Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Soutien au discours écrit collaboratif d’étudiants sénégalais sur des plateformes numériques distinctes : dispositif et apport

jeudi 9 juin 2022 Mar Mbodj

Notre recherche s’inscrit dans des dynamiques de collaboration, nommément le Knowledge Building comme voie prometteuse pour porter les défis liés à la collaboration, à la résolution de problèmes et à la créativité (Laferrière et al., 2010 ; Lax et al., 2010 ; Li, 2009 ; Philip, 2011). Le présent article présente d’abord le cadre conceptuel de la recherche, suivi de la méthodologie utilisée. Les résultats et la discussion de ceux-ci sont par la suite présentés.

Par Mar MBODJ, PhD

Université Gaston Berger de St-Louis (SENEGAL)

1. Cadre conceptuel

Il est largement admis que l’apprentissage humain est hautement social. Citant Dewey, Stitzlein (2020) informe que les organisations humaines sont un soutien très important pour les individus qui les composent en termes d’interactions sociales diverses, entre acteurs divers, qui sont des opportunités d’adaptation, de transformation et d’apprentissage. C’est dire que l’environnement d’apprentissage soutenu par le numérique doit favoriser les interactions humaines et les dispositifs hybrides seraient de nature à les favoriser. Dans sa définition la plus simple, l’apprentissage hybride (Blended Learning, BL) désigne une modalité d’enseignement qui permet la mise en œuvre d’activités pédagogiques en face à face et en ligne pour soutenir un apprentissage (Boelens et al., 2017 ; Stein & Graham, 2020).

Péraya (2014) en parle comme « un lieu social d’interactions et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique, enfin ses modes d’interactions propres ». Allaire (2006, p. 9) aborde cette dimension sociale en termes de « richesse du social et du langage non verbal qui peut enrichir les interactions ». Le BL se présente comme une modalité privilégiée pour développer des activités d’apprentissage collaboratif à travers des interactions de diverses natures entre des apprenants évoluant en partie dans des environnements numériques. C’est pourquoi, il n’est pas superflu, dans de tels environnements, d’envisager l’examen de la perception de l’expérience d’apprentissage des apprenants lorsqu’on les mobilise dans un dispositif hybride dans lequel ils sont appelés à collaborer, soit une démarche d’apprentissage au cours de laquelle l’apprenant travaille avec d’autre part la voie de traces écrites sous support numérique.

La complexité des situations de collaboration est toutefois problématique et des chercheurs (Dillenbourg & Fischer, 2013 ; Slotta & Acosta, 2017 ; Weinberger & Fischer, 2006) se sont penchés sur des scripts de nature à aider les apprenants. En tant que partie prenante de l’activité pédagogique, certains scripts encadrent plus que les interactions collaboratives entre apprenants. Cette aide à la structuration de l’activité collaborative permet, selon Fischer et al. (2013), d’éviter les déperditions constatées dans les activités de collaboration libre et non structurée. D’autres modèles sont plus ouverts, soit ceux centrés sur le groupe/communauté : le modèle du Knowledge Building Communities (Scardamalia & Bereiter, 1994) et le modèle Group cognition (Stahl, 2006).

Le modèle développé par Scardamalia et Bereiter sous l’appellation Knowledge Building Communities (KBCs)/Communautés d’élaboration de connaissances (CoÉco) est celui que nous avons choisi de mettre en œuvre. L’activité de coélaboration de connaissances met l’accent sur la progression de la pensée collective à l’égard de problèmes, d’explications et de solutions (Laferrière, 2008). L’agentivité de l’apprenant comme membre de la CoÉco est centrale : il en est presque le pilier dans le sens où il enrichit la base de connaissances de la CoÉco tout en se construisant son savoir partant d’intentions d’apprentissage et de coélaboration de connaissances.

Le Knowledge Building (KB) s’inscrit dans les théories constructivistes et mise sur les interactions sociales comme fondement de l’apprentissage humain. Les pionniers du KB lui reconnaissent trois dimensions (théorique, pédagogique et technologique (Bereiter et Scardamalia, 2006, 2010). Essentiellement, ils suggèrent de démocratiser la création du savoir et vont même jusqu’à soutenir que cela peut être fait même à la maternelle, soit dès qu’une petite CoÉco dépasse ce qui est connu de ses membres. C’est l’un des 12 principes (Scardamalia, 2002 ; Scardamalia & Bereiter, 2003) qui le distinguent en vue de tendre vers une collaboration efficace axée sur la compréhension de problèmes (Scardamalia & Bereiter, 2010, p. 2). Ces principes ont été opérationnalisés techniquement dans la plateforme Knowledge Forum sous la forme d’échafaudages pour servir de guide aux communautés engagées dans l’amélioration des idées (Laferrière & Allaire, 2013).

En étendant la compréhension des situations pédagogiques à des interactions entre apprenants, il apparaît alors que ce concept est extensible aux situations pédagogiques en ligne car ce sont alors les interactions entre pairs qui sont le nœud de l’apprentissage. L’écriture est la trace de la pensée des pairs sur laquelle il est possible de bâtir sa pensée, voire une pensée collective. Ainsi dit, c’est une modalité efficace pour « la construction de connaissances, s’appuyant sur la thèse selon laquelle l’exercice d’écriture inhérent aux forums induirait un travail cognitif jugé plus rigoureux que celui demandé dans les échanges oraux » (Henri et al., 2007, p. 8).

