Adjectif : analyses et recherches sur les TICE

Revue d'interface entre recherches et pratiques en éducation et formation 

Barre oblique

Interaction entre apprenants de français langue étrangère (FLE) sur les sites de réseautage social en Corée du Sud

samedi 3 août 2013 Hyeon YUN

Pour citer cet article :

YUN, Hyeon (2013). Interaction entre apprenants de français langue étrangère (FLE) sur les sites de réseautage social en Corée du Sud. Adjectif.net Mis en ligne samedi 3 août 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article248

Résumé :

Mon étude a pour objectif la découverte des effets de l’interaction sur Facebook entre apprenants de FLE (Français Langue Étrangère) à partir d’une expérience menée dans une université en Corée du Sud. Je m’intéresse plus particulièrement aux apprenants débutants qui viennent d’entamer leur apprentissage du français en contexte universitaire (Licence 1) et en milieu homoglotte.

Mots clés :

Analyse de discours, Apprentissage des langues, Corée du Sud, Médias sociaux

par Hyeon YUN
Département de langue et littérature françaises
Université Hannam, Corée du Sud
Laboratoire de Recherche sur le Langage (LRL, membre associée)
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand II, France

Introduction

Les SRS (Sites de Réseautage Social) offrent actuellement un espace ouvert non seulement au grand public mais aussi aux apprenants / enseignants de langues. Mon étude a pour objectif la découverte des effets de l’interaction sur Facebook entre apprenants de FLE (Français Langue Étrangère) à partir d’une expérience menée dans une université en Corée du Sud. Je m’intéresse plus particulièrement aux apprenants débutants qui viennent d’entamer leur apprentissage du français en contexte universitaire (Licence 1) et en milieu homoglotte.

Les sites de réseautage social à l’heure du Web 2.0

Selon O’Reilly (2007), le web 2.0 désigne les interfaces sur Internet permettant aux internautes non spécialistes en informatique de s’approprier les nouvelles fonctionnalités du Web.

L’interface du web 2.0 soutient l’échange d’informations, le partage et les interactions entre internautes de façon plus simple. Les dispositifs emblématiques du web 2.0 sont le blogue, le wiki, le tagging et le social bookmarking, le partage multimédia, le fil RSS et la syndication (Cych, 2006 ; Anderson, 2007 ; Depover et al., 2007). Les apprenants peuvent se sentir plus engagés dans leur tâche parce qu’ils construisent un « monde » qui représente leur propre identité. Ils utiliseront par la suite l’outil qu’ils ont choisi pour accomplir leur activité sociale virtuelle. Au niveau de l’enseignement / apprentissage de langues, le web 2.0 pourrait permettre de connecter la classe au monde extérieur, à travers des interactions authentiques écrites ou orales entre apprenants ou entre apprenants et locuteurs natifs à distance. Les échanges qui en découlent peuvent être très riches et permettent aux apprenants d’avoir des retours et donc de revenir sur leurs apprentissages et de prendre la distance réflexive si souvent recherchée.

Par ailleurs, grâce à la croissance de l’utilisation du téléphone intelligent (smartphone), les réseaux sociaux donnent plus d’occasion d’effectuer une veille sur l’information, de développer une intelligence informationnelle collaborative, de créer de nouvelles connaissances et d’élaborer des savoirs collectifs co-construits sans contrainte spatio-temporelle. Notamment en Corée du Sud, les statistiques données par KISA (Korea Internet & Security Agency) montrent que 97,4% des jeunes entre vingt et vingt-neuf ans utilisent un smartphone et 87,1 % d’entre eux l’utilise pour se connecter sur les SRS comme Facebook et Twitter. Plus de dix millions d’internautes coréens (soit plus de 20% de la population) étaient abonnés à Facebook en 2011.

