Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Activités débranchées en Science Informatique pour les 3-8 ans

dimanche 12 novembre 2023 Frédérique Chessel-Lazzarotto

Frédérique Chessel-Lazzarotto

Centre LEARN, École Polytechnique Fédérale de Lausanne

Numéro thématique 3 / 2023 - T3

RÉSUMÉ Au travers de deux activités phares du manuel Décodage 1-4P vaudois (élèves de 4 à 8 ans), l’atelier du mercredi 17 mai 2023 a proposé à 35 enseignants en formation initiale d’aborder les concepts de Science Informatique pour des élèves de classes primaires. Vous trouverez dans cet article un exposé de l’atelier réalisé en 2022 pour DIDAPRO d’une durée 45 minutes, qui a permis de manipuler quelques étapes des deux activités et de mettre en valeur les notions et les enjeux sous-jacents. La première activité, le jeu de la grue, concerne la création de séquences d’instructions et la formalisation du langage associé. La seconde activité Pixel Paravent concerne la représentation des données et leur encodage. Ensuite, quelques résultats provenant des sessions de formation pilotées dans le Canton de Vaud (Suisse) de 2018 à 2022 sont présentés.

MOTS-CLÉS • Activités débranchées – Réforme de l’enseignement de l’éducation numérique

Figure 1 : Présentation de jeux de décodage et d’encodage

Objectif de l’atelier

L’atelier visait à initier les participant.e.s aux activités débranchées pour l’enseignement de la Science Informatique pour des élèves de l’école primaire. Les participants ont ainsi pu réaliser deux activités permettant de découvrir quelques concepts fondamentaux de Science Informatique.

La première activité, le jeu de la grue vise à initier les élèves à la notion de langage et d’algorithme au travers d’une activité de manipulation de blocs par une machine. La seconde activité, Pixel Paravent, vise à sensibiliser les élèves à la notion de transmission et codage de l’information et potentiellement la découverte du binaire.

Ces deux activités sont des ressources libres diffusées sous licence Creative Commons (CC BY NC SA 4.0) dans les manuels Décodage, qui constituent les moyens d’enseignement pour les professeures de primaire dans le canton de Vaud en Suisse.

Description de la ressource / activité / projet

Le Jeu de la grue 

Figure 2 : le jeu de la grue

Résumé de l’activité  : De 1 à 3 cubes sont disposés dans des coupelles (cf. Figure 2). Un élève joue le rôle de la grue comme un robot–grue en déplaçant des objets d’une coupelle à l’autre selon les instructions des autres élèves.

Compétences de Science Informatique visés dans cette activité

  • décrire et utiliser les machines et les robots,
  • créer et exécuter des algorithmes simples,
  • savoir qu’on peut donner des instructions à une machine avec un langage précis et concis,
  • savoir qu’un algorithme est une succession d’étapes permettant de résoudre un problème, d’effectuer une tâche.

D’autre part, durant l’activité des enjeux sociaux sont ajoutés à la réflexion des élèves notamment les choix socio-techniques disponibles (efficacité du langage, nombre d’étapes, fonctions de la grue) pour élaborer des pistes de résolution dans différents contextes.

Déroulement de l’activité

Temps 1 collectif : découverte de l’activité
L’enseignant.e réalise la mise en contexte et présente la tâche et le vocabulaire associé : la situation de départ, la situation d’arrivée, les instructions et les cubes. Lors de cette phase, l’objectif est de décomposer les différentes actions et structurer les instructions exécutables par la machine. Une première négociation collective permet de définir les termes utiles, par exemple : avance, recule, droite, gauche, descends, prends, pose… Quelques exemples sont réalisés toujours en collectif afin d’installer le lexique nécessaire.

Temps 2 par groupes : entraînement avec plusieurs langages
Des groupes de 3 élèves sont constitués afin de résoudre des situations simples dans lesquelles il faut passer d’une disposition initiale à une situation finale (cf. Figure 3) en faisant déplacer les cubes entre les coupelles par la grue. Lors de cette étape les élèves découvrent que :

  • plusieurs langages peuvent être possibles pour donner les instructions selon les capacités de la machine : un langage visuel avec des signes ou des cartes pour une machine “sourde”, un langage verbal ou sonore pour une machine “aveugle”,
  • la machine n’exécute que ce qu’on lui dit, qu’elle ne prend pas d’initiative.
  • le troisième élève peut jouer le rôle de contrôleur : éviter les ajustements du programmeur ou les anticipations de la machine et ainsi repérer les bugs,
  • une synchronisation est nécessaire entre les instructions du programmeur et la vitesse de la machine,
  • l’interaction entre le programmeur, l’humain et la machine peut être différente selon que les actions sont données en une seule fois (engagement de la mémoire) ou si le programmeur ne perçoit pas les actions de la machine (dos à dos par exemple), si il est au contraire côte à côte pour faciliter le repérage spatial.

Figure 3 : Exemple de premiers défis pour des élèves de 5 ans : utiliser un langage commun pour faire réaliser des actions à la grue.