Notre but était donc d’étudier la qualité de la collaboration à travers le discours écrit des apprenants en situation de coélaboration de connaissances alors qu’ils étaient amenés à travailler en communauté pour la compréhension/résolution d’un problème complexe. Notre premier objectif était d’apprécier la qualité de leurs interactions par la voie des processus mis en œuvre et en conservant à l’esprit le produit issu (contenu) de cette collaboration. La mise en place d’un dispositif, susceptible de ne pas réussir du premier coup, s’avérant nécessaire, en préciser la nature était notre deuxième objectif. Notre question de recherche se voulait donc modeste et prudente et fut ainsi formulée : des interactions de qualité se produisent-elles entre étudiants évoluant dans des situations éducatives instrumentées par le KB ? Cette question fut examinée 1) sous l’angle du contenu issu du discours écrit produit par les apprenants au cours des interactions et 2) sous l’angle des processus mis en œuvre en cours d’interaction. Quatre questions spécifiques furent posées :

  • Question 1 : Quels sont les éléments descriptifs des interactions écrites d’apprenants, dans le contexte de l’enseignement supérieur sénégalais, lors d’une démarche de coélaboration de connaissances ?
  • Question 2 : Quelles sont les manifestations de la compréhension des principes KB dans les traces écrites des apprenants placés en situation de coélaboration de connaissances ?
  • Question 3  : Quel est l’apport des scripts collaboratifs dans le processus de collaboration et notamment dans l’élaboration des discours écrits ?
  • Question 4 : Quelle est la perception que les participants ont eu de leurs expériences sur les plateformes numériques ?

2. Méthodologie

Nous avons mobilisé une méthodologie de Design Based-Research (DBR, Brown, 1992) issue des sciences de l’apprentissage et que les technologues de l’éducation ont par la suite adoptée (McKenney & Reeves, 2018 ; Reeves, 2006). À notre connaissance, une telle démarche de recherche en contexte sénégalais n’avait pas encore été menée, ce qui ajoutait de la pertinence à notre étude. De plus, la possibilité de contribuer aux méthodologies de conception d’environnements d’apprentissage contextualisés, utilisant les technologies numériques et impliquant des grands groupes nous motivait. Le DBR a donc guidé notre démarche qui priorisait les interactions humaines de nature collaborative et qui considérait la pédagogie et la technologie comme des constituants importants du dispositif (volet intervention et volet recherche) à être mis en place.

2.1. Volet intervention

Le travail en contexte universitaire au Sénégal n’a pas encore réuni toutes les conditions pour la mise à distance effective de tous les enseignements. Il en est encore à des innovations à durée limitée portées par quelques chercheurs et praticiens qui essayent des pratiques tant au plan pédagogique que technologique. Il se pose aussi des contraintes liées à l’accès à la connectivité qui n’est pas toujours facile pour les apprenants. D’après Stolwijk & Roy (2011), les pratiques de classe en apprentissage instrumenté par des dispositifs innovants ne figurent pas assez ou pas du tout dans les recherches réalisées en Afrique francophone. Ce qui fait que le contexte d’intervention est quasiment vierge dans ce domaine Le volet intervention a comporté deux situations éducatives et trois itérations ont été conduites. Les étudiants de six grands groupes [1] ont été répartis selon les deux situations et, dans chacune, trois équipes de six ou sept au maximum devaient apprendre à coélaborer des connaissances. Il s’agissait d’étudiants de 1er cycle universitaire inscrits en 3ème année d’un programme de sciences de l’éducation, plus spécifiquement dans un cours de Technologie éducative.



Tableau 1 : Nombre de participants et leur répartition durant les itérations

Itération Année Nombre d’étudiants Participation effective
Inscrits Parcours des étudiants F. initiale Professionnels
F. Init Prof.
Itération 1 2016 33 14 19 11 16
Itération 2 2017 60 37 23 27 10
Itération 3 2019 41 32 9 30 9

Dans les deux situations,
l’intention principale (axe pédagogique) était de faire cheminer le groupe vers la coélaboration de connaissances en faisant appel aux principes de coélaboration de connaissances, mais aussi à des scripts afin de composer avec les contraintes liées au contexte (taille du grand groupe, culture d’enseignement traditionnelle, non-familiarité des étudiants avec l’approche et profils des étudiants). À cette fin, nous avons utilisé deux supports numériques (axe technologique) qui se distinguent par certaines fonctionnalités : Forum de Moodle et Knowledge Forum.

Les trois itérations ont permis de faire évoluer le dispositif. Certains éléments ont été modifiés d’itération en itération. Les invariants ont été la démarche de coélaboration de connaissances, les plateformes numériques et certains aspects organisationnels liés à la base de ressources communes à partager (par l’intervenant et par les apprenants) en ce qui a trait à l’approche de collaboration ou à la problématique en question.

La première itération a d’abord débuté par une pré-expérimentation où il s’agissait de voir s’il se produirait assez d’interactions susceptibles de fournir des données d’analyse pour interroger le cheminement des groupes. Elle a permis une première saisie de la manière dont les participants interagissaient et les résultats ont donné un premier aperçu de la qualité des interactions et ils ont aussi fourni des informations sur les éléments ayant structuré et composé le discours des apprenants.