Pour mon étude, j’ai choisi Facebook comme dispositif pour l’enseignement / apprentissage du FLE pour les raisons suivantes :

aspects socio-cuturels et affectifs :

Facebook a pour fonction l’échange et l’interaction avec d’autres utilisateurs en montrant des informations personnelles de l’usager. Un « mur » permet aux « ami(e)s » de l’utilisateur de laisser des messages (commentaires) que ce dernier peut à son tour commenter. Pour parler de l’effet de Facebook sur l’apprentissage des langues, je m’inscris dans une perspective socio-constructiviste de l’apprentissage, qui fait ressortir les trois principes suivants :

  • co-construction du savoir et transformation des savoir en savoir-faire ;
  • l’apprentissage conçu comme un acte social se développe dans les interactions de l’individu avec son entourage humain (Vygotsky, 1962).
    Blattner et Lomicka (2012) mentionnent que Facebook fournit des apports technologiques intéressants et pratiques qui intègrent différents modes de communication médiée par ordinateur (CMO). Par ailleurs, Dejean-Thircuir (2008) dégage différents indicateurs qui permettent de constituer une communauté en ligne en mettant l’accent sur les traces socio-affectives : dévoilement de soi, humour, gestion des conflits et constitution d’un code commun. S’opère un apprentissage en réseau (Degache & Mangenot, 2007 ; Kop & Hill, 2008 ; Pinte, 2010) qui favorise l’apprentissage collaboratif, l’échange des uns avec les autres.

aspects linguistiques et interactionnels :
Pour parler des aspects linguistiques et interactionnels que l’on peut observer sur Facebook, je m’inspire de l’approche ADMO (Analyse du discours médié par ordinateur), CMDA (computer mediated discourse analysis) de Herring (2001, 2004) et de la théorie de discours en interaction de Kerbrat-Orecchioni (2005). L’approche de l’ADMO permet de mieux analyser différents types d’échanges à distance en respectant les caractéristiques de chaque outil de CMO (communication médiée par ordinateur) par rapport aux discours écrits et oraux en face à face.

CMDA applies methods adapted from language-focused disciplines such as linguistics, communication, and rhetoric to the analysis of computer-mediated communication (Herring, 2001).

Ce qui m’intéresse plus particulièrement est la relation entre production langagière des apprenants et échange médié par ordinateur au plan du « registre interactif écrit » dont parle Mondada (1999) pour les discours hybrides, terme qui permet de repenser le continuum entre écrit et oral, au lieu d’opposer ces deux pôles de façon dichotomique.

Contexte d’apprentissage de la langue étrangère dans une université en Corée du Sud

En Corée du Sud, les étudiants arrivant à l’université présentent deux caractéristiques. D’une part, leur apprentissage des langues étrangères dans l’enseignement secondaire s’est concentré sur la grammaire, et, d’autre part, leur apprentissage se focalise sur la compréhension et la production écrites à travers la répétition et la reproduction d’un modèle textuel, le but étant de passer un baccalauréat sous forme de QCM (Questions à Choix Multiples) conçu dans cet esprit. A l’université, ces étudiants rencontrent donc de grands obstacles pour interagir en langue étrangère car l’autonomie, la spontanéité et/ou la créativité ne leur semblent pas pouvoir avoir leur place en classe de langue.
Lee (1998) constate que, bien qu’elle soit à la pointe de la technologie, la Corée n’a pas oublié un système d’éducation venu de son passé et de ses croyances et valeurs, imprégnées du chamanisme, du bouddhisme et surtout du confucianisme.
Guichon (2006) mentionne que la langue est considérée comme un outil de transaction entre les individus et comme un vecteur culturel. Cela me permettra de mieux concevoir les tâches appropriées aux apprenants coréens en lien avec leur culture et l’utilisation des TICE.
Parmi les étudiants de Licence 1 dans le département de français de l’Université Hannam, certains ont déjà des connaissances sur la langue et la culture françaises car ils ont appris le français dans l’enseignement secondaire ; d’autres sont de vrais débutants. Par ailleurs, ils sont peu habitués à échanger avec leur enseignant de manière active et spontanée pour des raisons liées à la culture sociale et éducative coréenne, marquée par une forte hiérarchie. Dans ce contexte, les étudiants semblent avoir besoin de se familiariser non seulement avec la langue nouvelle mais aussi avec leur enseignant(e) de langue. Plus particulièrement pour mon public, il leur est nécessaire de prendre confiance en eux lors de l’apprentissage d’une langue étrangère (LE) et de garder la face (Goffman, 1974) afin de faciliter les échanges en langue cible.
Les tâches que je propose aux apprenants ne concernent pas que les échanges linguistiques entre apprenants et/ou entre apprenants et enseignant. Il s’agit de pratiquer les connaissances de base acquises en classe en présentiel de manière ludique et communautaire, et de les partager avec les autres dans la communauté. Je le conçois donc comme une pratique actionnelle et interactionnelle qui s’organise sur la base d’une imbrication entre échange verbal et action.

