Pour citer cet article :
Mauricio, Jorge ; Mejia, Molina et Antoniadis, Georges (2014). Conception d’un environnement informatique fondé sur la linguistique textuelle pour la formation initiale des futurs enseignants de FLE en Colombie. Adjectif.net [En ligne], mis en ligne le jeudi 5 juin 2014. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article293
Résumé :
Notre article retrace la construction d’un projet de recherche pluridisciplinaire, autour d’un environnement informatique d’aide à la formation fondé sur les principes de la linguistique textuelle. Il concerne la formation initiale des futurs enseignants de Français Langue Étrangère (FLE) en Colombie.
Mots clés :
Environnement informatique, Formation des enseignants, Français langue étrangère, Linguistique textuelle, Traitement automatique des langues
L’utilisation d’instruments informatiques dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères se fait depuis plusieurs décennies. Ces instruments visent, de manière générale, un public assez large d’apprenants de langue en situation d’apprentissage, souvent en autonomie. Néanmoins, leur emploi dans la formation des futurs enseignants de langue et notamment en FLE dans le contexte de l’éducation supérieure colombienne, a été beaucoup moins exploré. Comme nous le montrons (Molina & Antoniadis, 2014) l’utilisation de technologies informatiques de manière hybride [1] peut s’avérer une aide précieuse pour la formation des futurs enseignants de FLE en Colombie (Salamanca Lamouroux, 2014).
Nous avons donc cherché à élaborer un projet fondé sur l’idée de fournir aux formateurs un instrument informatique qui soit aisément utilisable et paramétrable, et qui leur permettrait la préparation et la mise en place de séquences de formation au travers d’activités destinées aux étudiants en formation initiale. Ce projet s’appuie sur un corpus textuel explorant différentes notions issues de la linguistique textuelle grâce aux techniques du Traitement Automatique des Langues (TAL).
En effet, nous considérons, à l’instar de Chaudiron (2007) et Antoniadis (2010), que les techniques et procédures du TAL permettent de tenir compte et de représenter des informations langagières à faire apprendre aux étudiants. Le projet devrait être aussi développé en fonction des besoins des usagers (enseignants-formateurs et étudiants). En ce sens, le support théorique de la linguistique textuelle puise ses sources dans l’analyse linguistique des textes à partir de l’idée de contexte et de co-texte, de l’analyse du discours (Adam, 2011) et de la notion de discursivité textuelle (Maingueneau, 1991). Nous avons cherché, à l’instar de ce que proposent Chiss et David (2012), à amener notre public cible à mieux maîtriser les contraintes d’ordre extralinguistique – mais aussi linguistiques – leur permettant d’interpréter et de construire des textes cohérents et, par ce moyen, d’améliorer aussi leurs discours.
La formation des formateurs de FLE dans le contexte colombien
Notre projet est né en 2010, à partir de nos observations et de notre expérience d’enseignant de FLE dans plusieurs universités colombiennes (notamment l’université d’Antioquia) : nous avions identifié quelques problèmes concernant la formation linguistique des futurs enseignants de FLE. Nous avons donc décidé de mettre en œuvre un projet qui, depuis cette année-là, fait l’objet d’une thèse de doctorat financée par le Ministère de Technologies de l’Information et des Communications du gouvernement colombien.
Hypothèses de départ
La première étape du projet, après les observations, a été de définir les hypothèses de travail et d’élaborer un questionnaire de recherche, informatisé, à destination des publics cibles colombien (des étudiants en formation initiale visant à devenir professeurs de FLE et leurs formateurs). Ce questionnaire avait deux objectifs : il devait nous permettre de valider nos hypothèses et de mieux saisir les notions devant être enseignées au sein de notre environnement informatique. L’hypothèse générale de travail était que l’insécurité linguistique fait que les étudiants sont généralement gênés pour enseigner la langue française en utilisant un métalangage adéquat. Lorsque nous parlons d’insécurité linguistique, nous reprenons les mots de Klinkenberg (1993 : 185) :
Il y a insécurité dès que l’on a une image assez nette de la norme, mais que l’on n’est pas sûr d’avoir la maîtrise de cette variété légitime. […] Il y a au contraire sécurité dans le cas où la production d’un usager est conforme à la norme qu’il reconnaît, et dans celui où son usage n’est pas légitime, mais sans qu’il ait une conscience nette de la non-conformité.
