Adeline Ségui-Entraygues
Laboratoire MICA, Université Bordeaux-Montaigne
RÉSUMÉ Nous proposons dans cet article de réfléchir à l’usage du numérique en éducation dans le Second degré. A partir d’une recherche sur les pratiques juvéniles formelles et informelles sur les RSN, nous montrerons de quelle manière s’effectue l’appropriation d’un dispositif info-communicationnel dans un contexte d’accompagnement éducatif. Nous proposerons une réflexion sur les notions de culture de l’information et de pratiques d’information.
MOTS-CLÉS Pratiques d’information, rapport à l’information, culture de l’information, dispositifs sociotechniques, gouvernance de l’EMI
Présentation de la recherche
Notre réflexion s’inscrit dans le contexte d’une recherche doctorale finalisée intitulée La place des réseaux socionumériques dans la culture de l’information. Pratiques prescrites scolaires et pratiques d’informations informelles des jeunes dans le second degré.
L’accent porte sur les pratiques d’information sur les réseaux sociaux numériques (RSN) dans le contexte scolaire en mettant en exergue les formes d’accompagnement proposées par l’école et en particulier par les professeurs documentalistes. Nous nous sommes demandée en quoi les pratiques pédagogiques documentaires prescrites par l’enseignant-documentaliste influencent-elles les pratiques d’information informelles juvéniles sur les RSN ? Quelles formes pour la culture de l’information centrée autour des RSN ? A travers cette réflexion scientifique, nous voulions comprendre les enjeux éducatifs et citoyens d’une éducation aux médias et à l’information.
Dans cet article, nous proposons de nous focaliser sur la culture de l’information par les focales de l’informalité et de la formalité.
Méthodologie
Notre méthodologie s’organise en deux temps : une première recherche doctorale menée en 2017, puis une deuxième recherche encore en cours qui nous permet d’approfondir notre réflexion et de comparer l’évolution des pratiques d’information.
Notre première enquête de terrain qui s’est déroulée de janvier à juin 2017 a porté sur deux catégories de publics différents : les professeurs-documentalistes et les apprenants, élèves des établissements scolaires.
Nos terrains d’observation, au nombre de dix, se situent sur tout le territoire national et regroupent des établissements scolaires diversifiés, avec une répartition relativement homogène entre les lycées et les collèges et entre les zones rurales, urbaines et semi-urbaines (4 lycées et 6 collèges). Les classes concernent des niveaux scolaires différents, de la sixième à la seconde, ce qui permet d’avoir un échantillon différencié et représentatif du second degré. Nous avons interrogé une dizaine d’élèves par classe ce qui constitue un corpus de 80 élèves.
Pour ce qui concerne les documentalistes, il s’agit de onze enseignants-documentalistes titulaires dans l’établissement scolaire où se déroule le projet. En ce qui concerne le protocole d’enquête, notre méthodologie nous a permis d’observer les pratiques et les représentations des professionnels de la documentation et des élèves grâce au recueil de deux types de données qualitatives : les éléments d’un discours ainsi que l’observation de documents pédagogiques ce qui nous a fourni un matériau riche et diversifié en termes de contenu. une double modularité a été mise en œuvre combinant des entretiens semi-directifs avec les professeurs-documentalistes et les élèves sur les pratiques prescrites et informelles en rapport avec les RSN et l’observation puis l’analyse de séance pédagogique.
Les entretiens destinés aux professeurs-documentalistes, d’une durée relative d’une heure ont été organisés en trois thèmes portant sur les caractéristiques générales, personnelles et professionnelles, leurs pratiques d’information notamment sur les RSN et leur rapport aux RSN dans un contexte professionnel notamment d’un point de vue communicationnel et pédagogique. Ceux destinées aux élèves, d’une durée de 20 minutes, portaient sur leurs pratiques d’information informelles et leurs représentations des RSN ainsi que leur rapport aux RSN dans un cadre scolaire. Ce terrain nous a fait découvrir deux contextes d’études d’une part dans un cadre formel lors de séance avec des documents de cours et les rendus des élèves puis d’autre part avec les traces écrites des élèves sous formes de photos ou de copies de documents pour observer les pratiques informelles.