La seconde itération a été menée selon une démarche plus soutenue et davantage guidée. À cette fin et sur la base des résultats de l’itération précédente, des scripts collaboratifs ont été introduits. Nous avons aussi développé un tableau de monitoring pour capter les activités menées pendant les 16 semaines d’interactions. Un autre instrument, le KB Portfolio de Aalst & Chan (2007) a été adopté en tant qu’outil de collecte afin de recueillir l’analyse des participants sur le parcours qui avait été le leur individuellement et avec d’autres.

La troisième et dernière itération a pris appui sur les résultats des deux premières afin de mettre en place un design susceptible de conduire à des interactions de qualité. Elle a insisté sur la mise en pratique des principes de coélaboration de connaissances et un renforcement de l’usage des échafaudages pour conduire des processus d’échanges plus élaborés et riches. En outre l’outil KB Portfolio a été adapté, compte tenu des difficultés notées durant la deuxième itération. Les fonctionnalités des plateformes numériques ont été mises de l’avant pour pousser les participants à les utiliser afin d’apprécier leur cheminement.

2.2. Volet recherche

À trois reprises, des données ont été collectées et leur analyse visait à affiner le design du dispositif afin d’instaurer une collaboration riche et de qualité. Rappelons que cette démarche par itération et affinement progressif (interventions de l’enseignant-chercheur) voulait conduire soit à l’application réussie des scripts, soit à la maîtrise progressive des principes de coélaboration de connaissances par les étudiants au sein du dispositif, et parallèlement à la production d’un discours écrit de qualité. Les sources de données et méthodes de collecte de données suivantes ont été les suivantes :

  • Les interactions écrites sur les plateformes : le discours écrit produit dans les deux situations éducatives a constitué le principal corpus de données collectées. Il a reflété ce que les participants avaient saisi des problèmes sur lesquels ils se sont penchés. Ce corpus de données était issu des situations de coélaboration de connaissances dans lesquelles les participants ont été placés, que ce soit en mode présentiel ou à distance.
  • Les auto-évaluations documentées qui prenaient assise sur le fait que l’action pédagogique est évaluée dans l’institution universitaire où cette recherche se déroulait. Partant de l’idée qu’il était possible d’instaurer une démarche d’évaluation innovante, afin d’obtenir de l’information sur la démarche des apprenants et d’ainsi pouvoir apporter des ajustements au design du dispositif, il fut demandé aux étudiants de rédiger une autoévaluation qui a été définie en ces termes : décrire votre cheminement durant les activités pédagogiques déroulées, et retracer votre parcours en vous fondant sur les actions posées, et autres preuves à l’appui, dans les environnements de travail.
  • Le KB Portfolio de Aalst & Chan (2007) a été adapté lors des deuxième et troisième itérations afin de saisir les autoévaluations documentées et centrées sur la manière dont les étudiants comprenaient les principes de coélaboration de connaissances. Les consignes aux participants furent les suivantes : sélectionner les meilleures notes, expliquer le pourquoi du choix de ces notes et montrer comment ces notes éclairaient les principes en question. Les participants devaient aussi examiner la manière dont les notes avaient permis de démontrer une démarche de coélaboration de connaissances partant des principes du KB.
  • Le questionnaire d’enquête, à savoir le Community Of Inquiry Instrument (COI) (Garrison, Anderson, & Archer, 1999), permettait de saisir l’expérience d’apprentissage en ligne (Garrison et al., 1999). Nous l’avons utilisé puisque notre dispositif incluait des interactions en ligne sur des plateformes numériques. Le COI s’intéresse à la présence sociale, à la présence pédagogique et à la présence cognitive.
  • Le tableau de monitoring se voulait d’abord un outil de collecte de données en continu sur l’apport des scripts à des fins de collaboration par la voie d’interactions écrites. Il permettait à l’intervenant de suivre chronologiquement le processus de coélaboration en lui faisant voir les moments où des interactions avaient lieu grâce aux scripts et de conserver des notes sur ce même processus.

3. Résultats

Lors de l’itération 3, les 39 participants ont produit 916 notes (ou contributions), soit une hausse de 636 notes par rapport à l’itération 2 représentant une augmentation de 227 %. Cela donne une moyenne de notes par participant de
23,48 notes. On remarque non seulement une forte hausse des notes, mais que la distribution des notes, par situation, s’est inversée au cours des trois itérations avec une hausse importante au sein de la situation KF où n = 527 et Moodle où n = 389 soit une différence de 138 notes (soit 26 %). Les groupes sur le KF ont produit 58 % des notes contre 42 % sur Moodle. Les interactions écrites ont été suffisamment fréquentes pour offrir des données riches à analyser afin d’examiner les deux situations de collaboration.


3.1. Les éléments descriptifs des contenus des interactions repérés

Le contenu des interactions (notes ou contributions) a d’abord été organisé selon les 13 catégories suivantes dans Nvivo :

  • Clarification du problème et des concepts
  • Cohésion et cohérence des idées
  • Construction et progression du discours
  • Planification de la démarche
  • Coordination des tâches
  • Soutien de l’animateur
  • Négociation d’une synthèse
  • Appropriation de l’environnement technologique
  • Relations sociales
  • Usage d’échafaudages
  • Idées non liées
  • Synthèse individuelle
  • Échanges hors des plateformes
    Au terme d’un processus de rapprochement, de dénomination et de réaménagement, les 4 principaux éléments et 3 sous éléments descriptifs des interactions écrites furent les suivants :
  • Clarification du problème et des concepts
  • Construction et progression du discours
    • Relations sociales participatives
    • Étayage et régulation
    • Démarche de synthèse
  • Démarche de coordination
  • Démarche d’appropriation de l’environnement technologique
    L’analyse des dynamiques d’interactions écrites dans un contexte quasi vierge d’expériences collaboratives instrumentées par des dispositifs numériques a permis de faire émerger une grille descriptive des interactions écrites selon une approche KB. Elle a aussi fourni des réponses pour le design de dispositifs de collaboration écrite inscrite dans un paradigme de coélaboration de connaissances impliquant des apprenants sans expériences de ce type d’apprentissage et de ces espaces d’interaction.



