Maryline Althuser, Anne Rasse, Benjamin Wack, Gaëlle Walgenwitz
IREM de Grenoble, Université Grenoble Alpes
Numéro thématique 4 / 2024
Vers l’éditorial du numéro thématique 04
RÉSUMÉ Dans cet atelier, nous explorons les flexagones, une curiosité mathématique rendue célèbre par Martin Gardner en 1956. Nous nous concentrons spécifiquement sur la modélisation des transformations subies par un flexagone lors de sa manipulation. Ces transformations sont représentées au moyen d’un automate, un formalisme largement utilisé dans divers domaines informatiques comme la théorie des langages ou les systèmes discrets.
Les premières manipulations de flexagones et un questionnement adéquat permettent de faire émerger les notions d’état et de transition. Les participants sont encouragés à créer une trace écrite ou schématique de leurs manipulations. Une discussion approfondie de ces traces met en lumière les processus de modélisation utilisés et les avantages attendus de cette approche.
Nous présentons aussi un retour des expérimentations menées dans des classes de collège et des évolutions des choix didactiques autour cette activité.
MOTS-CLÉS • Modélisation, flexagone, cycle, automate, état, transition.
Figure 1 : Manipulation élémentaire du flexagone
L’enseignement de l’informatique, du cycle 4 jusqu’à l’université, offre des opportunités intéressantes pour modéliser, puisque cette discipline nécessite de traduire des informations du monde réel dans un format manipulable algorithmiquement. Nous proposons ici une situation d’informatique débranchée dans laquelle les participants devront partir d’un objet concret, le flexagone, pour en construire une modélisation. Si le choix du formalisme sur lequel s’appuie cette modélisation est dévolu au participant, on pourra généralement profiter de cette activité pour aborder des notions de graphes ou d’automates.
Les participants sont également amenés à se questionner sur les finalités de l’activité de modélisation : acquérir une compréhension fine de l’objet considéré, en proposer une représentation lisible et exploitable pour résoudre efficacement des problèmes à propos de cet objet. Il est aussi proposé de verbaliser les différentes étapes qui constituent l’activité de modélisation : exploration libre, observation de certaines caractéristiques ; identification de régularités ou de structures ; recherche d’exhaustivité ; synthèse des structures identifiées dans un formalisme unique.
L’atelier débute par une présentation des hexa-flexagones et de leurs manipulations.
Dans un premier temps et à l’aide d’un tri-hexa-flexagone, les participants se familiarisent avec l’objet et sa manipulation. Cette phase permet également de préciser ce qui est attendu en termes de modélisation (notion de graphe et cycle).
Dans un deuxième temps, les participants reçoivent un hexa-hexa-flexagone blanc dont ils doivent déterminer le nombre de faces distinctes. Ils peuvent utiliser des couleurs ou des symboles pour distinguer les faces au fur et à mesure de leur découverte. Il apparaît rapidement que la couleur seule ne suffit pas à caractériser une face, ce qui conduit à faire émerger les concepts d’état et de transition. Par contre, l’utilisation de symboles orientés permet de distinguer les états associés aux faces de même couleur.
L’objectif est ensuite de modéliser le fonctionnement de l’hexa-hexa-flexagone. Les participants sont amenés à créer un mode d’emploi décrivant les transitions possibles entre les états, c’est-à-dire à construire l’automate.
Une discussion est alors engagée pour établir les liens entre les concepts informatiques liés aux automates et l’artefact « flexagone » et pour analyser la démarche qui mène à la modélisation.
L’atelier se conclut par un retour des expérimentations menées en classe.
L’activité « Flexagones » a été expérimentée sur deux années scolaires avec cinq groupes distincts, de la 6e à la 3e ainsi qu’avec un groupe d’enseignants.
Si nous savions dès le départ que nous visions par cette activité les notions d’état et de transition, ainsi que la démarche même de modélisation, il nous est apparu au cours de nos expériences qu’il était crucial de passer par la notion de cycle avant de viser une modélisation plus complète. C’est cette remarque qui nous a conduits à passer par la prise en main d’un tri-hexa-flexagone avant de distribuer un hexa-hexa-flexagone.
Nous avons par ailleurs expérimenté différentes modalités de marquage du flexagone (préimprimé ou non, avec des couleurs ou des symboles, libre ou imposé). La distribution de flexagones blancs avec marquage libre semble au final la configuration la plus féconde. Les participants ont un meilleur sentiment d’appropriation de l’objet, et la diversité des marquages choisis assure une discussion riche au sein du groupe, notamment sur ce qui caractérise un état.
Un point central de notre activité est la possibilité pour l’élève de manipuler l’artefact qu’est le flexagone pour construire un nouveau savoir, ainsi que le définit Rabardel (1995) : « l’artefact en situation, inscrit dans un usage, dans un rapport instrumental à l’action du sujet, en tant que moyen de celle-ci ».
L’élève s’engage dans des cycles d’action/perception pour construire et valider un modèle. Il fait évoluer les « signes artefact » (Bartolini Bussi & Mariotti, 2008) attachés directement à la manipulation du flexagone vers les « signes mathématiques et informatiques » visés : un automate. C’est donc la démarche même de modélisation qui est travaillée ici, plus que l’utilisation d’un modèle usuel (objet géométrique, fonction) comme c’est souvent le cas en mathématiques au collège.
Nous inscrivons notre proposition dans le courant pédagogique de « l’informatique débranchée », initié par Bell, Witten & Fellows en 1996. Dégageant les élèves et les enseignants des prérequis techniques, ces activités permettent de rendre tous les élèves actifs par la manipulation, mais favorisent aussi de multiples interactions : élève-élève, élève-enseignant, élève-objet, et placent l’activité et les échanges au centre d’un processus d’apprentissage constructiviste (Bell et al., 2019).
On peut enfin citer d’autres propositions autour des thématiques de notre activité. Curzon (2015) proposait de « tracer une carte » des couleurs accessibles dans un flexagone fourni déjà coloré aux participants. La modélisation était cependant nettement plus guidée, et comme on l’a fait remarquer plus haut il y a des avantages certains à laisser aux élèves la responsabilité du marquage des faces. Abordant la thématique des automates par un versant différent, More propose dans (Collectif, 2017, pp. 40-45) une autre activité débranchée, plus orientée vers les automates en tant que reconnaisseurs de langages.
Un descriptif détaillé de cette activité est disponible
Les auteurs et autrices sont joignables à irem-algo@univ-grenoble-alpes.fr
Bartolini Bussi, M. G. & Mariotti M. A. (2008). Semiotic mediation in the mathematics classroom : Artifacts and signs after a Vygotskian perspective. Dans L. English (Dir.), Handbook of International Research in Mathematics Education (second edition). New York et Londres : Routledge.
Bell, T. & Lodi, M. (2019). Constructing computational thinking without using computers. Constructivist Foundations, 14(3), pp. 342-351.
Collectif (2017). Enseigner l’informatique sans ordinateur. Éditions POLE.
Curzon, P. (2015). Computational Thinking : HexaHexaFlexagon Automata. Londres : Queen Mary University of London.
Gardner, M. (1956). Flexagons. Scientific American, 195(6), pp. 162-168.
Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies : une approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.