Cette hypothèse générale était enrichie par l’hypothèse que l’insécurité linguistique provient d’une connaissance un peu superficielle des phénomènes linguistiques inhérents à la langue cible. Ce que nous avons nommé la « norme linguistique » peut, selon E. Coseriu (2001 : 246-247), être conçue comme :
La norme comprend tout ce qui, dans la « technique du discours », n’est pas nécessairement fonctionnel (distinctif), mais qui est tout de même traditionnellement (socialement) fixé, qui est usage commun et courant de la communauté linguistique. Le système, par contre, comprend tout ce qui est objectivement fonctionnel (distinctif). La norme correspond à peu près à la langue en tant qu’ « institution sociale » ; le système est la langue en tant qu’ensemble de fonctions distinctives (structures oppositionnelles). Comme corollaire, la norme est un ensemble formalisé de réalisations traditionnelles ; elle comprend ce qui « existe » déjà, ce qui se trouve réalisé dans la tradition linguistique ; le système, par contre, est un ensemble de possibilités de réalisation : il comprend aussi ce qui n’a pas été réalisé, mais qui est virtuellement existant, ce qui est « possible », c’est-à-dire ce qui peut être créé selon les règles fonctionnelles de la langue.
Nous considérons qu’un futur enseignant de FLE se doit non seulement de connaître la norme d’usage de la langue cible mais aussi, d’être en capacité d’adapter son répertoire langagier et le métalangage auquel il devrait avoir recours lorsqu’il est en situation d’explication des faits de langue à des apprenants.
Méthodologie de recherche
Trois types de publics ont été enquêtés :
Nous avons reçu au total 172 réponses des enquêtés appartenant à 12 des 18 institutions d’éducation supérieure ayant un programme de formation pour les enseignants de FLE.
Afin de vérifier l’hypothèse générale signalée plus haut et de pouvoir définir les activités à développer dans notre système informatique, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs ainsi que l’analyse des réponses à un questionnaire de recherche informatisé adressé à nos publics cibles [2], sur quatre grands axes, à savoir :
La linguistique textuelle est une approche théorique d’analyse linguistique relativement récente. Certains auteurs (Adam, 1990) situent son apparition au milieu des années 1950, d’autres (Charaudeau & Maingueneau, 2002) voient son émergence dans les années 1960. Ce qui nous semble important dans cette approche est le fait qu’au lieu de prendre la phrase comme unité d’analyse et de travail, elle s’intéresse à une unité beaucoup plus large : le texte (Adam, 1990 ; Lundquist, 1990). Ceci permet de faire des analyses différentes et complémentaires de ce que l’on faisait auparavant avec l’analyse structuraliste ou l’analyse de la Grammaire Générative Transformationnelle (GGT).
Notions liées à la linguistique textuelle
Parmi les notions qui font partie de cette approche théorique, nous en avons choisi trois en les sous-divisant en sous-notions :
L’intérêt d’un dispositif informatique fondé sur la linguistique textuelle
Dans le domaine de la formation de formateurs de FLE en Colombie, les instruments informatiques de type Acquisition des Langues Assistée par Ordinateur (ALAO) destinés spécifiquement à un public d’étudiants en formation initiale et conçus à partir des besoins des étudiants sont inexistants. Il n’y a pas, à notre connaissance, dans ce contexte, de dispositifs informatiques qui forment les étudiants aux aspects linguistiques de la langue cible, ainsi qu’à leur didactisation [5].
Certains dispositifs de formation que nous avons identifiés en France, comme le « Français en première ligne » (Develotte & Mangenot, 2010), sont plutôt intéressés par les interactions d’étudiants en formation. Les instruments informatiques cherchant à former à partir de la textualité s’avèrent presque inexistants (Mangenot, 1998 ; Couto et al., 2005).
L’environnement informatique que nous concevons est constitué de deux interfaces (figure 1). La première interface devrait permettre aux enseignants-formateurs de constituer et de paramétrer des séquences pédagogiques de formation. Une fois créées, ces séquences sont envoyées aux étudiants en formation qui y auront accès par une autre interface leur permettant de réaliser les activités programmées par les enseignants. Les étudiants en formation pourront également accéder au support théorique et didactique des différentes séquences pédagogiques, si l’enseignant-formateur décide de leur donner les droits pour consulter la séquence. Le système dispose de deux bases de données (BDD) : la première est destinée au corpus textuel et aux activités et la deuxième, au support théorique et aux schémas linguistiques et didactiques.
