein d’une arborescence de répertoires rappelant la chronologie du scénario.

Les données primaires recueillies (vidéo, audio, photographie), nous avons pu élaborer les données secondaires (corpus électronique). Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques de ces données :

Tableau 1 : caractéristiques des données primaires et secondaires

Résultats et analyse

Les paragraphes qui suivent, présentent quelques résultats de notre recherche selon deux des trois dimensions du concept, tel que défini par Vergnaud : la situation problème, le signifié et aussi s’agissant des apprentissages couverts.

Quelle situation problème ?

Les élèves ont exprimé une volonté marquée d’appropriation du contexte. L’enseignant a parfois été amené à devoir lever des difficultés lexicales (hall, cellier, etc.). Le contexte imagé a sans doute joué un rôle important dans notre scénario en permettant aux élèves de se construire des représentations du concept étudié. Une transition permettant de passer d’un état à un autre a été désignée, selon le contexte, par différents termes. Ainsi le terme de ‘couloir’ a désigné une transition entre deux pièces d’un appartement, le terme de ‘escalator’ a, lui, été utilisé pour relier deux pièces d’un donjon ; il s’est agi de ‘ligne aérienne’ dans le cas de liaisons entre des îles. On observe que les élèves vivent leur automate de l’intérieur. Ils se sont forgé des outils pour s’aider à comprendre l’automate. L’automate devient alors « outil pour penser avec » (Crahay, 1987).

Quel signifié (images mentales, représentations du concept) ?

Le second élément du triplet défini par Vergnaud, est constitué par les images mentales, les représentations du concept que les élèves se construisent. Au sein de cet élément, nous nous sommes intéressés à deux des trois types d’invariants opératoires. Les invariants opératoires sont les axiomes, définitions, propriétés caractéristiques et théorèmes qui concernent le concept. Ils ont des domaines de validité qui leur est propre que Vergnaud distingue :

  • les invariants de type « propositions » ; le théorème-en-acte, qui peut être vrai ou faux, en fait partie. Le champ de validité du théorème-en-acte peut être limité à une situation donnée. Il est utilisé par l’élève, en situation de résolution de problème, sans être en mesure pour autant de les expliciter ou de les justifier.
  • les invariants de type « fonction propositionnelle » ; le concept-en-acte en fait partie. Le champ de validité du concept-en-acte ne se restreint pas à la situation proposée.

Nous nous sommes donc particulièrement intéressés aux mots imagés utilisés par les élèves pour désigner des éléments constituants de l’automate ou pour parler du concept de l’automate dans son ensemble. Dans le labyrinthe du donjon (), les élèves ont constaté que les transitions, reliant les pièces les unes aux autres, étaient représentées par une flèche possédant un sens unique de déplacement. Le terme d’escalator est revenu fréquemment dans la bouche des élèves pour désigner ces transitions. L’automate étudié suivant était, quant à lui, constitué non pas de pièces, mais de différentes îles placées au milieu d’un océan (îles des Naufragés, île des Pirates, etc.) que les élèves devaient relier entre elles par des transitions. Le terme ‘escalator’ est alors apparu tout à fait incongru pour les élèves qui lui ont préféré celui de ‘lignes aériennes’ pour désigner ces transitions.

Nous nous sommes aussi intéressés aux constituants comme celui de l’anticipation et de la mémorisation. Ainsi, dans le labyrinthe de la , les élèves ont eu à classer les séquences fournies en deux catégories : séquence permettant de sortir du labyrinthe et séquence ne le permettant pas. Les élèves ont constaté que certaines pièces du donjon comme la Cave ou la Tour Est constituaient un état de blocage dont il était impossible de sortir. La grande majorité a ensuite compris, par échange au sein des groupes, que toutes les séquences débutant par bb conduisaient inévitablement à un état de blocage et ne permettaient donc pas de sortir de ce labyrinthe. Dans le cadre des schèmes mis en œuvre par les élèves, nous avons ainsi pu relever des capacités d’anticipation permettant aux élèves d’identifier des caractéristiques de séquences par une lecture partielle de celles-ci.

Nous avons relevé deux types d’invariants opératoires, certains dont le champ de validité recouvre l’ensemble des automates déterministes, certains dont le champ de validité est limité aux automates étudiés.

Pour le premier type (concept-en-acte) il s’est agi, par exemple, du théorème formulé par les élèves sous la forme suivante : « les transitions sortantes d’un automate doivent avoir un nom différent ». Ce concept-en-acte possède un champ de validité qui n’est pas limité aux automates étudiés mais à l’ensemble des automates déterministes. C’est, en effet, le propre de l’automate déterministe que d’avoir des transitions sortantes de nom différent.