Le deuxième terrain, débuté en janvier 2024 et encore en cours d’investigation, se déroule avec des entretiens semi directifs compréhensifs sur cinq terrains dans des établissements scolaires dans l’académie de Bordeaux.
Nous avons choisi de nous concentrer sur les pratiques d’information juvéniles avec 50 élèves volontaires de la cinquième à la terminale : un EREA, un collège, un lycée professionnel et deux lycées généraux en Gironde et dans les Pyrénées Atlantiques. Les questions de l’entretien sont les mêmes que lors de notre première recherche afin d’assurer une continuité dans le corpus.
Elles sont au nombre de 14 et servent à guider les élèves mais au cours de nos échanges, nous laissons une liberté de parole pour expliciter les questions, demander une précision ou amener à un développement des réponses. Les questions interrogent l’usage personnel des outils numériques chez les adolescents et plus précisément des RSN, leur impact dans la société et la perception des RSN dans leur vie quotidienne ainsi que leur intégration et utilité dans le milieu éducatif.
Nous privilégions une approche systémique et compréhensive et dans le but de faire émerger les intentionnalités des sujets.
A présent, nous souhaitons revenir sur les notions qui ont guidé notre travail de recherche et qui nourriront notre réflexion. Nous aborderons les RSN en tant que dispositifs sociotechniques, la culture de l’information et les pratiques d’information.
Les RSN : des dispositifs sociotechniques
Il existe des différents dispositifs techniques ayant pour objet l’apprentissage : plateformes techniques de cours en ligne, espaces numériques de travail (pour des classes virtuelles ou pour un accès à des ressources numériques), dispositifs numériques communicationnels avec messagerie (par exemple WhatsApp ou Messenger), réseaux socionumériques (RSN). Didier Paquelin, pour définir ce que sont les dispositifs de formation en ligne (2009 : 164), souligne l’articulation entre sept composantes : « les objectifs, savoirs et compétences visées, les activités d’apprentissage, les activités d’évaluation, les ressources informationnelles didactisées ou non, les activités de régulation, les activités de production, les activités de planification, de gestion et de suivi du parcours et des activités ».
Même s’ils n’ont pas été pensés comme des dispositifs pour l’apprentissage, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux RSN car dans notre contexte spécifique d’étude, le système scolaire, ils ont été investis en tant qu’outil et/ou objet pour l’apprentissage.
Les RSN définis par Boyd et Ellison comme « une plate-forme de communication en réseau dans laquelle les participants 1) ont des profils uniques identifiables constitués de contenu fourni par l’utilisateur, de contenu fourni par d’autres utilisateurs et / ou de données fournies par le système, 2) peuvent articuler publiquement des connexions qui peuvent être vues et traversées par d’autres, et 3) peuvent consommer, produire et / ou interagir avec des flux de contenu généré par les utilisateurs provenant de leurs connexions sur le site » (2013). Ils s’articulent entre flux, information et plate-forme l’interaction sociale médiée donne leur spécificité aux RSN et représentent le cœur des pratiques d’information juvéniles (Coutant et Stenger 2011).
Ces caractéristiques permettent de travailler sur les notions d’information, de médiation et de publics, points sur lesquels nous reviendrons ultérieurement.