Figure 1 : architecture générale du système informatique de formation
Scénarisation des activités pédagogiques :
Les deux BDD signalées plus haut permettent la mise en œuvre du scénario pédagogique à partir des séquences didactiques de formation.
Séquences didactiques
Nous avons décidé de constituer notre système de formation à partir des séquences didactiques. Chacune est constituée de quatre phases (figure 2).
Figure 2 : schéma représentant une séquence didactique
Comme nous pouvons le voir, les phases 1, 3, et 4 utilisent la BDD textuelle (textes annotés avec les notions à travailler), ce qui permet le paramétrage des exercices. La phase 2 (le support théorique et les schémas) sera stockée dans la BDD théorique utilisée par l’enseignant-formateur afin d’expliquer les phénomènes linguistiques liés à la linguistique textuelle. Chaque phase comporte des exercices ou des contenus de formation différents :
Constitution du corpus textuel
Type de textes
Notre corpus est constitué, actuellement, d’un petit échantillon de textes de type journalistique et littéraire. Pour le moment, il compte à peu près 4000 mots, correspondant aux niveaux B1, B2 et C1 du Cadre Européen Commun de Référence (CECR). Il s’agit de textes authentiques issus de la presse et de romans utilisés dans d’anciens examens du Diplôme d’Études en Langue Française (DELF) et du Diplôme Approfondi de Langue Française (DALF), trouvés sur le site du Centre International d’Études Pédagogiques (CIEP) [6].
Annotation des textes
Afin de pouvoir exploiter ces textes qui permettent de réaliser les activités signalées plus haut, nous avons annoté de manière fine les informations langagières qu’ils portent. Deux types d’annotations ont été faites (Figure 3) :
Figure 3 : schéma du traitement du corpus textuel
Comme nous avons pu observer tout au long de cet article, l’élaboration de notre système devient le produit de la mise en œuvre des compétences et de connaissances issues de plusieurs disciplines ou domaines : linguistique générale, linguistique textuelle, linguistique de corpus, didactique des langues, TAL, ingénierie pédagogique, informatique, ALAO. Notre projet renvoie donc à un dispositif pédagogique visant l’enrichissement de la formation en langues et issu de l’inter- et de la pluridisciplinarité, ce qui mérite sans doute d’être mis en relief.
Pour le moment, nous sommes encore dans la phase de développement de l’environnement informatique et de l’implémentation de ses fonctionnalités. Le corpus est presque prêt : il manque seulement l’évaluation, la vérification des annotations ainsi que le développement final des activités.
Nous comptons finir d’ici peu la maquette du système qui sera évaluée et testée au sein des universités qui ont montré de l’intérêt pour le projet (l’université d’Antioquia et l’université nationale de Colombie à Bogotá). Nous comptons par la suite recueillir les apports des utilisateurs afin de développer une version plus complète à proposer à d’autres universités qui pourraient être intéressées par ce type de dispositif d’aide à la formation des futurs enseignants de FLE.
Adam, J.-M. (1990). Éléments de linguistique textuelle : Théorie et pratique de l’analyse textuelle. Pierre Mardaga : Liège.
Adam, J.-M. (2011). La linguistique textuelle. Collection Linguistique Cursus, troisième édition. Armand Colin : Paris.
Alkhatib, M. (2012). La cohérence et la cohésion textuelles : problème linguistique ou pédagogique ? In Didáctica. Lengua y Literatura, 2012, Vol. 24 pp 45-64.
Antoniadis, G. (2010). « De l’apport pertinent du TAL pour les systèmes d’ALAO. L’exemple du projet MIRTO ». 2e Congrès Mondial de Linguistique Française (CMLF-2010). 12-15 juillet 2010, La Nouvelle Orléans, USA.
Chaudiron, S. (2007). « Technologies linguistiques et modes de représentation de l’information textuelle ». In Documentaliste-Sciences de l’information, 2007/1 Vol. 44 pp 30-39.
Charaudeau, P. & Maingueneau, D. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Éditions du Seuil : Paris.
