Pour citer cet article :
Agbanglanon, Sylvain (2013). Maquettes numériques animées en 3 dimensions dans l’apprentissage de la construction mécanique. Adjectif.net Mis en ligne dimanche 20 octobre 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article259
Résumé :
Ce travail questionne l’utilisation des maquettes numériques en 3 dimensions dans la construction mécanique. À partir d’une représentation volumique animée d’un système mécanique et sur la base de productions écrites et graphiques de dix-sept étudiants de niveau licence, il a été constaté que le caractère animé et iconique de la présentation ne conditionnait pas à lui seul la construction de connaissances et les productions en lien avec le système représenté. Entrent en jeu également la capacité de vision spatiale et les représentations préalables dudit système.
Mots clés :
Vision spatiale, Animations en 3 dimensions, PSVT-R, Représentations, Sénégal
Par Sylvain Luc Agbanglanon, ENSETP [1], Université Cheikh Anta Diop. Dakar, Sénégal.
L’introduction croissante de l’informatique dans les activités d’apprentissage ouvre de nouvelles perspectives à l’enseignement de la construction mécanique en faisant un usage accru de ressources numériques et, en particulier, de maquettes numériques en 3 dimensions (3D). Cela appelle un recentrage de l’apprentissage sur l’activité des apprenants, et notamment les activités cognitives.
La lecture de dessins techniques relève d’une activité cognitive complexe et pluraliste requérant la mobilisation de plusieurs registres : géométrique, technologique et des codes (Weil Fassina, 1973 ; Weil-Fassina & Rabardel, 1985 ; Rabardel, 1989). Ainsi, les représentations en 3 dimensions sont reconnues comme des objets intermédiaires et médiateurs (Geronimi, De Vries, Prudhomme, & Baille, 2005). Avec un fort degré d’iconicité, elles semblent lever l’obstacle géométrique, en influant sur le niveau de compréhension du système représenté (Cartonnet & Poitou, 1996 ; Hamon, 2009).
Dans ce cadre, l’expérience du sujet a aussi un effet positif (Cartonnet & Poitou, 1996). En plus de cette expérience capitalisée qui confère au lecteur une certaine maitrise des codes et des technologies, ses capacités mentales spatiales ont été questionnées pour en montrer la portée dans la lecture des représentations graphiques techniques et la réussite dans les domaines scientifiques et techniques (Sorby, 2009 ; Sorby & Veurink, 2010 ; Study, 2011 ; Veurink et al., 2009). La complexité de l’activité cognitive à laquelle fait appel l’apprentissage d’instruments sémiotiques de communication technique nécessite, afin de lui donner du sens, la mise en avant d’une « approche fonctionnelle » contextualisée (Andreucci, Froment & Verillon, 1996) s’appuyant sur les affordances perçues des systèmes représentés (Norman, 2002).
À la lumière de ce qui précède, il convient alors de considérer l’influence qu’aurait le visionnage d’animations numériques 3D par des apprenants et leur capacité de vision spatiale sur la qualité et le niveau de compréhension du fonctionnement des systèmes mécaniques. Se pose alors, avec acuité, la question des pratiques didactiques dans ce contexte d’introduction de nouveaux outils et la pertinence ou non de leur donner de nouvelles orientations et d’en interroger les effets.
Les apports non négligeables des représentations de type volumique dans la connaissance du système mécanique représenté ont été établis. Pouvons nous conjecturer que les maquettes animées le font d’autant mieux ? La mise à contribution de maquettes numériques 3D animées dans les activités d’apprentissage en construction mécanique, contribue-t-elle à améliorer la qualité des productions décrivant le fonctionnement des systèmes mécaniques représentés ?
Sur la base de représentations animées en 3 dimensions, quelle est l’influence de la capacité de vision spatiale sur les productions d’apprenants visant à décrire le fonctionnement de systèmes mécaniques, notamment en ce qui concerne les relations cinématiques ? Les résultats aux tests de vision spatiale sont-ils liés à la qualité de ces productions ?
Les liens établis par la sémiotique et les théories de la communication entre les systèmes symboliques / sémiotiques, les représentations matérielles et les représentations cognitives (Jaillet, 2006), de même que la dimension sémiocognitive que revêt la médiation opérée par les représentations graphiques (Peraya & Meunier, 1999), les images et la construction des connaissances (Darras, 2001), constituent une source importante d’éclairages pour notre étude. La connaissance d’une chose, d’un être ou d’une situation consistant à en avoir une représentation iconique (Meunier, 1998), guide l’abord de la question étudiée sous l’angle du degré d’iconicité des représentations des systèmes mécaniques notamment leur caractère spatial et animé.