Présentation de l’expérience « Piaf (Parler pour interagir et apprendre le français) »

Un groupe nommé « Piaf (Parler pour Interagir et Apprendre le Français) » a été constitué sur Facebook, il regroupe quarante-six apprenants de Licence 1 participant au cours intitulé « Conversation en français de base » en mars 2013. Tous les participants se sont déclarés « amis » les uns des autres. J’ai d’abord mené une enquête auprès des étudiants de Licence 1. Ils ont ensuite participé à l’expérience sur Facebook.

L’enquête par questionnaire

L’objectif de l’enquête était de mieux comprendre le style d’apprentissage de la LE et le niveau d’utilisation des SRS du groupe d’apprenants. Les quarante-six étudiants (N=46) de Licence 1 (trente-cinq filles et onze garçons) y ont participé. Le tableau suivant montre le nombre d’apprenants qui ont une expérience d’apprentissage du FLE et la durée de leur apprentissage.

Expérience d’apprentissage du FLE Durée
Moins d’un an 1 – 2 ans Plus de 2 an
Oui 12 3 9 0
Non 34

Tableau 1 – Expérience d’apprentissage du français et durée de l’apprentissage

En ce qui concerne la question du niveau de difficulté des quatre activités (compréhension orale/écrite, production orale/écrite), la majorité des étudiants pensent que la compréhension orale est la plus facile. La grammaire est considérée comme l’exercice le plus difficile.
Pour ce qui est du type de travail préféré, les étudiants préfèrent le travail individuel au travail en groupe : trente-trois étudiants préfèrent le travail individuel. Il y a, à cela, plusieurs raisons qui sont données : travailler avec plusieurs personnes demande plus de temps que prévu ; quand on fait équipe avec des personnes que l’on n’aime pas, le résultat n’est pas efficace ; je n’aime pas le conflit ; il y a toujours des paresseux qui ne gagnent des points que grâce aux autres membres du groupe, etc. Par contre, les étudiants qui préfèrent travailler en groupe soulignent le fait qu’ils peuvent collaborer et coopérer en cas de difficulté durant la réalisation de la tâche.

Réalisation des tâches
J’ai recueilli des données auprès de deux groupes de licence 1. Douze séances de deux heures environ ont été organisées pour vingt-deux étudiants en moyenne par groupe avec une enseignante coréenne en présentiel. Ensuite, les étudiants ont participé individuellement, au moment qu’ils choisissaient, à la tâche que l’enseignante proposait sur Facebook.
Mangenot (2003) remarque que la tâche ou le scénario pédagogique doit inclure une ou des activités faisant sens pour les apprenants, s’appuyer sur des ressources et prendre en compte le dispositif, spatio-temporel et humain, à la fois en termes de communication et d’accompagnement pédagogique. Sur la base des résultats de l’enquête, J’ai proposé deux types de tâches :

  • tâches fondées sur la perspective actionnelle respectant le contenu de l’apprentissage en présentiel,
  • tâches réalisables sur le web social (Facebook).

Les cours de langues en présentiel pour la Licence 1 sont divisés en deux parties : une partie grammaire et une partie conversation dont l’enseignement est assuré par deux enseignantes coréennes et une enseignante française native. Les tâches ont été communiquées en présentiel et affichées sur Facebook. Je tiens également à préciser que les participants étaient invités à respecter la nétiquette et certaines règles du jeu pour que le niveau d’échange soit adapté au contexte d’apprentissage et à ses normes.
Selon le niveau de difficulté de la tâche proposée, J’ai adapté le temps de réalisation pour que les apprenants puissent avoir le temps de réfléchir et de discuter entre eux.
L’organisation et la réalisation des tâches m’ont permis d’observer les effets de l’interaction écrite spécifique aux apprenants de niveau débutant. Les étudiants ont réalisé les tâches de manière rigoureuse en respectant le contenu du cours en présentiel. En effet, ils semblent être restés méfiants et avoir craint d’utiliser un vocabulaire ou des expressions plus variées que ce qui était fourni au départ. 
J’ai remarqué que, lorsque l’enseignant constitue un groupe à objectifs linguistiques et interactionnels sur Facebook, les apprenants s’y présentent sous la forme d’un site communautaire ayant la même interface que Facebook en usage classique. Les apprenants y construisent leur propre communauté d’apprentissage en tentant de s’exprimer en langue cible, en échangeant et en partageant leurs savoirs et savoir-faire.

