Pour citer cet article :
Baron Georges-Louis (2016). Réflexions sur la didactique de l’informatique. Adjectif.net [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article381
Résumé :
Le colloque DIDAPRO 6 (Didactique de l’informatique et des STIC, quelles éducations au numérique, en classe et pour la vie ? ) vient de se tenir à l’Université de Namur. Les lignes qui suivent présentent une synthèse de la situation de ce champ de recherche.
Mots clés :
Colloque sur les TIC en éducation, Pays francophones
Première fondation
L’intérêt pour l’informatique dans l’éducation apparaît en France au début des années 1970, avec une orientation très particulière : ce qui est alors jugé fondamental, c’est la « démarche informatique », qualifiée d’« algorithmique, organisatrice et modélisante », qui sera l’axe central de la première expérience des 58 lycées (Baron, 1989). Des expériences d’initiation à l’informatique sont ainsi menées dans des lycées. Au niveau primaire et au collège, le langage LOGO, promu par S. Papert, fait l’objet d’expérimentations (INRP, 1981).
La didactique de l’informatique, pour sa part, apparaît dans les années 1980. C’est la période où se mettent en place des enseignements de l’informatique au lycée, en France et dans d’autres pays. C’est aussi celle où la programmation en LOGO est considérée comme une référence très importante dans l’enseignement primaire.
Cinq colloques francophones de didactique de l’informatique, largement ouverts sur les praticiens, sont alors organisés tous les deux ans, Paris en 1988 (Baron, Baudé, & Cornu, 1989), Namur en 1990, Sion (Suisse) en 1992, Québec en 1994, Monastir (Tunisie) en 1996. Bénéficiant de l’appui actif d’associations comme l’EPI (enseignement public et l’informatique) et organisées sous l’égide de l’Association francophone de didactique de l’informatique (AFDI), elles mettent au premier plan des questions liées à l’algorithmique et à la programmation.
Mais, dès la seconde moitié de la décennie 1980, les pouvoirs politiques se détournent de l’informatique comme objet de savoir et se focalisent plutôt sur « l’outil informatique », expression désignant, dans le discours officiel, l’ensemble des outils logiciels qui se sont répandus alors. Le glissement de sens est net : dans l’enseignement scolaire, l’informatique perd son statut de nom commun pour devenir un adjectif [1]. Dans la mesure où il n’y a plus de cours d’informatique proprement dit dans la formation scolaire générale, il devient difficile de mener de recherches en didactique de l’informatique.
En revanche, les outils logiciels, traitement de texte et tableurs en tête, commencent à faire l’objet de recherches sur leurs possibilités et les problèmes qu’ils posent (Duchâteau, 1994). Par exemple, le traitement de texte ne prolonge pas la machine à écrire ; il soulève des questions très intéressantes de production de textes structurés (Duchâteau, 2003).
Nouvelle fondation
La situation évolue sensiblement au début du XXIe siècle. Le ministère de l’Education nationale met en place de certifications (B2i, C2i), reconnaissant ainsi qu’il y a des choses à apprendre en informatique. Mais ces certifications visent uniquement à certifier des compétences, en opérant un véritable déni des savoirs en jeu. Aucun curriculum n’est alors mis en place.
C’est en 2003 qu’est fondée une nouvelle « lignée » de colloques : Didapro (didactique des progiciels). Le premier a lieu à l’Université de Créteil en 2003 (André, Baron, & Bruillard, 2004). L’appel à communication mentionne ainsi :
« Sous une apparence simple et banale, les progiciels et même le traitement de texte restent cependant complexes à appréhender, mobilisant des processus de traitement et de communication d’information en général peu conceptualisés […]
Deux autres colloques suivent : Neuchâtel (Pochon, Bruillard, & Maréchal, 2006) et Paris (2008).
Entre temps, la programmation et l’algorithmique ont suscité un nouvel intérêt. Au niveau de l’enseignement obligatoire, cela n’est pas étranger à la diffusion de langages tels que Scratch, qui proposent un environnement de programmation permettant de programmer en composant des scripts à la manière de la constitution d’un puzzle. Au niveau secondaire, de nouveaux enseignements d’informatique commencent à être mis en place en lycée sous forme optionnelle, en mathématiques puis en informatique proprement dit (Nijimbere, 2015).
Ces orientations ont un impact sur celles des colloques Didapro, dont l’appellation évolue lors des colloques suivants : DIDAPRO 4 – Dida&STIC / Sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC) en milieu éducatif, Patras, Grèce en 2011 (Baron, Bruillard, & Komis, 2011), DIDAPRO5 – DIDASTIC, Clermont-Ferrand en 2013 (Baron, Bruillard, & Drot-Delange, 2015), où la notion de numérique apparaît.
Ainsi, depuis 1988, un champ de recherche s’intéressant à l’enseignement de savoirs liés à l’informatique et au numérique s’est constitué. On peut même ici parler de communauté, au sens de réseau social appuyé sur un ensemble de personnes produisant des recherches dans le domaine et ayant des vecteurs spécifiques de communication et d’affiliation : conférences et publications essentiellement.