En outre la présence de code dans les images qui en semblent dépourvues et leur caractère polysémique (Peraya, 2006), explique le fait que nous explorions les difficultés de compréhension d’animations en 3 dimensions et les erreurs dans des productions basées sur ces représentations animées. Cette direction est également prise en référence à Rabardel (1982) qui estime importante l’influence des représentations préexistantes sur la compréhension des dessins industriels, précisément sur les obstacles à la compréhension qu’elles peuvent constituer.
L’appréhension de la question sous l’angle des erreurs et difficultés de compréhension et le recours, dans notre démarche, aux entretiens visant à recueillir les représentations des sujets s’adossent autant à l’approche écologique Gibsonienne de la perception (Gibson, 1986) pour laquelle l’une ou l’autre affordance des environnements perçus peut être mise en avant selon le sujet qui les perçoit.
Aussi, le recours aux tests de vision spatiale répond-il à l’une des perspectives tracées par Weil Fassina (1973) pour la recherche dans la compréhension des dessins par leurs utilisateurs. L’aspect « psychotechnique », en lien avec la capacité de vision spatiale des utilisateurs de dessins techniques, y était identifié comme essentiel.
Cadre d’étude
Cette étude a eu lieu dans une école publique d’enseignement supérieur technique et professionnel dépendant d’une université sénégalaise. Cet établissement est chargé, à l’échelle nationale, de la formation des enseignants du niveau moyen et secondaire de l’enseignement technique et professionnel (collèges, centres de formation professionnelle, lycées techniques). Dix-sept étudiants (élèves professeurs), des filières fabrication mécanique et maintenance des véhicules et moteurs du département des sciences et techniques industrielles de cet établissement, se sont prêtés à notre étude. Ils ont tous suivi un cours de construction mécanique essentiellement centré sur la technologie des systèmes mécaniques et l’analyse de ces systèmes.
Recueil de données
Les 17 étudiants participant à cette étude ont préalablement suivi un cours de construction mécanique s’appuyant sur des représentations graphiques planes (dessins et schémas) et présentant toute la théorie dont relèvent les réducteurs de vitesse à trains d’engrenages épicycloïdaux constituant la base des boites de vitesses de type Ravigneau. Précisons que, par définition, un engrenage épicycloïdal est constitué de roues dentées (pignons ou couronnes), appelées planétaires, dont les axes géométriques de rotation sont fixes et de roues dentées, dites satellites, tournant autour d’axes géométriques mobiles. Les axes des satellites tournent autour de ceux des planétaires. Une partie des étudiants a, dans sa formation pratique, eu à rencontrer ces boites de vitesses sous une forme réelle, ce qui n’est pas le cas de la majorité d’entre eux. Le groupe de 17 étudiants a travaillé sur :
Ensuite, un test de visualisation spatiale PSVT-R (Guay, 1976) a été proposé. Le test PSVT-R (Purdue Spatial Visualization Test-Rotation), développé par Roland B. Guay à l’Université de Purdue est utilisé parmi d’autres tests existants (Sorby, 2009), pour effectuer une mesure de la capacité de vision spatiale. Il consiste en trente questions à choix multiples où le répondant détermine la représentation d’un volume donné ayant subi une rotation identique à celle d’un volume de référence tel que montré par la figure 1 qui suit.
Figure 1 : exemple de volume présenté au PSVT-R
Enfin, un entretien collectif semi-directif était destiné à recueillir les représentations des étudiants concernant les différents éléments de l’activité à laquelle ils ont participé. Cet entretien, enregistré reposait sur les questions suivantes :
Cette dernière phase a duré 25 minutes. Ainsi, 11 étudiants ont été actifs dans les débats pour un total de 30 interventions autour des questions soulevées.
Les données recueillies l’ont été sur la base de résultats au test PSVT-R de visualisation spatiale, de productions graphiques et écrites et de l’enregistrement audio de l’entretien semi-directif. À ces données nous avons ajouté des éléments, dont nous disposions déjà, sur l’âge des étudiants participant à cette recherche.