Temps 3 par groupe : rédaction des programmes
On présente un langage simplifié (Figure 4) imposé cette fois : avance, recule et «  grue  » pour la fonction (descendre poser/prendre, remonter). Cette simplification permet de rédiger des programmes en limitant le nombre d’instructions et les erreurs possibles de lecture ou d’oubli.

Figure 4 : Langage simplifié imposé du jeu de la grue

Les élèves programmeurs écrivent sur une bande de papier ou avec des cartes (cf. Figure 4) leurs instructions. Les élèves machines les exécutent. Les élèves contrôleurs vérifient les bugs et le bon déroulement du processus.

Avec les situations proposées, les élèves exercent leur pensée computationnelle en :

  • analysant la situation à résoudre et en choisissant le cheminement possible ou la stratégie la plus efficace pour y parvenir ;
  • décomposant toutes les actions pour réaliser la tâche ;
  • identifiant les actions répétitives comme le retour au départ.

Figure 5 : Exemple de programme avec des cartes instructions

Temps 4 en groupe ou collectif : recherche de l’efficacité et des choix possibles
Les élèves recherchent dans des situations diverses à améliorer la machine en lui ajoutant de nouvelles fonctionnalités : retourner, direct au départ, prendre plusieurs cubes, limiter le nombre d’instructions pour économiser l’énergie… tester ces nouvelles fonctions dans différents contextes. Sont-elles toujours utiles ? Par exemple, lorsque la machine est programmée pour transporter 3 cubes, c’est très utile dans l’exemple de la Figure 6. Mais cette machine ne sera pas opérationnelle avec une situation à 2 cubes : il faudrait alors préciser le nombre de cubes à prendre à chaque opération ce qui peut complexifier les programmes.

Figure 6 : Exemple de carte-défi pour des élèves de 7 ans : trouver la stratégie la plus efficace pour résoudre des problèmes plus complexes : prévoir des étapes de stockage des pièces pour reconstituer la tour ou créer des grues capables de prendre 3 cubes.

Temps 5 : créer ses propres défis
Les élèves créent leurs propres cartes défis et proposent une solution qui pourra être évaluée par les pairs.

On peut alors jouer sur de nouvelles variables :

  • ajouter des coupelles pour multiplier les défis,
  • ajouter des cubes pour augmenter la difficulté,
  • utiliser des boucles,
  • comparer le nombre d’instructions lors de l’évaluation de la correction,
  • modifier la disposition des cubes : choix possibles de la couleur par la machine.

Pixel Paravent

Figure 7 : Transmettre la description d’une image pixelisée

Résumé de l’activité : L’objectif de cette activité consiste à faire reproduire à un camarade une image, composée de cases noires et blanches, sur la base d’une description textuelle. Les élèves sont séparés par un paravent comme l’illustre la Figure 7 ou autre objet qui permet de cacher l’image à transmettre. L’émetteur et le récepteur doivent donc se mettre d’accord sur un langage commun, afin de reproduire une image identique à celle de départ.

Concepts de Science Informatique visés dans cette activité

  • comprendre et utiliser les données informatiques, leur codage et leur transmission ;
  • créer et utiliser un codage d’image ;
  • découvrir la notion de pixel (picture element).

En cherchant à transmettre une image, on confronte les élèves à la problématique de la communication, du signal et de l’information, de l’émetteur et du récepteur, des notions clés en Science Informatique. La finalité de la séquence est d’amener les élèves à structurer et systématiser leur mode de communication des images, pour finir avec les plus grands au plus près du langage binaire.

La mise en œuvre de cette activité est intégrée dans une séquence pédagogique abordant la production d’images modifiées. Ainsi, les élèves interagissent dans les trois composantes de l’Éducation Numérique (cf. Figure 8) :

  • Usages  : ils manipulent les outils pour modifier une image pour la flouter par exemple ;
  • Science Informatique  : ils reconnaissent alors les pixels évoqués dans la séance de Science Informatique lorsqu’ils zooment sur l’image ;
  • Médias  : ils sont aussi sensibilisés à la possible modification des images qu’ils consomment dans les médias et le besoin d’exercer leur esprit critique face à elles.

Figure 8 : Illustration de la mobilisation des trois piliers du Plan d’Étude Romand sur le numérique au travers de l’activité Pixel Paravent

Déroulement de l’activité

Temps 1 : Découverte des rôles et protocoles de transmission

Les élèves sont répartis par 2. Le premier reçoit une bande ou une petite grille : c’est l’émetteur, celui qui encode et transmet les informations. Le second reçoit une grille ou bande vierge, il est le récepteur. C’est lui qui décode les informations transmises. Il s’agit dans ce premier temps de transmettre l’image simplifiée oralement, de manière libre.

Les rétroactions entre les élèves sont permises. Échanger les rôles pour que les élèves expérimentent les deux perspectives.