La culture de l’information
A la croisée des sciences de l’information et de la communication (SIC) et des sciences de l’éducation et de la formation (SDEF) (Juanals 2003), la culture de l’information est une notion centrale aux enjeux cognitifs, communicationnels, économiques et politiques. Nous posons une modélisation duale de la notion de culture de l’information à travers deux courants complémentaires. D’un côté, elle apparaît comme une culture commune et générale en lien avec la société de l’information (Doueihi 2011 ; Chante 2010). L’UNESCO, lors de la Déclaration de Prague, “Vers une société compétente dans l’usage de l’information” donne une dimension indispensable pour l’épanouissement de l’individu en considérant l’information comme une « notion stratégique indissociable de la pensée de l’apprenance et de la connaissance » (Bernhard 2003). Elle constitue également une forme non délimitée de culture scolaire et une réflexion sur les contenus de connaissances nécessaires aux élèves (Chapron et Delamotte 2010).
Olivier Le Deuff revendique un fort ancrage historiquement citoyen en résonance avec les Lumières et une finalité dépassant un simple objectif pédagogique (Le Deuff 2009) pour développer la pensée critique, la liberté et la capacité de l’individu à se repérer dans un contexte surinformé (IFLA). Ainsi, l’enseignant documentaliste représente le professionnel responsable de la mise en œuvre d’une Éducation aux médias et à l’information qui, par le biais des pratiques et usages informationnels, forment des cultures de l’information complexes et hétérogènes (Liquète, 2014). Dans la continuité, dans l’Éducation nationale, dans le second degré, les enseignants documentalistes mettent en œuvre l’Éducation aux médias et à l’information et selon la circulaire de mission (MEN 2017), ils accompagnent les pratiques des élèves et dans un contexte de pédagogie documentaire par une démarche de projet sur et avec les RSN.
Cette mise en œuvre auprès des jeunes, qu’est l’EMI, démontre une culture de l’information ancrée socialement et en situation : liée à des pratiques informationnelles, pratiques sociales, entendues au sens d’activité » (Gardiès, Fabre, et Couzinet 2010, 22), la culture de l’information se formalise de manière dynamique et stratiforme et multiscalaire. (Entraygues 2020) En effet, nous considérons la culture de l’information comme évolutive et structurée selon plusieurs niveaux (selon les besoins et les compétences) et dimensions (individuelle, communautaire, globale, institutionnelle).
Les pratiques d’information
Les pratiques d’information sont notre troisième objet d’étude. Faisant partie des pratiques culturelles ou loisirs culturels (Octobre 2004), elles désignent des activités régulières en rapport avec l’information ; elles peuvent être à visée informative ou à visée sociale. Citons la définition de Stéphane Chaudiron et Madjid Ihadjadene, qui met en évidence la complexité de cette notion. « on parlera ainsi de pratiques informationnelles pour désigner la manière dont l’ensemble de dispositifs, des sources, des outils, des compétences cognitives sont effectivement mobilisés dans les différentes situations de production, de recherche, traitement de l’information » (Chaudiron et Ihadjadene 2011)
À la lumière de cette perspective théorique, nous privilégions l’expression plus génériques de « pratiques d’information » comme l’ensemble des rapports à l’information qu’ils soient informationnels, communicationnels, socialisants ou ludiques. (Entraygues 2020). Contrairement aux pratiques informationnelles, les pratiques d’information reflètent les relations multidimensionnelles à l’information. Elles englobent « l’ensemble des activités régulières et des expériences liées à l’information, techniquement médiées, ayant pour objectif de s’informer, communiquer, publier et créer du lien social ». Nous ajoutons que les pratiques d’information intègrent également les représentations, les connaissances et les compétences individuelles et collectives, en constante construction (Entraygues, 2020, p. 41). Elles permettent ainsi de prendre en compte à la fois les pratiques sociales, scolaires, personnelles, ainsi que les pratiques informationnelles, communicationnelles et ludiques.
Gilles Sahut (2023) identifie trois perspectives pour aborder les pratiques d’information en Sciences de l’information et de la communication, qui coexistent sous les concepts de ’information behavior’, ’information practices’ et ’information experience’. Ce cadre évolue d’une approche centrée sur l’outil à une approche orientée vers l’usager, tout en intégrant une dimension systémique. L’analyse des pratiques informationnelles s’inscrit dans une perspective socioculturelle, en lien avec les théories de l’activité et de la pratique (Zhong, 2023). Les pratiques informationnelles sont ainsi définies comme des ’activités informationnelles concrètes, régulières et situées au sein de contextes sociaux identifiés’ (p. 12), nécessitant des compétences sociales et relevant d’une approche constructiviste sociale.