3.2. L’analyse de la compréhension des principes du KB durant les processus d’interactions écrites

Rappelons que le KB Portfolio permettait de percevoir et d’analyser la réflexion des participants sur leur cheminement en tant que membres d’une communauté qui devaient coélaborer des connaissances en se fondant sur les principes qui régissent ce processus. Les résultats se rapportant d’abord à l’itération 2, soit la première où il fut fait usage du KB Portfolio montre que globalement les participants ont peu compris les principes tels qu’ils étaient résumés dans le KB Portfolio.

Lors de la troisième itération, les données collectées partant de l’instrument KB Portfolio qui avait été revu et adapté, affiche une meilleure prise en charge des quatre principes du KB Portfolio par les participants. Le nombre de manifestations augmente par rapport aux résultats précédents sur l’ensemble des principes résumés.

En complément à l’analyse précédente, une autre analyse conduite sur les autoévaluations documentées à partir des 12 principes [2] de coélaboration de connaissances a été menée. En somme, les résultats de cette analyse confirment les résultats obtenus lors de l’analyse de la compréhension par les étudiants des principes du KB Portfolio, à savoir que la compréhension des principes a été minimale lors de l’itération 2 et plus manifeste lors de l’itération 3.

L’analyse des usages des échafaudages de manière à voir la concordance entre ceux-ci et le contenu des contributions est présentée, par itération et par situation, pour apprécier la compréhension des principes de coélaboration de connaissances tel que manifestée par un usage adéquat des échafaudages. Cette analyse voulait renforcer les précédentes sur la compréhension des principes de coélaboration de connaissances. Lors de l’itération 3 et dans les deux situations (Kf et Moodle), tous les échafaudages ont été utilisés contrairement aux précédentes. La compréhension des principes de coélaboration de connaissances, compte tenu d’un taux de concordant total de
83 %, aurait ainsi été mieux maîtrisée lors de cette itération.


3.3. L’apport des « scripts » collaboratifs dans le processus de collaboration et notamment dans l’élaboration des discours écrits

Au départ, lors de l’itération 2, l’expérience de l’apprentissage collaboratif par les étudiants était faible : 63 % ont indiqué avoir un niveau d’expérience équivalent à « Intermédiaire » et 37 % un niveau « Novice ».
Lors de la troisième itération, environ la moitié des participants n’avaient aucune expérience en apprentissage collaboratif et les autres étaient surtout de niveau intermédiaire. Si cette expérience n’est pas en place, Fischer et al. (2013) recommandent l’usage de scripts collaboratifs pour compenser cette inexpérience.

Pour comprendre le possible apport des scripts, il a été utilisé un tableau de monitoring qui présente les activités programmées et les instructions données, incluant les scripts, d’une part, et d’autre part l’évolution des notes (ou contributions) enregistrées sur les deux plateformes numériques. Les données ont évolué de l’itération 2 à l’itération 3 selon que les scripts ont été introduits ou non. Des améliorations ont été assez perceptibles dans les interactions écrites.

Au cours de l’itération 3, les scripts ont été introduits dès l’entame du processus c’est-à-dire lors de la deuxième semaine du cours. Les interactions écrites ont démarré plus tôt c’est-à-dire la semaine de mise en place du script collaboratif. En somme, dans les deux situations, la mise en place des scripts semble en lien, pour un temps du moins, avec l’augmentation des interactions écrites.

Les échafaudages (scaffolding) fonctionnent tels des scripts collaboratifs et Kollar et al. (2007, p. 8) les conçoivent comme des éléments sociocognitifs structurants qui touchent le discours. Lors de l’itération 2, les participants ont fait usage des échafaudages 239 fois. Les résultats de l’itération 3 se présentent toutefois autrement avec un usage total des échafaudages qui a atteint 731 fois c’est-à-dire une augmentation de 68 %. Ces résultats nous informent sur l’apport des scripts dans le processus de collaboration et notamment dans l’élaboration des discours écrits.

Cependant, l’apport des scripts ne semble pas s’être manifesté seulement en relation avec la structuration et la progression des idées, mais aussi dans la démarche des groupes vers la résolution du problème soulevé.

Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, de l’itération 2 à l’itération 3, les interactions ont fortement évolué en nombre. Des pics et des baisses des interactions ont été notés notamment lors des lancements des interactions dans les premières semaines. Cela suggérerait-il que les processus ont été similairement vécus de part et d’autre ?
La mise en œuvre des scripts a aidé vraisemblablement à structurer la démarche de coélaboration de connaissances telle que le suggèrent aussi les éléments descriptifs de la grille d’analyse. Nous constatons que les épisodes d’interactions sont marqués par quelques traits descriptifs dont celui qui consiste à vouloir clarifier le problème soumis et les concepts clés qui l’entourent. Ces traits descriptifs ont été largement dominants jusqu’à la semaine 7 et cette démarche s’est prolongée mais avec moins de présence jusqu’à la semaine 12 et 13 c’est-à-dire presque à trois semaines de la fin du processus.