Chiss, J.-L. & David, J. (2012). Didactique du français et étude de la langue : Linguistique textuelle et didactique du français. In Le Français aujourd’hui. Vol. Hors-série pp 155-173. Armand Colin : Paris.
Coserieu, E. (2001). L’homme et son langage. Sterling-Virginia, Peeters : Louvain-Paris.
Couto, J. ; Lundquist, L. & Minel, J.-L. (2005). « Navigation interactive pour l’apprentissage en linguistique textuelle ». Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Montpellier 2005.
Develotte, C. & Mangenot, F. 2010. Former aux tutorats synchrone et asynchrone en langues. Distances et savoirs, vol. 8 - n°3/2010, p. 345-359.
Klinkenberg, J.-M. (1993). Le français : une langue en crise ? In Études françaises, vol. 29, N° 1, pp 171-190.
Lundquist, L. (1990). L’analyse textuelle : méthode, exercices. Deuxième édition, DJOF Publishing : Copenhague.
Mangenot, F. 1998. « Outils textuels pour l’apprentissage de l’écriture en L1 et en L2 ». Publié dans Pratiques discursives et acquisition des langues étrangères (Université de Franche-Comté, 1998), actes du 10e colloque international FOCAL, Besançon, 19-21 septembre 1996.
Molina, J. M. & Antoniadis, G. (2014). « Toward the Constitution of a Hybrid Learning Environment for the FFL Teacher’s Training in Colombian Universities Based on Text Linguistics ». In QUIROZ, Gabriel & PATIÑO, Pedro (Éditeurs) : LSP in Colombia : Advances and Challenges. Chapitre 15, Volume 175, pp 233-249. Collection Linguistic Insights. Éditions Peter Lang : Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien.
Narcy-Combes, J.-P. (2003). « Dans quelle mesure l’apprentissage relève-t-il d’un transfert ? », In ASp, N° 39-40, pp 107-117 [En ligne] http://ww.asp.revues.org/1326 (Consulté le 21 mai 2014).
Salamanca Lamouroux, C. (2014). Une recherche exploratoire sur la formation initiale des enseignants colombiens de langues vivantes aux TICE. In Adjectif : Analyses recherches sur les TICE. [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article281 (Consulté le 21 mai 2014).
Jorge Mauricio Molina Mejia, Georges Antoniadis, « Conception d’un environnement informatique fondé sur la linguistique textuelle pour la formation initiale des futurs enseignants de FLE en Colombie », Adjectif [En ligne], mis en ligne le jeudi 5 juin 2014. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article293
[1] C’est-à-dire, au moyen de modules de formation qui peuvent être utilisés dans les cours en présentiel et d’exerciseurs pouvant être utilisés en dehors de la salle de classe, en autonomie
[2] En mai 2011, nous avons procédé à des entretiens avec des enseignants-formateurs et des étudiants de deux universités colombiennes. Ces entretiens nous ont permis d’affiner le questionnaire que nous avons rédigé en France et envoyé par la suite via Internet à la fin 2011.
[3] Nous avons également regardé les programmes de formation de la plupart des universités colombiennes et nous n’avons pas trouvé de cours relatifs à la linguistique textuelle.
[4] Bien que la notion de « phrase principale » ne soit pas intrinsèquement liée à la linguistique textuelle, nous considérons qu’elle a sa place dans l’analyse de la structuration textuelle, en tant qu’élément permettant la cohérence des textes. Comme il est dit dans (Alkhatib, 2012), l’utilisation de ce type de phrases doit permettre l’analyse et la création des textes à partir des phrases constituant les idées directrices ou principales d’un texte, des arguments et des exemples.
[5] Pour notre projet de dispositif informatique, il reste cependant à analyser la situation de transfert en situation didactique. Nous considérons, à l’instar de ce qui est dit dans (Narcy-Combes, 2003), que le transfert en situation didactique dépend en grande mesure du rôle de l’enseignant en termes de médiation et du rôle des acteurs au sein du contrat pédagogique. Étant donné que dans notre système informatique, la médiation est assurée par l’enseignant-formateur et que les contenus sélectionnés au moyen du questionnaire de recherche ont été négociés avec tous les acteurs (enseignants-formateurs et étudiants), nous considérons que ce transfert sera assez positif pour l’ensemble d’acteurs.