Nous adopterons la notion d’expérience informationnelle proposée par Anne Cordier ( Cordier 2023), qui souligne la singularité des pratiques d’information d’un individu, en lien avec son histoire personnelle, ses représentations et son imaginaire. Cette notion est essentielle pour comprendre la manière dont une personne interagit avec l’information, en intégrant une approche systémique et complexe centrée sur l’individu.
Nous distinguons deux types de pratiques d’information, d’un côté les pratiques formelles, “les pratiques prescrites par l’école, modélisées selon des critères d’efficacité collective, de rendement informationnel mais aussi de légitimité culturelle” et de l’autre les pratiques informelles « pratiques sociales ordinaires, non prescrites ou régulées par une autorité, non structurées de manière explicite, mais efficaces dans la satisfaction qu’elles procurent au quotidien. » (Kovacs et Béguin 2011)
Tout au long de notre recherche, nous avons décidé de maintenir cette opposition théorique entre ces deux types de pratiques qui fait sens, bien qu’elles puissent parfois se compléter. Nous considérons qu’elles sont en tension dans des contextes d’usage qui semblent, à première vue, opposés (Béguin-Verbrugge, 2006).
A partir d’une typologie des usages des RSN observés et des pratiques d’information juvéniles identifiées, nous proposerons une comparaison entre le contexte scolaire et le contexte privé puis dans un second temps nous aborderons la question de la transférabilité des pratiques entre la sphère scolaire et la sphère privée ce qui nous amènera dans un dernier temps à traiter la question de la culture de l’information.
Quelles pratiques d’information juvéniles et pédagogiques des RSN ?
A la lumière de l’analyse de notre corpus et de l’examen des discours, dans notre étude, nous avions posé deux contextes en tant que contexte d’usage : la sphère privée et la sphère scolaire. À partir de là, nous avons étudié les pratiques d’information pédagogiques. Trois types de pratiques prescrites scolaires ont émergé :
Nos observations ont fait apparaître trois types d’usages des RSN dans un contexte scolaire : un usage médiatique, communicationnel et réflexif.
L’usage réflexif ou sensibilisation sur les RSN semble le plus facile à mettre en place dans une logique des pratiques prescrites des enseignants-documentalistes en rapport avec les programmes scolaires. En effet, l’Education aux Médias et à l’Information (EMI) préconise l’acquisition d’une culture et d’une maîtrise de l’information par tous les élèves en lien avec les pratiques informationnelles des élèves.
Les approches réflexives, malgré quelques redondances dans la scolarité répondent aux attentes moralisatrices des élèves ce qui redonne alors à l’école un statut de référent et répond à une mission institutionnelle d’accompagnement des pratiques informelles.
Les deux autres usages, communicationnel et médiatique posent, dans un premier temps, les RSN comme des outils d’apprentissage intégrant des pratiques scolaires traditionnelles telles que des dictées, des défi-lecture ou la publication d’un média scolaire. Ils se transforment à chaque projet ensuite vers une réflexion autour de l’objet RSN en abordant des notions informationnelles.
En étudiant les pratiques d’information pédagogiques et en les comparant avec les pratiques d’information personnelles, nous avons pu identifier des divergences et des convergences qui peuvent paraître contradictoires.
Les pratiques à visée informative qui induisent une découverte de l’environnement médiatique s’opposent aux pratiques informationnelles juvéniles qui ne considèrent pas ou peu les RSN comme une ressource informationnelle.