Traitement des données
Traitement quantitatif des résultats aux tests
Il s’est agi, sur une échelle de 1, c’est-à-dire en valeur relative, de déterminer le score obtenu par chacun des étudiants lors du PSVT-R. Ce score est le rapport du nombre de réponses justes sur le nombre total de questions. Les scores varient alors de 0,2 à 1.
Traitement qualitatif des entretiens (par analyse du discours) et des productions :
Une seconde étape d’analyse et codage du contenu a suivi. Elle a consisté à relever les représentations préalables du système montré et les difficultés de compréhension de l’animation 3D évoquées lors de l’entretien (Agbanglanon, 2013).
Avec le logiciel R, l’étape qui a suivi a consisté à la réalisation de tris à plat pour chercher à identifier des tendances. Ainsi, les données ont été présentées sous forme graphique. Notons que le nombre limité (17) de participants à l’étude ne nous a pas permis d’effectuer des tests statistiques pour établir des relations plus marquées.
Les scores au PSVT-R révèlent une moyenne de 0,81 (figure 2). Le 1er quartile est confondu avec la médiane (0,8), ce qui indique que le quart de la population a obtenu un score de 0,8. Le 3ème quartile est égal à la valeur maximale. Cette particularité reflète que le quart des étudiants au moins, a obtenu un score de 1 et que, globalement, 75% des étudiants ont un score entre 0,8 et 1. Ces résultats montrent également que les étudiants les plus jeunes ont les meilleurs scores (figure 3).
Min. | 1st Qu. | Median | Mean | 3rd Qu. | Max. |
---|---|---|---|---|---|
0.20 | 0.80 | 0.80 | 0.81 | 1 | 1 |
Figure 2 : répartition des scores au PSVT-R|
Figure 3 : Tranche d’âge en fonction des scores au PSVT-R|
Vision spatiale et qualité des productions
Nous remarquons à travers la figure 4 que les étudiants ayant le moins commis d’erreurs, dans la représentation du mouvement d’entrainement des satellites des trains épicycloïdaux, sont majoritairement ceux ayant obtenu des scores supérieurs ou égaux à 0,6. L’identification des phases de fonctionnement a été correctement faite par la majorité des étudiants (figure 5). En outre, il apparait que les étudiants ayant identifié de manière adéquate les phases de fonctionnement ont pour la plupart des scores au PSVT-R au-dessus de 0,8 excepté l’un d’entre eux qui a obtenu un score de 0,4.
Figure 4 : Erreurs sur les relations cinématiques des satellites en fonction des scores au PSVT-R
Figure 5 : Nombre de phases de fonctionnement identifiées en fonction des scores au PSVT-R
Effet des représentations
Des représentations préexistantes ont été appréhendées suite à l’entretien. Il est ressorti l’évocation de difficultés liées à la compréhension de l’animation 3D. De même, le lien fait par ces étudiants avec la rencontre ou la connaissance préalable d’un tel mécanisme est à mentionner. Tous les étudiants ayant exprimé une rencontre ou une connaissance préalable du système, ont des avis peu favorables ou mitigés en ce qui concerne l’animation 3D comme cela transparait dans leur discours.
Pareillement, les discours montrent que tous ceux qui ont reconnu avoir déjà rencontré un tel système présenté sous une autre forme, laissent entrevoir des difficultés dans la compréhension de l’animation 3D.
Les scores au test de vision spatiale (PSVT-R) atteignent une moyenne de 0,81. Moyenne comparable à celles présentées par Veurink et al., 2009 (0,80) ainsi que Sorby, 2009 (0,80) comme résultats de post-tests pour des étudiants ayant suivi un cours de renforcement de la capacité de vision spatiale.
Ce résultat semble en accord avec le cursus des étudiants ayant participé à l’étude. Ils ont, en effet, suivi un cours de construction mécanique durant l’année universitaire courante, mais également durant les deux années de formation après le baccalauréat. Ce score semble, en outre, corroborer les travaux anglo-saxons ayant établi l’effet de cours similaires à ceux de construction mécanique sur l’amélioration de la vision spatiale (Ault & John, 2010 ; Veurink et al., 2009 ; Onyancha, Derov, & Kinsey, 2009 ; Study, 2011 ; Sorby &Veurink, 2010 ; Sorby, 2009).