Pour le second type (théorème-en-acte) il s’est agi, par exemple, du théorème formulé par les élèves sous la forme suivante : « un automate ne comportent que deux types de transition a et b ». Ce théorème-en-acte possède un champ de validité limité aux automates étudiés et qui est induit par les propriétés des automates particuliers que nous avons proposés. Il existe, en effet, des automates comportant plus de deux types de transitions : a, b, c, etc.

Quels apprentissages couverts ?

Au cours de nos observations en classe, nous avons pu constater que les scénarios proposés ont placé les élèves dans des situations où ils interprètent, manipulent et conçoivent des automates. Progressivement, les élèves ont été amenés à lire un automate tracé sur feuille (formalisation de la représentation des états et des transitions) à étudier le comportement et les propriétés d’un automate (lecture et décodage d’une séquence de lettres) à imaginer leur propre automate (mise en relation de séquences de lettres avec un schéma d’automate personnalisé).

Nous avons aussi étudié et analysé les apprentissages concernés par notre scénario. Les domaines d’apprentissages ont principalement couvert le français et les outils de la langue (précision du langage, utilisation des conditions (si/alors), des opérateurs (ou/et), des transformations de forme de phrase affirmative en phrase négative), la culture scientifique (développement des capacités de résolution de situation problème, compétences de pratique d’une démarche d’investigation), le vivre ensemble (activité collaborative où les élèves apprennent à travailler ensemble, à échanger en argumentant). Les TICE [3], au travers des objectifs de la quatrième compétence du socle commun de connaissance et de compétence [4], ont été abordées par la connaissance que les équipements informatiques traitent une information codée pour produire des résultats et peuvent communiquer entre eux.

Quand nous les questionnons, les élèves ne relèvent pas de lien entre le scénario et l’informatique. Ils perçoivent, principalement, le labyrinthe comme une activité ludique ou de création de jeu.

Nous avons relevé les termes utilisés par l’enseignant et les élèves pour désigner les différents éléments ou fonctions des automates étudiés dans le (voir en annexe). On note que le lexique « expert » se retrouve partiellement dans le lexique utilisé (état, automate, séquence). Le terme expert ‘transition’ n’est utilisé ni par l’enseignant, ni par les élèves.

Quelle mise en œuvre du scénario/conduite de l’enseignant ?

Notre scénario met en évidence l’importance du rôle de l’enseignant : c’est lui qui organise la séance, structure le temps, reprend les propos des élèves, aide la formulation, retourne une question, demande l’approbation de la classe, formule les synthèses, aide les élèves à avancer des hypothèses… S’il lui est impossible d’anticiper toutes les questions et d’en avoir préparé toutes les réponses, il nous semble important qu’il ait une bonne maîtrise des notions de base abordées dans le domaine de l’informatique ou qu’il soit éclairé par une fiche de préparation précisant les objectifs visés en termes d’apprentissage des notions informatiques. En cas de difficultés rencontrées par les élèves, le recours à des exemples concrets de la vie de tous les jours nous paraît être une approche pertinente. C’est sans doute ce qui a manqué à notre scénario : les notions travaillées (ou/et, si/alors, codage/décodage) n’étaient pas toujours clairement formulées et manquaient de rappel d’usage. La mise à disposition d’une correspondance lexicale entre le ‘lexique expert’ en rapport avec l’informatique et le ‘lexique utilisé’, tel que présenté dans le pourrait sans doute apporter une aide aux enseignants pour prendre conscience de ces correspondances.

Discussions et perspectives de recherche

Nous pensons que la simplicité apparente du scénario et donc des activités CSU peut constituer un handicap pour certains enseignants qui pourraient se contenter de l’apport cognitif et du ‘plaisir à faire’ exprimé par les élèves, et passer, ainsi, à côté des objectifs d’apprentissages en particulier en informatique.