Conclusion

La difficulté majeure réside sans doute dans le fait que les étudiants ne semblent pas encore prêts à interagir entre eux. Ils s’adressent facilement à leur enseignant en personne lorsqu’ils ont des questions ou des propositions sur la tâche même s’il s’agit d’un travail à accomplir à distance. Pour régler ce problème, il me semble nécessaire de tenter d’introduire d’autres types de tâches, plus « proches de la vie réelle » (Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), 2001) choisies en fonction des besoins de l’apprenant professionnels ou éducationnels. Il est également important de savoir si l’on veut / peut tirer parti d’échanges informels en classe.
Afin que Facebook fonctionne de manière plus efficace en tant que dispositif pédagogique pour l’enseignement / apprentissage de langues, il faudrait que l’enseignant réfléchisse suffisamment sur l’environnement de la communauté en ligne qu’il conçoit, souhaite utiliser ou faire utiliser : la mise en contexte pour un niveau d’apprentissage approprié au groupe d’apprenants concernés, les pratiques pédagogiques ’technologiques’ les mieux appropriées, etc. Certains vont jusqu’à suggérer une ’didactique invisible’ dans ce type d’environnement afin de ne pas les dénaturer (Ollivier & Puren, 2011). Dans mon cas d’étude, la didactique invisible que Facebook promeut consiste à mettre les apprenants dans des situations où ils produisent pour réaliser les tâches proposées en ligne sans avoir conscience qu’ils sont sur un groupe conçu à des fins didactiques.

Références

  • Blattner, G. & Lomicka, L. (2012). « Facebook-ing and the Social Generation : A New Era of Language Learning », Apprentissage des langues et systèmes dinformation et de communicaiton (ALSIC), vol. 15, n°1. http://alsic.revues.org/2413
  • Butler-Pascoe, M.E. & Wiburg, K. (2003). Technology and teaching English learning learners. Boston, Allyn & Bacon.
  • Conseil de l’Europe (2001). Cadre européen commun de référence pour les langues : Apprendre, Enseigner, Évaluer (CECRL). Paris, Didier.
  • Cych, L. (2006). Social networks. In Emerging technologies for learning. Coventry, UK : Becta.
  • Degache, C. & Mangenot, F, (2007). « Les échanges exolingues via Internet ». Revue de linguistique et de didactique des langues (LIDIL), 36. p. 5-22. http://lidil.revues.org/index2373.html
  • Dejean-Thircuir, C. (2008). « Modalités de collaboration entre étudiants et constitution d’une communauté dans une activité à distance ». Apprentissage des langues et systèmes dinformation et de communication (ALSIC), vol. 11, n°1. p. 7-32. http://alsic.revues.org/index803.html
  • Guichon, N. (2006). Analyse de Langues et TICE. Méthodologie de conception multimédia. Paris, Ophrys.
  • Herring, S. (2001). « Computer-mediated Discourse », dans D. Schiffrin, D. Tannen & H. Hamilton (dir.), The Handbook of Discourse Analysis. p. 612-634. Massachusetts/Blackwell, Oxford.
  • Herring, S. (2004). « Computer-Mediated Discourse Analysis. An approach to Researching Online Behavior », dans S. Barab, R. Kling & J. Gray (dir.), Designing for Virtual Communities in the Service of Learning. p. 338-376. Cambridge, Cambridge University Press.
  • Kerbrat-Orecchioni, C. (2005). Le discours en interaction. Paris, Armand Colin.
  • Lee, B.-Y. (1998). Codes culturels dorigine et enseignement-apprentissage des langues-cultures étrangères : le cas des apprenants coréens du secondaire. Thèse de doctorat, Université de la Sorbonne Nouvelle.
  • Mangenot, F. (2003). « Tâches et coopération dans deux dispositifs universitaires de formation à distance ». Apprentissage des langues et systèmes dinformation et de communication (ALSIC), vol. 6, n°1. p. 109 – 125. http://alsic.revues.org/2167
  • Ollivier, C. & Puren, L. (2011). Le Web 2.0 en classe de langues. Paris : Éditions Maison des Langues.
  • Pinte, J.-P. (2010). « Vers des réseaux sociaux d’apprentissage en éducation ». Les Cahiers Dynamiques, vol. 3, n°47. p. 82-86.
  • Vygotsky, L. S. (1962). Thought and language. Cambridge, MIT Press.

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