Une certaine relation entre la qualité des productions et le niveau de capacité de vision spatiale mesuré par le PSVT-R transparait alors. Ceci va dans le sens de l’effet sur la réussite dans les sciences et technologies attribué à la capacité de vision spatiale (Sorby, 2009 ; Sorby & Veurink, 2010 ; Study, 2011 ; Veurink et al., 2009). L’expression d’avis moins favorables à la présentation de systèmes mécaniques sous forme d’animations en 3 dimensions paraîtrait être le fait d’étudiants ayant déjà rencontré le système présenté sous une autre forme. Ce fait découlerait de la construction de connaissances par comparaison avec les représentations préexistantes qui peuvent s’ériger en obstacle (Rabardel, 1982). Les représentations préexistantes conditionnant alors l’appréhension que les apprenants ont du système présenté. Pour ainsi dire « … une expérience mentale ne dépend pas seulement de l’input, elle dépend aussi des structures que lui imposent nos attentes et routines interprétatives … » (Meunier, 1998, p. 19.).
Les difficultés exprimées seraient la conséquence d’un conflit cognitif qui s’installe chez les apprenants. Ce conflit ou malaise noté expliquerait les avis peu favorables à ce type de représentation. Ce défaut dans l’établissement de connexions entre le vécu antérieur et le système mécanique, objet de la connaissance nouvelle, empêche aux apprenants de donner du sens à la connaissance nouvelle comme le suggèrent Andreucci, Froment, & Verillon (1996). Ainsi, l’évocation de la rencontre antérieure du système montré resterait liée aux difficultés de compréhension mais aussi, à une qualité moindre des productions en termes de relations cinématiques permettant de mieux comprendre son fonctionnement.
En effet, les apprenants cherchent à faire le lien avec ce qu’ils connaissent déjà d’un tel système ou, tout simplement, à le reproduire. Les erreurs viendraient alors du fait que le système mécanique montré n’a pas forcément les mêmes caractères que ceux présents dans leurs représentations préexistantes (Rabardel, 1982). Ce fait est confirmé par les entretiens qui laissent apparaître que certains ont déjà rencontré ce type de système. Cela laisse alors voir le caractère polysémique de la présentation (Peraya, 2006), même sous forme d’animation en 3 dimensions. Des éléments non précisés par l’animation sont quand même décrits par les étudiants sur la base de leurs connaissances préalables de ce type de mécanisme.
Cette contribution, s’appuyant sur une présentation d’un système mécanique sous forme d’animation 3D, a cherché à cerner le lien qui pourrait exister entre la capacité de vision spatiale et la qualité des productions faites sur la base de cette représentation. Ainsi, nous avons mesuré la capacité de vision spatiale avec le test de PSVT-R. Cette dernière a été mise en parallèle avec la qualité des textes et graphiques produits pour laisser transparaître un hypothétique lien.
Une suite triviale que pourrait avoir ce travail résiderait dans la mesure plus fine de la capacité de vision spatiale en faisant appel à d’autres types de tests. Dans la même lancée, une population d’étude plus importante permettrait, à travers une méthodologie reposant sur des statistiques inférentielles, d’établir de manière plus prononcée, les relations qui existeraient entre la qualité des productions et la vision spatiale.
Le caractère animé ou iconique de la représentation semble, à lui seul, ne pas être une garantie à la construction de connaissances sur le système représenté. La vision spatiale et les représentations préexistantes semblent, entre autres, être essentielles dans ce processus cognitif. Ainsi, il convient d’interroger de manière précise les mécanismes par lesquels les différents champs conceptuels sont sollicités dans les productions faites sur la base d’animations en trois dimensions, dans le but de déceler les stratégies didactiques, gages de qualité, et de déterminer de manière précise l’articulation pertinente des activités d’apprentissage faisant appel à la géométrie et à la maitrise des codes et de la technologie.
En termes de perspectives, il nous semble opportun d’investiguer les liens éventuels qui existeraient entre l’usage de maquettes virtuelles animées en construction mécanique et la capacité de vision spatiale ; de même que les implications en relation avec le genre qui en résulteraient, étant donné la désaffection des filières technologiques par les filles au Sénégal.
Le contexte sénégalais est marqué par un profond déséquilibre entre la fréquentation des filières littéraires et celles scientifiques et techniques. Il serait intéressant de cerner, dans un contexte d’usage de maquettes numériques, les relations entre le choix de filière et la capacité de vision spatiale, ainsi que les aspects liés au genre. Dans la même optique, la compréhension des rapports qui pourraient exister entre l’environnement socio-culturel, le cursus académique et la capacité de vision spatiale pourrait être utile.
[1] Ecole Normale Supérieure d’Enseignement Technique et Professionnel