L’enseignante documentaliste de l’ES8 rappelle que la finalité du projet demeure la lecture et le RSN reste un support :
Après Babélio c’est pas… J’ai pas axé ce projet autour du RSN c’est d’abord lire, la lecture / Moi, après les projets qui m’intéressent c’est autour de la littérature jeunesse, c’est ce que qui me plait et qui sont en rapport avec mon métier et donc c’est venu de là.
Mais nous verrons que la réappropriation du RSN avec un objectif informatif et médiatique est rendue difficile dans le contexte scolaire à cause des représentations engagées de l’objet dans les pratiques d’information juvéniles.
Trois projets observés insèrent les RSN en tant qu’outil de communication : un travail sur la Twictée en classe de 6e (ES1), la création d’une grainothèque en 3e DPA (ES5), en lycée agricole et un projet littéraire en 2de (ES7) dans un lycée général et technologique.
L’enseignant documentaliste de l’ES1 présente le projet sur Twitter comme un prétexte :
La twictée nous semble être une belle occasion pour améliorer la maîtrise de la langue par les élèves et pour les accompagner dans leur apprentissage 2.0.
Les pratiques communicationnelles scolaires, pourtant en adéquation avec les pratiques adolescentes, ne parviennent pas à obtenir l’adhésion des élèves pour les apprentissages en raison de l’artificialité des affiliations entre pairs.
En dernier lieu, trois des huit projets observés (ES2 / ES3 / ES 4) avaient une entrée théorique et critique avec des sensibilisations à deux formes de risques : ceux liés aux relations sociales avec la rumeur et le harcèlement (ES2) et ceux liés à la protection de soi avec l’identité numérique (ES3 et ES4) et induisent une réflexion sur ces propres pratiques informationnelles.
Transférabilité des pratiques et réappropriation des usages
Entre transférabilité, perméabilité et citoyenneté, les RSN deviennent des objets et outils d’apprentissage même si ces interférences sont complexes.
Les représentations des RSN accentuent la fragmentation de ces deux contextes d’usage créant alors des espaces en tension. L’intégration d’un dispositif informel dans un contexte formel étant à l’origine de cadre d’usage opposés et par conséquent de situations d’apprentissage informelles. Ces situations créent alors une porosité entre les pratiques prescrites et les pratiques informelles comme de nouveaux usages ou des transférabilités de pratiques entre les deux sphères.
La transférabilité et perméabilité des pratiques formelles et informelles sur les RSN modifient les usages personnels et pédagogiques et appellent à une modification de la culture de l’information des apprenants vers une dimension citoyenne.
Les projets pédagogiques sur les RSN amènent à une prise de conscience des potentialités informationnelles, communicationnelles et médiatiques des RSN et à une compréhension des fonctionnements et des logiques internes de ces dispositifs sociotechniques.
Citons Candice (ES6EL2) qui exprime cette découverte et résume parfaitement les objectifs pédagogiques des projets observés : {}
Oui, ça nous apprend comment bien s’en servir et ça fait apprendre d’autres réseaux qu’on aurait pas exploités tout seul.
Laurie (ES6EL10) et Lou (ES6EL9) en classe de troisième repèrent grâce au projet Flash Tweet Edu le fonctionnement médiatique de Twitter :
Oui parce que y’a plein de gens qui trouvent des informations sur Twitter dès qu’il y a un truc qui passe à la télé c’est directement sur Twitter et même des fois quand y’a des informations on les voit aussi sur Twitter.
Avant je ne savais pas que Twitter ça servait à ça qu’on pouvait s’informer comme ça sur Twitter / Tu pensais pas qu’il y avait des journaux qui diffusaient de l’information ? / Non / pas sur Twitter.
L’aspect ludique et motivant des projets sur les RSN apparaît central pour favoriser l’adhésion des élèves et le dynamisme des groupe-classe. L’exemple du défi littéraire Défi Babelio sur le réseau social Babélio est probant comme l’explique Paola (ES8EL11) :
En fait, on pouvait partager les livres qu’on avait lu et faire des critiques et faire des quizz, au tout début je croyais que ça allait vraiment être ennuyant. / Et le fait d’utiliser Babélio ça t’a donné envie ? / Oui.