Nous remarquons aussi qu’ont émergé dès la semaine 3 des éléments liés à la planification de la démarche et à l’environnement numérique qui se présentait comme une nouveauté. Le besoin de recourir à des synthèses apparaît vers la semaine 5 après quelques échanges sur la clarification du problème et des concepts.

Ensuite, ce n’est que vers la semaine 7 que les idées en lien avec l’objet de la problématique ont commencé à émerger pour faciliter la progression des communautés vers la résolution. Les semaines qui suivent sont une concentration d’éléments descriptifs qui dans l’ensemble plaident pour l’organisation des connaissances pour une meilleure cohérence des idées, des synthèses négociées et le recours à l’intervenant pour corriger des insuffisances liées aux aspects techniques des environnements de travail. Cela s’est poursuivi jusqu’à la semaine 12 où les dynamiques gravitaient autour de la construction et de la progression du discours ainsi que de la coordination vers la finalisation du processus d’interactions écrites. Les échanges ont également été caractérisés par des éléments de synthèse, ce qui a permis notamment aux communautés de finaliser les résolutions.


3.4. L’analyse de la perception des participants en relation avec leurs expériences sur les plateformes numériques

La notion de présence abordée dans les travaux de Garrison, Anderson, & Archer (2000) a été déjà évoquée dans les travaux de Jacquinot (1993). Elle mentionne ainsi l’idée de « vide à combler » dans le contexte des dispositifs à distance que l’usage de certaines technologies pourrait aider à prendre en charge. Elle postule une approche communicationnelle pour pallier l’absence, réduire la distance et ainsi instaurer la présence entre les acteurs impliqués dans une formation à distance. Jézégou (2010) aborde aussi cette notion de présence dans ses travaux tout comme le modèle que nous avons utilisé c’est-à-dire le Community Of Inquiry Instrument (COI) (Garrison, Anderson, & Archer, 2000) à propos duquel d’ailleurs elle évoque des faiblesses conceptuelles liées à son développement dont on ne précise pas les « soubassements théoriques ».

Nous avons utilisé le Community Of Inquiry Instrument (COI) (Garrison, Anderson, & Archer, 2000) pour saisir l’expérience d’apprentissage en ligne (Garrison et al., 1999) et parce que notre dispositif inclut des interactions en ligne sur des plateformes numériques. Le COI s’intéresse à la présence sociale qui réfère aux interactions sociales au sein du groupe et à sa cohésion, à la présence pédagogique qui réfère plus spécifiquement à l’intervenant et à sa conduite de la classe et la présence cognitive qui réfère à l’évolution d’une communauté en ligne alors que les membres se penchent sur un problème, mutualisent des informations, relient entre elles ces informations et résolvent le problème. Pour cela, le niveau de connaissance des participants en informatique lors des deux dernières itérations a été mesuré. Pour l’itération 2, nous avons obtenu 23 réponses dont 85 % se déclaraient de niveau intermédiaire, 4 % se disaient novices tandis que 11 % déclaraient être novices. Lors de l’itération 3, 72 % se déclaraient de niveau intermédiaire, 21 % novices et 7 % de participants qui se disaient de niveau expert.

Présence cognitive. La présence cognitive aborde quatre phases de l’évolution d’une communauté qui doit traiter un problème et arriver à des niveaux élevés de réflexion : « Événement déclencheur », « Exploration », « Intégration », « Résolution ». Pour la deuxième itération, les résultats sont globalement favorables avec des accords entre 19 et 21/23 concernant les 4 phases. Lors de la troisième itération, nous avons eu 31 répondants et le niveau d’accord enregistré le moins élevé est de 22/3
1. Pour le reste, les accords tournaient entre 25 et 31/31.

Présence sociale. La présence sociale permet d’apprécier l’émergence d’une communauté à travers les relations et le sentiment d’appartenance qui se manifestent. Elle est composée de 3 phases : « l’expression affective », « la communication ouverte » et « sens de la collaboration ». D’abord, lors de l’itération 2, les niveaux d’accord se situent entre 18 et 23/23 sauf sur un aspect lié au sentiment de confiance qui présente un niveau d’accord de 14/23. Lors de l’itération 3, les niveaux d’accord sont entre 24 et 30/31.

Présence pédagogique. Elle comporte 3 phases : « Design & Organisation », « Facilitation » et « L’instruction directe ». Lors de l’itération 2, le niveau d’accord est élevé entre 21 et 23/23. Pour cette présence pédagogique, le test de fiabilité (cohérence interne) Alpha de Cronbach (α) est de 0,825), lors de cette itération. Cela représente un coefficient acceptable. Il en a été de même lors de la troisième itération où aucune réponse défavorable n’a été enregistrée et le coefficient
Alpha de Cronbach est
(
α = 0,772), une valeur également acceptable.

Globalement, les résultats du COI montrent une expérience positive vécue par les participants dans les activités d’interactions en ligne. Ces résultats sont éclairants par rapport au processus documenté et aux dispositifs mis en place.

4. Discussion des résultats

C’est autour des deux principaux objectifs poursuivis dans cette recherche, celui relatif à l’appréciation de la qualité des interactions écrites des participants et celui relatif à la nature d’un dispositif, que nous avons organisé cette discussion des résultats.