On donne quelques exemples ensuite lors d’une rapide mise en commun. Il s’agit de dégager une convention généralisable à tous les modèles (les règles connues au départ : sens de lecture, point de départ, retours à la ligne,...) et un langage commun.

Temps 2 : Identifier le langage nécessaire
Les binômes expérimentent un langage et un protocole commun qu’ils choisissent suite à la mise en commun du temps 1. Cette fois, ils n’ont pas le droit d’interagir entre les instructions, pas de rétroaction possible.

Pour plus de difficulté, on pourra restreindre le choix des mots possibles à cinq maximum.

Temps 3 : Passage à l’écrit

Les élèves identifient en amont les signes nécessaires sous la forme d’un mode d’emploi par exemple. Une bandelette de papier leur est fournie pour que l’émetteur rédige son message (cf. Figure 9). Ce format permet d’éviter un message sous forme de reproduction de grille 5x5 qui ne focalise pas l’activité sur le décodage mais sur le repérage spatial.

Figure 9 : Un exemple de message élève et du début de la phase de décodage.

Temps 4 :Complexifier les informations

Pour aller plus loin, voici quelques variables possibles :

  • créer ses propres grilles,
  • varier les langages : encoder des informations, créer des messages en autonomie,
  • varier la taille des grilles,
  • ajouter des couleurs (cf. p289 du livre Décodage C1),
  • améliorer les messages en cherchant les motifs qui se répètent.

(b 3n b) 3(n 3b n) (b 3n b)12nb n

Figure 10 : Quelques exemples de messages avec recherche de motifs

La suite des activités proposées sur ce thème dans le manuel Décodage 5-6P (7-9 ans), les élèves abordent le principe de résolution ainsi que de l’encodage binaire.

Expérimentations réalisées

Éléments de contexte sur la formation des enseignantes et enseignants à ces activités

Les activités réalisées dans cet atelier ont été transmises à près de 559 enseignantes et enseignants lors des formations Edunum du canton de Vaud au printemps 2022. Pour ces 2 activités en particulier, nous avons pu mesurer juste à l’issue de la formation que :

  • 88,7% des enseignants avaient trouvé l’atelier intéressant ;
  • 90% se sentaient capables de les mener avec leur classe ;
  • 75% avaient l’intention de les mener avec leurs élèves.

Liens avec la recherche, (quelques paragraphes avec renvoi via des URL vers les articles existants détaillant ces aspects)

Le projet d’Education numérique a pu suivre ensuite au-delà des formations l’adoption du contenu par les enseignant.e.s. Les activités dites débranchées sans écran ont connu un réel succès de satisfaction, mais aussi d’adoption. Les premières mesures [1] ont montré l’intérêt des enseignants pour ces activités débranchées puisque 85% d’entre eux en ont adopté au moins une dans leur enseignement.

Figure 11 : Nombre total de périodes réalisées par les enseignants en année 1 et en année 2 (n=284).

Les résultats de l’adoption sont affichés de trois manières : la première consiste à déterminer si l’activité était connectée ou non, la deuxième est basée sur le fait que le sujet tournait autour du robot et de la compréhension de son fonctionnement ou non et finalement la troisième colonne classe les activités en fonction de leur modalité d’enseignement. Le nombre total de périodes de 45 minutes augmente entre l’année 1 et l’année 2, avec un bond notable dans le nombre d’activités de robotique débranchée, malgré les difficultés logistiques souvent mentionnées par les enseignants.

On a ainsi pu observer que les activités débranchées connaissaient un réel succès d’adoption auprès des enseignant·e·s du pilotage : les périodes annoncées correspondent à l’équivalent de 0,7 périodes d’activités par semaine effectuées de manière spontanée (pas de contrôle, pas d’évaluation pour les élèves…).

La part des activités débranchées en cycle 1 (4-8 ans) est nettement supérieure aux activités branchées (à noter qu’au moment des mesures, toutes les classes n’étaient pas encore équipées d’une valise de tablettes pour mener les activités les nécessitant).

Cela montre aussi que les activités débranchées utilisant les 2 robots sélectionnés par le projet sont majoritaires avec environ 60% des périodes réalisées. Le nombre de périodes rapporté a augmenté significativement, notamment les activités utilisant des robots de manière débranchée, en orange sur le graphique.

On peut voir que la proportion des activités robotiques branchées a tendance à augmenter au cours de la deuxième année (en violet sur le graphique).

Liens vers les ressources et point de contact

Les activités décrites ainsi que de nombreuses autres sont disponibles sur le site : http://decodage.learn-si.ch

Ces activités ont été développées dans le cadre de la réforme de l’enseignement de l’éducation numérique du canton de Vaud en Suisse

Frédérique Chessel-Lazzarotto (frederique.chessel-lazzarotto@epfl.ch)

Remerciements
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Edunum dans le cadre d’un mandat de la DGEO de l’État de Vaud avec l’EPFL et en partenariat avec la HEP ainsi que de nombreux enseignants et enseignantes en primaire que nous tenons à remercier pour leur implication dans le projet pilote.


 

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