Les RSN deviennent également des outils de communication et permettent de donner une visibilité à l’extérieur des établissements scolaires. Lou (ES6EL9) reconnaît que sa motivation vient de la visibilité extérieure du projet :
Ça t’a motivé ? / Oui parce qu’y a beaucoup de gens qui suivent et puis c’était intéressant de voir autant de gens suivre un petit collège comme ça et tout.
Entre l’enrichissement de la culture personnelle avec la découverte de nouveaux réseaux sociaux à visée littéraire ou professionnelle ou le réinvestissement des RSN dans la sphère privée des adolescents, on peut affirmer que les pratiques formelles influencent les pratiques informelles. L’accompagnement des pratiques juvéniles passent inévitablement par une porosité des pratiques d’information prescrites. Il semble alors qu’une réappropriation et non une reproduction des pratiques d’information pédagogiques sur les RSN favorisent la transmission d’une culture de l’information. Ainsi, nous voyons que cela remet en cause les frontières des sphères d’usage des RSN que nous analyserons à travers les pratiques d’information prescrites et formelles influençant les formes de transmission et d’imprégnation de la culture de l’information.
Vers une transmission d’une culture de l’information
Nous avons pu saisir les enjeux éducatifs et citoyens de la transmission d’une culture de l’information par le biais de la porosité des pratiques informationnelles prescrites et informelles. Nous voyons que le maintien, paradoxal au premier abord, de la différenciation théorique entre sphère scolaire et sphère privée donne du sens à cette modélisation de la culture de l’information que nous qualifierons de composite.
La culture de l’information, « système de valeurs, d’attitudes et de comportements, de connaissances et d’aptitudes qui conduisent non seulement à un usage intelligent et approprié de l’information externe, mais surtout à contribuer à la diffusion à la bonne utilisation de l’information tant externe qu’interne » est mobilisée en tant que culture de partage et d’enrichissement collectif (Menou 2008). Cette entrée sociale situe la culture de l’information telle que nous la définissons au cœur des pratiques sociales, offrant à l’EMI un enjeu éducatif prégnant, transmet un esprit critique pour accompagner des pratiques d’informations plurielles.
En rapport avec des réflexions épistémologiques et didactiques en information-documentation et liées au métier de professeur documentaliste, la culture de l’information se structure autour d’une dichotomie entre des pratiques prescrites scolaires liés à des usages pédagogiques médiatiques ou réflexifs et des pratiques informelles informationnelles interrogeant alors la frontière entre école et vie privée. Nous questionnons la notion de culture de l’information que nous pensons comme une culture critique au sens étymologique du terme, en lien avec l’information et permettant des pratiques d’information autonomes et raisonnées relatives à une information médiatique, documentaire, sociale et communicationnelle et répondant à des besoins divers. (Entraygues 2020). Les pratiques sociales se révèlent être au centre de la culture de l’information telle que nous l’envisageons.
En effet, nous qualifions notre situation de recherche composite entre terrain et conceptualisation : selon Joëlle le Marec, il s’agit d’étudier « des configurations dynamiques, hétérogènes, mais qui constituent des unités de savoir » (Le Marec 2002 ).
De cette situation de terrain, émerge alors une culture de l’information en émergence que nous qualifions de fragmentée et évolutive. Elle est spécifique aux RSN dans le sens où c’est le dispositif même qui est à l’origine de pratiques pédagogiques innovantes en réponse à des pratiques d’information qui se développent dans la sphère sociale à la société de l’information.
Nous avons mis en exergue une deuxième forme de culture de l’information, contextuelle et par conséquence inhérente au contexte d’usage. De chacune des sphères d’usage des RSN, la sphère privée et la sphère scolaire, découlent des cultures de l’information distinctes bien que complémentaires et adjacentes. Nous pensons la culture de l’information multiscalaire en fonction de ses sphères d’usage. Le rapport en tension entre formalité et informalité questionne les relations entre la norme scolaire et la norme sociale.
