Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

L’analyse de la complexité du discours et du texte pour apprendre et collaborer

Pour citer cet article :

Dascălu, Mihai, Dessus, Philippe, et Trăușan-Matu Ștefan (2014). L’analyse de la complexité du discours et du texte pour apprendre et collaborer. Adjectif.net [En ligne], mis en ligne le 27 septembre 2014. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article312

Résumé :

Cette contribution présente un Environnement Informatisé pour l’Apprentissage Humain (EIAH) articulant compréhension de texte et apprentissage collaboratif.

Mots clés :

Apprentissage entre pairs, EIAH, Lecture

par Mihai Dascălu, Philippe Dessus, Ștefan Trăușan-Matu

Introduction

L’apprentissage collaboratif assisté par ordinateur et les technologies d’e-learning devenant de plus en plus populaires et intégrés dans des contextes éducatifs, le besoin se fait sentir de disposer d’outils d’évaluation automatique et d’aide aux enseignants ou tuteurs pour les deux activités, fortement couplées, de compréhension de textes et de collaboration entre pairs. Bien qu’une analyse de surface de ces activités est aisément réalisable, une compréhension plus profonde et complète du discours en jeu est nécessaire, complétée par une analyse de l’information méta-cognitive disponible par diverses sources, comme par exemples les auto-explications des apprenants.

Dans ce contexte, nous utilisons un modèle dialogique issu des travaux de Bakhtine (1981, 1984) pour analyser les conversations collaboratives, et une approche théorique visant à unifier les activités de compréhension et de collaboration, en utilisant des graphes de cohésion.

Plus spécifiquement, nous nous sommes centrés sur la dimension individuelle de l’apprentissage, analysée à partir de l’identification de stratégies de lecture et sur la mise au jour d’un modèle de la complexité textuelle intégrant des facteurs de surface, lexicaux, morphologiques, syntaxiques et sémantiques. En complément, la dimension collaborative de l’apprentissage est centrée sur l’évaluation de l’implication des participants, ainsi que sur l’évaluation de leur collaboration par deux modèles computationnels : un modèle polyphonique, défini comme l’inter-animation de voix selon de multiples perspectives, un modèle spécifique de construction sociale de connaissances, fondé sur un graphe de cohésion et un mécanisme d’évaluation des tours de parole.

Notre approche met en œuvre des techniques avancées de traitement automatique de la langue et a pour but de formaliser une évaluation qualitative du processus d’apprentissage. Ainsi, deux perspectives fortement liées sont prises en considération : d’une part, la compréhension, centrée sur la construction de connaissances et les auto-explications à partir desquelles les stratégies de lecture sont identifiées ; d’autre part la collaboration, qui peut être définie comme l’implication sociale, la génération d’idées ou de voix en interanimation dans un contexte donné.

Vue intégrée

En bref, notre objectif est de soutenir les processus de compréhension de l’apprentissage individuel et collaboratif ou, plus précisément, de soutenir les processus de construction de la connaissance personnelle et sociale sous-jacents, à travers l’utilisation d’un système procurant des évaluations automatiques, notamment l’évaluation de la cohésion textuelle des textes lus et des productions des apprenants. C’est selon trois perspectives que nous cherchons à remplir cet objectif (figure 1) :

—  le cycle interne modèle le processus d’apprentissage du point de vue de la construction des connaissances (Bereiter, 2002 ; Scardamalia, 2002 ; Stahl, 2006),

—  le processus d’évaluation en termes de compréhension sur la base de l’évaluation des productions des apprenants.

—  des outils de Traitement Automatique des Langues (TAL), nécessaire pour effectuer l’analyse du discours (Jurafsky & Martin, 2009).

Figure 1 : vue intégrée des aspects et concepts théoriques

Les outils de traitement automatique de la langue mobilisés sont l’analyse de la sémantique latente (LSA) (Deerwester et al., 1989 ; Deerwester, Dumais, Furnas, Landauer, & Harshman, 1990 ; Dumais, 2004 ; Landauer & Dumais, 1997) et l’allocation de Dirichlet latente (LDA) (Blei, Ng, & Jordan, 2003).

LSA représente sous la forme d’un espace vectoriel les relations entre termes et les documents (paragraphes) qui les contiennent, en se fondant sur l’analyse de leurs co-occurrences. Cela permet d’évaluer la similarité sémantique inter-termes et entre termes et documents (Landauer, Foltz, & Laham, 1998 ; Manning & Schütze, 1999). LDA permet de réaliser une identification de thèmes via un mécanisme d’inférence probabiliste de structures thématiques dans les documents.

Ces deux méthodes sont de type « paquets-de-mots » (« bag of words »), et ne tiennent pas compte de l’ordre des mots dans les phrases et documents. Cela est bien entendu une grande approximation, mais qui n’est pas trop gênante puisqu’il s’agit de récupérer les mots-clés principaux et des indices de similarités entre ces mots-clés, apparaissant dans un grand corpus.

ReaderBench, présentation générale

ReaderBench (Dascalu, 2014 ; Dascalu, Dessus, Bianco, Trausan-Matu, & Nardy, 2014) permet d’appliquer ces techniques sur des textes narratifs ou sur des conversations, en particulier dans des chats ou des forums de discussion (Dascalu, Trausan-Matu, & Dessus, 2014 ; Nistor et al., 2014) et donc dans des scénarios pédagogiques complexes. ReaderBench peut être diffusé et utilisé à des fins de recherche. Le développement de ce logiciel a été partiellement réalisé par le projet DEVCOMP financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et d’autres projets notamment européens (FP7).