Une communauté francophone pluridisciplinaire
Cette communauté a d’emblée été francophone et liée aux praticiens. Elle est aussi pluridisciplinaire : les informaticiens y ont joué un rôle moteur mais, dès le colloque de 1988, on y trouve d’autres chercheurs, en particulier des psychologues et spécialistes de sciences de l’éducation.
Par la suite, ces derniers sont devenus proportionnellement plus nombreux et le champ d’intérêt, initialement centré sur le lycée s’étend à l’enseignement obligatoire et, en particulier à l’enseignement primaire. On assiste aussi, avec le développement de l’idée de numérique au début du XXIe siècle, à l’arrivée de chercheurs issus de sciences de l’information et de la communication. Pour ces derniers, l’information est un objet de recherche central ; mais le sens qu’ils attribuent à ce mot est différent de celui des informaticiens, qui considèrent et traitent l’information comme support des connaissances et des communications.
Ces différences de conceptualisation nourrissent des débats, notamment autour de ce que pourrait être une « translittératie », forme de culture empruntant à chacune des disciplines s’intéressant à ce que serait une nouvelle forme de littératie liée au numérique (Delamotte, Liquète, & Frau-Meigs, 2014).
Ce colloque était donc le sixième de la série lancée en 2003 et le onzième depuis le colloque de Paris en 1988. Les contributions ont fait l’objet d’une mise en ligne sur le site du colloque [2]. Comme cela a été fait dans le passé, un processus éditorial visant à produire un ouvrage de synthèse focalisé sur une problématique précise liée au colloque va être lancé. Ce qui suit est une synthèse personnelle ; elle vise à être fidèle, mais ne prétend pas à l’exhaustivité.
Plusieurs points m’ont frappé. Tout d’abord, des anciens étaient encore là, affirmant une continuité. Mais il y avait également de nombreux jeunes chercheurs, avec une quasi parité entre hommes et femmes.
Ensuite, il est indéniable que certains thèmes discutés en 1988 le sont toujours… On peut y voir une sorte de mythe de l’éternel retour, voire la malédiction de Sisyphe (en particulier quand on considère la question de la mise en place d’enseignements de l’informatique comme discipline autonome). On peut aussi estimer qu’il s’agit de questions qui insistent, et qu’elles appellent, de manière logique, des réponses différentes aux différents moments où elles se posent.
Des nouveautés se manifestent cependant clairement. Ainsi, l’enseignement primaire était très représenté, avec une intervention importante des sciences de l’éducation, en particulier en relation avec le projet Didactique et apprentissage de l’informatique à l’école (DALIE) soutenu par l’Agence nationale de la recherche [3].
Il s’agit à mon avis d’une tendance forte : de nombreuses innovations ont été introduites à ce niveau ces dernières années ; on pense en particulier aux différentes déclinaisons de Scratch et aux nombreux robots destinés à un usage pédagogique, suscitant des recherches sur leur mise en œuvre et sur leurs effets.
Une question assez débattue est celle de ce qu’on appelle la « pensée informatique » (computational thinking). La notion a été d’abord proposée par J Wing (2008) puis elle a été reprise par d’autres auteurs, qui ont tenté d’en cerner les attributs spécifiques. Désormais, elle est assez répandue. Je pense qu’elle est très proche de ce qui avait été proposé en 1970 pour définir la « démarche informatique » et qu’il est nécessaire pour la recherche à venir de la déconstruire, de la problématiser. Elle n’est probablement que l’un des aspects de la culture numérique à transmettre aux jeunes, pour autant qu’on puisse définir cette dernière avec précision.
La thématique du numérique dans la société a également été abordée ; des chercheurs inspirés par la sociologie s’intéressent par exemple depuis plusieurs années à la question de l’usage par les jeunes d’environnements techniques connectés en dehors du milieu scolaire. Comment documenter les apprentissages qui se produisent ainsi ?
Enfin, on voit parfois autour du numérique une mise en question du devenir système éducatif ; ne va t-on pas aller, peut être, vers une déscolarisation de la société (Illich, 1971) ? Il s’agit d’un thème très intéressant à étudier, qui a déjà fait l’objet de recherches, mais qui peut prendre un relief différent avec l’expansion des MOOC et la création d’écoles d’un nouveau type, comme l’école « 42 », qui fonctionnent sur des principes de mise à l’écart de la pédagogie au sens classique [4].
S’agissant de méthodes, ce sont des méthodes standard en sciences humaines et sociales et en didactique, accordant un rôle central à l’analyse de données, de traces d’activités et de discours.
En somme, la communauté de recherche sur les enjeux didactiques de l’informatique et des progiciels est vivante et ouverte : elle se renouvelle. Elle n’est pas organisée autour d’une théorie ou d’un modèle théorique privilégié, mais autour d’un objet dont la définition n’est certes pas des plus précises : quelles sont les bornes du champ ? On voit dans la communauté des personnes qui ont pour intérêt principal l’enseignement de l’algorithmique, la pédagogie qu’il est possible de mettre en œuvre avec des instruments informatisés, la littératie numérique, ou encore les enjeux sociaux. Cette ouverture, qui permet la participation de chercheurs d’autres domaines, est un facteur de vitalité.
[1] Au contraire, dans l’enseignement supérieur et dans les secteurs scolaires technologiques, l’informatique connaît un grand développement dans ces années.