Cette hybridation démontre que les prescriptions sociales influencent les pratiques d’information prescrites et nourrissent les pédagogies documentaires qui s’adaptent aux pratiques d’informations sociales.
Nous proposons dans cette dernière partie une réflexion sur le rôle des dispositifs sociotechniques avec pour fil conducteur la question de la culture de l’information et de l’accès à l’information.
L’intégration de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans la vie académique révèle une transformation importante du rapport à l’information. Notre approche systémique nous permet de mieux comprendre les interactions complexes entre les significations de la technologie numérique et les comportements des utilisateurs dans un environnement universitaire non formel et formel.
Les technologies numériques ne se limitent pas à faciliter l’accès aux informations, mais elles définissent aussi la culture de l’information et l’accès à l’information. Les utilisateurs développent des compétences transversales, apprenant à évaluer l’efficacité et la pertinence de la technologie dans un contexte qui leur est propre, et à utiliser les outils numériques pour s’informer et informer au sein d’un groupe ou individuellement. Cela permet aux participants d’avoir une expérience plus inclusive, interactive et de surmonter des défis géographiques et socio-économiques.
L’humanisme numérique, tel que défini par Milad Doueihi (2011), offre un cadre de référence pertinent pour une éducation aux médias et à l’information qui valorise la créativité. Ce cadre vise à transmettre une culture de l’information dynamique, c’est-à-dire capable de s’adapter aux évolutions technologiques et aux nouveaux usages. Nous envisageons cette culture de l’information dans une perspective anthropologique, ce qui implique une vision globale et systémique des pratiques liées au numérique.
Cette approche interroge la manière dont les technologies sociotechniques (les dispositifs et outils numériques intégrés dans nos sociétés) sont adoptées et perçues. Elle explore également leurs potentiels éducatifs et citoyens : comment ces technologies peuvent-elles être utilisées pour enrichir l’apprentissage, encourager la participation citoyenne, et développer des compétences critiques face à l’information ?
Par ailleurs, cette réflexion engage une discussion sur les choix de gouvernance concernant le numérique, notamment sur les politiques et les régulations mises en place autour de l’usage des écrans et des technologies numériques. Ces décisions ont un impact direct sur la manière dont les individus et les institutions interagissent avec le numérique, influençant ainsi les pratiques éducatives et culturelles à long terme.
En somme, l’humanisme numérique propose une approche qui ne se limite pas à l’acquisition de compétences techniques, mais qui vise à intégrer le numérique dans une vision plus large, centrée sur le développement humain et les valeurs culturelles, tout en tenant compte des défis éthiques, éducatifs et sociaux liés à l’évolution constante de notre environnement technologique.
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Q0 Te considères-tu à l’aise avec les ordinateurs, les tablettes, les téléphones ?
Q1 Possèdes-tu un smartphone, une tablette ou un ordinateur ?
Q2 Quels RSN utilises-tu ?
Q3 Quels usages personnels ?
Q4 Peux-tu donner une définition des RSN ?
Q5 Penses-tu que tu utilises les RSN correctement ?
Q6 Rencontres-tu des difficultés lors de l’utilisation personnelle des RSN ?
Q7 Que veut-dire l’expression “société de l’information” ?
Q8 Les RSN te paraissent-ils importants dans le monde ? Ont-ils un rôle important dans la société ?
Q9 Que représentent-ils pour toi ? Donne 3 mots clés
Q10 Penses-tu qu’il est intéressant de les utiliser à l’école ?
Q11 Apprécies-tu les cours où tu utilises un réseau social ? Pourquoi ?
Q12 Penses-tu nécessaire d’avoir un cours sur les RSN (apprendre à les utiliser) ?
Q13 Est-ce que tu as déjà un réseau social en cours ?