4.1. Sur la qualité de la collaboration à travers le discours écrit des apprenants en situation de coélaboration de connaissances

Nous constatons d’itération en itération, que les interactions écrites ont augmenté. Il est possible de penser que les constats faits après la première et après la deuxième itération ainsi que les modifications apportées lors des deuxième et troisième itérations ont permis d’améliorer la quantité de notes produites et possiblement aussi la qualité des interactions écrites. La participation des membres d’une communauté fait sens dans le cadre de la coélaboration de connaissances par le fait que cette dernière ne peut s’apprécier dans son contenu et son élaboration que par les contributions des uns et des autres membres.

Ainsi, c’est par son activité de participation qu’un membre d’une communauté peut s’exprimer et affirmer son appartenance et, en même temps, apprendre par le biais des interactions qu’il entretient avec les autres. La présence d’un plus grand nombre de contributions peut être associée à l’émergence d’un discours de coélaboration de connaissances et, par extension, à une collaboration de qualité (Cacciamani et al., 2012).

Au fur et à mesure des itérations, le discours s’est affiné et les éléments descriptifs de la grille construite en témoignent. Notamment, la catégorie « construction et progression du discours », celle liée à l’approche théorique du KB, qui fait voir que plus les interactions augmentaient, plus les participants développaient plus d’idées dans leurs échanges, mieux articulées les unes aux autres. Des éléments de synthèse, récurrents et indispensables lorsqu’un groupe travaille à élaborer un discours autour d’un problème complexe, sont aussi présents, mais nettement dans une moindre mesure, puisque les apprenants avaient parfois besoin de faire le point sur leurs avancées pour ensuite repartir.

S’il est avéré que l’apprentissage collaboratif permet un apprentissage actif et une prise de responsabilité de la part de l’apprenant qui favorisent l’acquisition de compétences (MacGregor, 1990), il est également admis que l’engagement des apprenants est un défi surtout quand il s’agit de processus complexes de réflexion critique (Dillenbourg et al., 2007). Des éléments descriptifs valident l’idée que, dans notre propre contexte, les apprenants se sont engagés et ont œuvré à construire des compétences complexes pour gérer un processus d’apprentissage collaboratif tout comme l’avait constaté, entre autres, Krange et al. (2002). La grille à laquelle nous avons abouti et les différentes catégories d’éléments descriptifs qui la constituent, permettent d’analyser qualitativement, dans un contexte comme le nôtre, les interactions écrites de groupes d’apprenants engagés dans un processus de collaboration axé sur la coélaboration de connaissances. Parce qu’elle est en lien avec quelques constats que nous avons soulevés et qui font que nous avons voulu qu’elle soit ancrée, la grille intègre aussi des aspects relatifs à l’approche théorique du KB dans le sens de la démarche d’amélioration continue des idées, de négociation et de soutien mutuel.

Nous avons observé que l’affinement des itérations dans la perspective d’une meilleure compréhension des principes de coélaboration a été un élément-clé dans les tournures prises par les interactions écrites. Les principes ont eu de l’effet en agissant sur la dimension coélaborative en termes d’amélioration des idées, mais ce n’était pas suffisant. Parallèlement, les scripts ont eu un effet remarquable sur la pertinence de la démarche, la planification de la réflexion et la structure adoptée d’un groupe à l’autre. Le processus qui s’est adossé aux principes qui régissent la coélaboration de connaissances a nécessité une certaine structuration (scripts).

Les scripts ont permis aux apprenants ainsi qu’aux groupes qu’ils constituaient de se repérer et de pouvoir cheminer ensemble vers la compréhension d’un même objet. Les principaux enseignements fournis par ces scripts sont surtout survenus lors de la troisième itération. Ainsi, nos propres résultats de recherche confirment l’idée que les scripts collaboratifs servent à compenser l’absence de compétences dans la conduite d’un apprentissage en collaboration (Dillenbourg, 2002 ; Fischer et al., 2013 ; Vogel et al., 2017). Nous en dégageons que lorsque les scripts ont été mis en place, les échanges ont été assez tôt initiés par des membres des communautés. En revanche, lorsque cette forme de structuration des interactions écrites fut absente, l’attentisme s’est installé et les incohérences se sont incrustées dans le discours écrit, soit lorsque les premières notes ont été produites.

Quant au KB Portfolio (Aalst & Chan, 2007), il a permis d’établir des éléments d’appréciation aussi bien pour l’apprenant dans son cheminement que pour l’enseignant dans ses interventions ainsi que pour le chercheur dans ses analyses. Le rôle du KB Portfolio en tant qu’instrument d’autoévaluation s’est situé à deux niveaux fonctionnels, l’un pour l’apprentissage et l’autre pour l’intervention, ce que Aalst & Chan (2007) appellent « évaluation de l’apprentissage et évaluation pour l’apprentissage ». Il donnait à l’apprenant et à l’intervenant les informations nécessaires sur la démarche de coélaboration de connaissances et des possibilités d’apporter des remédiations aussi bien en matière de contenu que de processus.

La mise en œuvre d’une démarche de coélaboration de connaissances n’a pas été facile tout au cours des trois itérations que nous avons menées car les perspectives interprétatives multiples (Stahl, 2006) mettent du temps à se fondre dans une perspective de groupe. Cependant, un bon usage des échafaudages, autre forme de script collaboratif, manifeste une collaboration efficace (Scardamalia & Bereiter, 2010) dans les interactions écrites. En somme, pour que des
interactions en quantité et cohérence se produisent, il est nécessaire d’agir sur ces deux leviers que sont, d’une part, les scripts collaboratifs et, d’autre part, les fonctionnalités de production de notes écrites des environnements technologiques (échafaudages).