Ce sont les situations pédagogiques et la qualité de leur mise en œuvre qui amènent l’élève à faire des hypothèses et à construire des démarches. Vergnaud précise qu’« un concept ne peut pas se réduire à sa définition, du moins si l’on s’intéresse à son apprentissage et à son enseignement »

À l’issue de cette étude et dans une perspective de recherche en informatique débranchée ou de conception de scénario dans ce même domaine, des pistes d’évolution pourraient être envisagées. Le contexte envisagé, nous a semblé revêtir une grande importance et mérite que l’on s’attache à le rendre cohérent et compréhensible pour les élèves. Les références socio-culturelles du contexte proposé constituent un enjeu important dans les activités proposées ; il nous semble important que l’enseignant en ait connaissance afin de pouvoir réagir, au mieux, et traiter avec la meilleure acuité possible les propos des élèves. Enfin, proposer un contexte imagé aux élèves nous a paru essentiel pour les aider à s’approprier les premières situations problèmes et peut-être à se construire de premières images en rapport avec le concept. Il s’est avéré important de faire verbaliser les élèves à propos de leurs représentations afin de tenter d’en mesurer les limites. Mais, il nous semble judicieux de proposer, le plus rapidement possible, des situations abstraites d’automate, où les états portent comme nom un numéro et non pas un nom plus ou moins réaliste dans lequel les élèves peuvent projeter leur imagination. Cela pourrait permettre de se concentrer sur l’étude des véritables propriétés du concept de l’automate et non pas celles, limitées et parfois inexactes, de l’objet imagé.

Nous souhaitons, aussi, ouvrir la réflexion sur l’apport des activités en rapport avec l’informatique débranchée. Ainsi, dans le cadre d’un prolongement ou d’une reproduction de notre scénario, il nous semblerait intéressant de :

  • Reproduire ce scénario en modifiant l’environnement de travail, en travaillant dans un environnement physique d’une dimension beaucoup plus grande, où l’élève jouerait le rôle du jeton en se déplaçant comme dans un vrai labyrinthe.
  • Prolonger cette étude avec la programmation, sur ordinateur, d’un simulateur d’automate.
  • Prolonger cette étude en retenant d’autres scénarios de la bibliothèque CSU (représentation d’informations, représentation de procédures, algorithme, etc.) et d’aborder ainsi l’étude d’autres concepts.

Références

Baron, G.-L. (2012, janvier). L’informatique en éducation  : quel(s) objet(s) d’enseignement  ? / E-dossier de l’audiovisuel  : L’éducation aux cultures de l’information / E-dossiers de l’audiovisuel / Publications / INA Expert - Accueil - Ina EXPERT. Consulté 14 mars 2015, à l’adresse http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/l-informatique-en-education-quel-s-objet-s-d-enseignement.html

Baron, G.-L., & Bruillard, E. (2008). Technologies de l’information et de la communication et indigènes numériques  : quelle situation  ? Rubrique de la revue STICEF, Volume 15. Consulté à l’adresse http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2008/09r-baron/sticef_2008_baron_09.htm

Bell, T., Alexander, J., Freeman, I., & Grimley, M. (2008). Computer science without computers : new outreach methods from old tricks. In Proceedings of the 21st Annual Conference of the National Advisory Committee on Computing Qualifications.

Bell, T., Witten, I. H., & Fellows, M. (2014). Computer Science Unplugged (L’informatique sans ordinateur). Consulté à l’adresse https://interstices.info/upload/docs/application/pdf/2014-06/csunplugged2014-fr.pdf

Crahay, M. (1987). Logo, un environnement propice à la pensée procédurale. Revue française de pédagogie, 80, 37‑56.

Didactique et apprentissage de l’informatique à l’école (DALIE). (2015).

Dowek, G. (2011). Les quatre concepts de l’informatique. In Sciences et technologies de l’information et de la communication en milieu éeducatif (p. 21‑29). Patras, Greece : New Technologies Editions. Consulté à l’adresse https://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00676169/document

Drot-Delange, B. (2013, août 16). Enseigner l’informatique débranchée : analyse didactique d’activités | AREF 2013. Consulté 1 février 2015, à l’adresse http://www.aref2013.univ-montp2.fr/cod6/?q=content/380-enseigner-linformatique-d%C3%A9branch%C3%A9e%C2%A0-analyse-didactique-dactivit%C3%A9s-0

Vergnaud, G. (1990). La théorie des champs conceptuels. Recherches en Didactique des Mathématiques, 10/2 - 3, 133 ‑ 170.

Wing, J. M. (2006, mars). Computational Thinking. COMMUNICATIONS OF THE ACM. Consulté à l’adresse http://www.cs.cmu.edu/afs/cs/usr/wing/www/publications/Wing06.pdf

Annexes

Tableau 2 : Lexique expert, lexique utilisé

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[1DALIE est un projet ANR lancé le 30 janvier 2014. http://www.unilim.fr/dalie

[2Computer Science Unplugged (Bell, Witten, & Fellows, 2014)

[3TICE : Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement


 

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