L’utilisation de stratégies de lecture est un facteur important pour la compréhension chez les adultes comme chez les enfants. Elles peuvent être recueillies par les explications à haute voix des élèves, au fur et à mesure qu’ils lisent un texte. Des recherches les ont catégorisées de cette manière : régulation de la compréhension («  Je crois que j’ai compris que le héros hésite à blesser le monstre  »), paraphrase (répétition presque à l’identique d’une proposition), élaboration (construction d’une nouvelle connaissance à partir du texte), prédiction (« Le héros va se marier avec la princesse  ») et la mise en relation (« Mais le héros s’est déjà battu avec le monstre au tout début  »).

L’analyse automatique de l’emploi de ces stratégies à partir des explications des élèves (transcrites de l’oral) est présentée sur la figure 2 (copie d’écran de ReaderBench). On y voit des mesures de comparaison sémantique entre les paragraphes du texte à lire (dernière colonne de droite), et des catégories de lecture pour chaque explication (en gris), codées ainsi : régulation, paraphrase [entre crochets, un numéro d’index référant aux mots du texte lu], élaboration [*] et mise en relation. Ainsi, l’enseignant peut avoir une idée précise du niveau de compréhension du texte lu par Matilda. On peut, par exemple, noter qu’un nombre trop important de paraphrases (répétition de portions de texte lu sans compréhension profonde), au détriment d’élaborations ou de mises en relation, indices d’une compréhension de plus haut niveau.

Figure 2 : analyse des stratégies de lecture et de la cohésion textuelle dans ReaderBench

Scénarios

La figure 3 présente les activités de l’enseignant et des élèves et leur succession du point de vue de l’apprentissage individuel. L’enseignant commence par utiliser le logiciel pour sélectionner des documents à lire compatibles avec le niveau de ses élèves. Ces derniers les lisent, et réalisent certaines productions suite à leur lecture, productions qui seront ensuite évaluées par l’enseignant.

Ce scénario peut comprendre quatre boucles. La boucle de lecture permet à l’apprenant de prendre connaissance du matériel de cours ; la boucle d’écriture permet à l’apprenant d’auto-expliquer ce qu’il a compris du cours ; et la boucle de sélection de thème permet à l’apprenant de saisir quelques mots-clés et de sélectionner les phrases importantes du document lu. Une boucle concerne l’enseignant et l’évaluation de la production de l’apprenant, aidé en cela par le système qui produit différentes évaluations consultables par l’enseignant.

Figure 3 : représentation graphique du scénario utilisant ReaderBench, centré sur l’apprentissage individuel, selon la perspective de l’apprenant et de l’enseignant

La figure 4 représente les boucles d’activité dans lesquelles les apprenants et l’enseignant sont engagés dans un scénario collaboratif. Deux types de boucles sont possibles. Une boucle de lecture, dans laquelle les apprenants prennent connaissance des interventions de leurs pairs, ainsi que d’une vue d’ensemble de la conversation (fils de discussion de forums ou clavardage). Une boucle d’écriture, qui met automatiquement en évidence le niveau de participation et collaboration d’un apprenant donné au sein de la conversation. De plus, l’enseignant peut pré-sélectionner et attribuer un matériel d’apprentissage à des apprenants compatibles avec leur niveau de lecture (analyse de la complexité textuelle). Bien évidemment, des phases individuelles peuvent alterner avec des phases collaboratives de manière à créer des scénarios plus complexes, utilisables dans des classes ou dans des contextes d’e-learning.

Figure 4 : représentation graphique du scénario utilisant ReaderBench, centré sur l’apprentissage collaboratif, selon la perspective de l’apprenant et de l’enseignant

Conclusions

L’un des buts principaux de notre modèle est de favoriser la compréhension vue en tant que « médiatrice de l’apprentissage », en procurant des rétroactions automatiques aux apprenants et enseignants ou tuteurs. Leur avantage est triple : leur flexibilité, leur extensibilité et, leur spécificité, car ils couvrent de multiples étapes de l’activité d’apprentissage, de la lecture de matériel, d’apprentissage à l’écriture de synthèses de cours en passant par la discussion collaborative de contenus de cours et la verbalisation métacognitive de jugements de compréhension, afin d’obtenir une perspective assez complète du niveau de compréhension et de générer des rétroactions appropriées sur le processus d’apprentissage collaboratif.

Finalement, notre intention est d’obtenir deux axes qui se croisent : un axe orienté sur la psychologie cognitive de la cohésion et de la cohérence, un autre plus orienté sur l’informatique, pour mettre l’accent sur l’analyse du discours et la complexité textuelle. La compréhension utilisée pour soutenir l’apprentissage individuel ou collaboratif et les productions de l’apprenant est au centre de notre analyse : elle peut être représentée sous les productions des apprenants comme des superpositions de cohésion, cohérence, complexité textuelle et polyphonie.

Remerciements

Nous tenions à particulièrement remercier Maryse Bianco et Aurélie Nardy pour leurs conseils et soutien. Certaines parties de cette contribution proviennent de l’article publié sur le blog Pole Grenoble Cognition – http://www.grenoblecognition.fr/index.php/actualites2/9-communiques/167-readerbench-un-outil-pour-evaluer-la-complexite-de-textes-et-identifier-les-strategies-de-lecture.

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