Au total, nous pensons que cette étude contribue d’abord aux travaux sur les dynamiques d’interactions écrites collaboratives et ensuite aux travaux sur les démarches méthodologiques fondées sur le design, notamment les approches de questionnements des interventions pédagogiques pointues où l’on cherche à étudier des dispositifs d’apprentissage complexes faisant interagir plusieurs variables. Nos suggestions tiennent compte du contexte spécifique où les apprenants sont novices quant aux pratiques collaboratives dans des situations pédagogiques numériquement instrumentées et où l’environnement technologique n’est pas des plus favorables.

Sur le plan de la démarche méthodologique nous avons constaté que nous avions une meilleure connaissance des activités entreprises par les apprenants en interrogeant les données métacognitives à partir du portfolio mis en place. Le portfolio a permis, sur le plan de la recherche, de découvrir qu’il a favorisé une sorte d’activité métacognitive qui a fait prendre conscience aux apprenants de la nécessité de participer et de s’impliquer. Ainsi,
nous suggérons qu’une démarche de design devrait intégrer ce type d’outils métacognitifs, surtout lorsque le contexte se distingue vu l’environnement technologique et les profils des apprenants.


4.2. Sur le dispositif pertinent susceptible de supporter la collaboration

L’approche méthodologique du DBR a permis de cheminer avec différentes cohortes d’apprenants afin d’apprécier le dispositif émergent susceptible de favoriser les interactions écrites de groupes d’étudiants engagés dans un processus de coélaboration de connaissances dans un contexte universitaire francophone sénégalais. Les situations que nous avons mises en œuvre reposaient sur des axes théorique, pédagogique et technologique.

L’axe théorique, le KB fournit deux points de repères : l’amélioration des idées et le groupe en tant que communauté. C’est dire que la responsabilité collective en ce qui concerne l’amélioration des idées revient à tous les membres et permet de plus l’acquisition de savoirs individuels et leur réinvestissement au service de la communauté (Scardamalia, 2002). Une des catégories ayant émergé au cours du codage des données fait référence à cet aspect du cheminement des communautés qui ont cherché à progresser vers la résolution d’un problème (construction et progression du discours). Les réponses récoltées avec la passation du COI nous confortent qu’un peu d’organisation et de logique dans le franchissement des différents paliers devrait mener les communautés vers leur objectif. Elles ont également révélé l’importance de la présence sociale. Cette présence sociale se serait renforcée par le dispositif mis en place, lequel incluait des séances en classe et du temps de travail sur les deux plateformes dédiées.

À l’axe pédagogique se rattachent la mise en œuvre du processus et les règles qui l’encadrent. Nous nous sommes adossé aux principes qui régissent la démarche de coélaboration de connaissances en tant que balises pour réguler les interactions écrites. Nous avons aussi mis en place des scripts dont le rôle est maintenant aussi reconnu par nos propres résultats de recherche, soit d’améliorer les interactions entre apprenants novices en matière de compétences collaboratives parce qu’ils suscitent la collaboration et aussi l’entretiennent et l’organisent (Vogel & al., 2017). Ainsi, pour que des interactions se produisent en quantité et qu’une certaine cohérence s’en dégage, il est nécessaire de communiquer clairement les attentes face à l’écriture dans le plan de cours, et d’agir de façon que les apprenants s’approprient les scripts collaboratifs à des fins de structuration des échanges ainsi que les fonctionnalités d’écriture de la plateforme utilisée. C’est dire qu’un repère majeur en matière de design est celui de concevoir des activités pédagogiques structurées au bon degré si l’on veut amener les membres des communautés à des niveaux d’interaction de qualité. Le tableau de monitoring ressort ici comme instrument performant puisqu’il a permis d’apprécier notamment la présence des scripts et les interactions tant du point de leur quantité que de leur qualité. Il en est de même du KB Portfolio qui a permis aux apprenants comme à l’intervenant d’apprécier l’évolution du processus de coélaboration de connaissances.

Le troisième axe, soit l’axe technologique, tire sa justification du fait que les activités collaboratives sont mises en œuvre sur des plateformes numériques en ligne. Le domaine du Computer-supported collaborative Learning (CSCL) reconnaît que les activités supportées par des outils numériques sont influencées par le design même des environnements numériques pour accompagner l’activité des communautés et nombre de recherches y sont consacrées. Dans notre étude, le niveau de maîtrise des outils numériques était assez disparate au départ. Progressivement, les environnements technologiques ont cessé d’être des obstacles à l’élaboration d’un discours écrit et les fonctionnalités d’apprentissage des plateformes ont été mieux mises à profit par les apprenants. Toutefois, la familiarisation avec les environnements numériques utilisés est un autre repère afin de tirer profit des fonctionnalités des environnements technologiques en termes de progression du discours d’une communauté, de réflexion sur la nature des contributions et sur leur cheminement individuel dans une communauté. Des fonctions intégrées aux environnements numériques pour appuyer l’apprenant dans sa démarche métacognitive et son autoévaluation sont de loin préférables.


4.3. Limites de notre recherche

Une activité d’apprentissage comme une activité de recherche est toujours située dans un contexte spécifique et peut présenter assez de singularité pour entrainer des contraintes lorsqu’il s’agira de vouloir reproduire l’expérimentation qui a été menée. Ce qui pose la question de la généralisation et de la reproductibilité dans d’autres contextes avec d’autres participants.

Dans notre étude, les groupes engagés dans les activités sont issus du même environnement et en principe répondent des mêmes déterminants culturels. Parallèlement, nous savons que la participation des étudiants dans les activités d’apprentissage est fortement influencée par leurs « expériences dans des contextes culturels particuliers » [Traduction libre] (Zhu, 2009, p. 98) et qu’ensuite leurs expériences antérieures déterminent leur attitude ou réaction dans un environnement d’apprentissage constructiviste. La question de la relation entre les dynamiques mises en œuvre au cours des différentes itérations et la culture des participants se pose donc. Ces considérations peuvent constituer des limites à notre étude.

Nous avons vécu le tiraillement du « praticien-chercheur » confronté à « une double identité ». En d’autres termes, l’adoption d’une approche de design par le chercheur implique d’être au cœur de la pratique. Néanmoins, nous avons essayé à ce que « l’une des deux ne prenne pas le pas sur l’autre » (De Lavergne, 2007, p. 29).

Une troisième limite a trait à la nécessaire distanciation des apprenants par rapport à certaines activités qui relevaient à la fois de l’apprentissage (autoévaluations documentées) et de la recherche dans la mesure où le chercheur était aussi l’intervenant. De même, la variabilité du contexte technologique d’une itération à l’autre pourrait être interrogée. Les services se sont un peu améliorés au niveau du campus pédagogique. Ainsi, la progression des résultats observée d’une année à l’autre pourrait aussi être attribuable à ces améliorations. Ne pas avoir étudié les interactions verbales est aussi une limite à noter puisque notre objectif était d’étudier les interactions produites sur des supports numériques susceptibles de fournir des informations d’ajustement du dispositif dans le sens de son amélioration. Toutefois, ces limites ouvrent des perspectives assez pertinentes pour poursuivre la réflexion sur la collaboration dans des environnements numériques et en situation hybride.

5. Conclusion

L’apprentissage collaboratif consacre le déplacement de l’activité vers les apprenants (nouveau paradigme) qui prennent désormais une part plus importante dans le processus d’apprentissage. Ces derniers, comme nous le rappelions dans notre problématique, sont exposés à de nouvelles attentes sociales, soit d’acquérir des compétences élevées en matière de construction de connaissances (Dillenbourg et al., 2007), et se retrouvent dans des classes de taille plus nombreuses et plus diversifiées.

Dans ce contexte et selon nos propres croyances pédagogiques, nous avons choisi d’appliquer la théorie du KB et notamment les principes de coélaboration de connaissances qui éclairent la démarche d’élaboration d’un discours collectif basé sur l’amélioration des idées et avons envisagé (objectif 1) d’apprécier les interactions écrites de nature collaborative, produites par des apprenants inscrits à des cours universitaires, à travers un processus qui a été mis en œuvre itérativement et qui incluait des collectes et analyses de données pouvant témoigner ou non d’une collaboration de qualité.

L’objectif 2 étant d’en arriver à un dispositif pertinent à des fins d’interactions écrites de nature collaborative impliquant des apprenants dans un contexte universitaire francophone sénégalais. Nous reconnaissons que le dispositif qui se dégage des trois itérations de notre recherche, qui s’est voulue de type design-based, ne pourra s’appliquer sans qu’un intervenant n’ait à composer avec les contraintes de son contexte. L’intervenant devra être à la fois informé et créatif puisque ce dispositif ne sera guère reproductible tel quel. Néanmoins, un concepteur pourra effectuer des adaptations en s’inspirant des principes d’intervention ci-dessus énoncés et retenir, à partir des résultats visés et qu’il obtiendra, les éléments qui conviendront à ses objectifs pédagogiques et à son contexte.

En somme, la démarche mise en œuvre et expliquée au cours de cette étude doctorale présente des intérêts pour des contextes universitaires comme les nôtres. D’abord, elle est de nature à stimuler la création de nouveaux espaces de savoirs en contexte universitaire sénégalais, cela en lien avec les défis du continent et la configuration actuelle du monde de la connaissance. Ensuite, elle participe à la transformation des pratiques tant au niveau des enseignants qu’au niveau des étudiants dans leurs façons d’aborder les problèmes complexes. Ceci devrait être la mission de tout espace universitaire où le curriculum inclut, en principe, les dernières découvertes dans les domaines de savoir et la possibilité de les améliorer.

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[1Le contexte de l’enseignement supérieur dans les pays sous-développés ou en voie de développement est marqué par les sureffectifs que les systèmes ont du mal à absorber.

[2Il faut noter que certains principes n’ont pas été pris en compte dans le codage. Il s’agit des principes suivants : « Idées réelles et problèmes authentiques », « Élever le propos » et « Omniprésence de l’approche (Ubiquité de l’élaboration de connaissances) ». Pour le premier, il s’agit d’un principe présent tout au long du processus et qui se voulait l’objet même des interactions écrites. Sa présence dans le corpus n’est pas à interroger. L’absence du deuxième principe s’explique par le fait que « Élever le propos » dépasse la simple synthèse et sa mise en œuvre fait appel à des exigences technologiques qui ne sont pas prises en charge par la plateforme Moodle. Il en de même du principe « Omniprésence de l’approche » qui traduit beaucoup de séances de travaux en classe, et ces situations peuvent ne pas figurer dans les analyses en plus elles ne sont pas intégrées dans notre étude.


 

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